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Chapitre 38

Main page / «MAYA». Livre 1: Force mineure / Chapitre 38

Le contenu

    Ayant passé encore une journée à Bodh-Gayâ, je suis repartie pour Delhi – le début de mon voyage. Je ne savais pas – aller à Daramsala ou reporter le voyage à l’année prochaine… mais où aller à ce moment là?  C’était peut-être trop tard pour aller à Népal, il faut y aller en septembre octobre… En gros, l’absence d’un projet clair ne m’inquiétait pas du tout, ni même m’intéressait. Je me sentais comme un hamster, la bouche pleine jusqu’aux oreilles avec du blé, ou comme un boa qui a avalé un gros lapin graisseux, et là, une fois sortie de la succession des rencontres et des débats, il fallait que je digère tout ça tranquillement, que je l’entremêle, reconsidère, réfléchisse. Là je ne voulais qu’une chose – qu’on ne me touche pas, ne m’engourdisse pas avec des conversations intelligentes. Ne pas penser au logement, ni à la nourriture, avoir une clairière avec de l’herbe dessus, pour m’y vautrer à mon gré, une chaise et une table pour y rester assise au calme avec mon calepin. Quand je serai à Delhi, je déciderai ou aller après.

    Delhi!  Cette ville est digne d’une des premières places dans la liste des itinéraires touristiques recommandés. En partant du bas, bien sûr. Une telle quantité de boue, de poussière, de bruit, de gueux de tous genres est difficile de rencontrer ailleurs. Delhi est un point de passage pour les touristes qui voyagent en Inde. Ils y viennent que pour repartir quelque part au plus vite. La visite de la ville en elle-même est une autre histoire, c’est comme un supplément à un achat. On achète un voyage en Inde?  Pour aller où?  A Varanacy?  Poushkar?  Amritsar?  Daramsala?  Voilà la visite de Delhi en supplément.

    Des délices se présentent à la sortie même du bâtiment de l’aéroport. Des chauffeurs de taxi s’accrochent au voyageur en grappes, gueulent à l’oreille quelque chose en une langue qu’ils prennent pour l’anglais, le traînent vers leurs voitures. Montrer un point faible ici n’est pas mortel, mais coûteux pour le porte-monnaie. Certains touristes perdent plusieurs centaines de dollars à cause de l’escroquerie des chauffeurs de taxi, des propriétaires des hôtels et des agences touristiques, liés en une seule mafia. D’abord on te demande 500-700 roupies pour amener à l’hôtel. 45 roupies indiennes équivalent un dollar américain. Si, stupéfait, tu leur pointes Lonely Planet, où c’est écrit en noir sur blanc que le prix normal est 100-150 roupies, ils font des mines offensées, haussent les épaules, en gros, se comportent de la sorte que tu commences à te poser la question – c’est peut-être une erreur dans le guide?  La ligne de conduite à suivre est comme ceci: on annonce tout simplement qu’on est prêt à y aller pour 150 roupies et pas un centime de plus, et on continue tranquillement son chemin, menant de l’aéroport vers la chaussée. Cent pourcents vrai que si l’on tient stoïquement face à toutes les propositions qui tombent et arrive à la chaussée (c’est deux minutes à pieds), il y en aura certainement un qui acceptera le prix. Et sinon, tant pis – sur la chaussée un tas de moto rickshaws circulent qui te prendront avec joie pour cent dollars. Cependant, il faut être très prudent!  Tomber d’accord avec les chauffeurs de taxi sur le prix n’est pas tout!  Leur extravagance préférée est la suivante: tu tombes d’accord avec une personne sur le prix, elle t’amène à la voiture, et au dernier moment une autre personne se met au volant. Tu n’y prêtes pas attention, puisque les chauffeurs de taxi sont nombreux, ils se ressemblent tous, quelle différence alors qui te conduit. Une fois arrivé sur place, tu entends à ton étonnement absolu le prix 3 fois plus grand que celui déjà convenu, à tous tes hurlements le chauffeur te répondra tu n’avais rien accordé avec lui personnellement, et son chef lui avait dit cette somme là. Bien sûr, si tu es un homme bien musclé, d’autant plus si vous êtes plusieurs, il n’y aura pas de souci, il y aura beaucoup de cris, de mimiques vives, de scène de mort, etc. Souvent la procédure suivante marche bien: tu notes le numéro de la plaque d’immatriculation du taxi en annonçant au chauffeur que tu vas voir la police pour déjouer ses magouilles. On dit que ça marche.

    Il arrive aussi qu’une somme soit indiquée, tout parait OK, et à l’arrivée le chauffeur commence à jurer par sa mère qu’il ne parlait pas du prix pour tous les passagers, mais pour un et pas en roupies, mais en dollars. (A vrai dire, en Russie on peut rencontrer pire que ça, et pas avec une fin anodine. «Nos» gens sont beaucoup plus agressifs et dangereux.)

    C’est quoi un moto rickshaw?  Oh…- c’est un miracle de la construction automobile indien!  Il ressemble à un petit cercueil sur des roulettes, ça roule aux bananes. Faire le tour des rues de Delhi justement en moto rickshaw et pas dans une voiture fermée est un plaisir à part, on plonge dans la vie des rues jusqu’aux oreilles, et cette vie est très tumultueuse. En principe, il y a une règle du code de la route. Une seule. La circulation se fait à gauche. En général… En ce qui concerne le reste il n’y a pas de code, fais un stock de tranquillisant alors – la première impression ressemblera à un micro infarctus. Des jeeps, cars, handicapés, cyclistes, moto rickshaws, vélo rickshaws, vaches, attelages des mules, piétons qui flânent tout simplement, piétons qui poussent des chariots devant eux, piétons qui ne vont nulle part – tout se réunit en un seul torrent grandiose, qui gueule et bourdonne, où chacun fait ce qu’il veut. Si quelqu’un a décidé de réparer un canapé juste au milieu de la route – pas de problèmes. Faire une sieste?  Aucun souci. Nettoyer un matelas?  Bienvenu!  Personne non seulement ne jurera pas, mais même ne prêtera aucune attention – le flot contourne tout simplement un tel obstacle et continue sa route. Si une voiture a renversé quelqu’un, le chauffeur n’est pas responsable au cas où il klaxonnait à ce moment là, c’est pourquoi tout le monde choisit la solution la plus simple – ils klaxonnent presque SANS ARRET. Les rues de Delhi c’est l’enfer, qui casse les oreilles, le cerveau, les yeux, le nez et, parfois, le porte-monnaie.

    Si tu tombes entre les pattes d’un chauffeur de taxi, il fera tous les efforts possibles pour te pomper jusqu’au bout. Par exemple, ils aiment proposer un service supplémentaire quelconque – aider à trouver un hôtel, ou amener dans un «bon» magasin, une «bonne» agence touristique. Refuse toutes les propositions fermement et sans compromis – TOUTES, sinon tu paieras tout dix fois plus cher. En général, n’achète rien «pour le réserve» – en Inde tout est trouvable partout, c’est pourquoi c’est plus pratique et moins cher d’acheter tout sur place, et pas commander en avance, quoi qu’on essaie de te convaincre du contraire de manière très argumentée, la mine la plus honnête possible. Surtout fais gaffe si un chauffeur de taxi propose d’aller voir une agence touristique. Ca peut vraiment s’avérer une entreprise dangereuse, puisque de vrais prédateurs, très habiles, travaillent dans de telles agences. Ils agissent littéralement sur la psyché, t’entourent, te saisissent les mains, font de grands sourires, crient, et peuvent même faire des menaces. Seulement une personne très stable psychiquement peut partir de là sans avoir acheté un circuit touristique absolument inutile à 200 dollars (qui en coûte 30 en réalité). D’ailleurs, un chauffeur de taxi peut t’amener à une agence quelconque sans que tu le remarques – comme si tout simplement chemin faisant.

    Montre-lui une indignation extrême, et fais-le continuer la route en menaçant de ne pas payer le trajet et appeler la police.

    L’adresse que tu donnes à un chauffeur doit être apprise par cœur également. A Delhi il y a une rue où presque tous les touristes se concentrent – il y a plein d’hôtels pas chers par là, des restaurants, magasins et des agences touristiques normales. Cette rue s’appelle «Main Bazar». Le point important c’est qu’il y a plusieurs «Main Bazar» à Delhi, celui dont tu as besoin se trouve dans le quartier Pahar Gange, la seule bonne adresse est la suivante alors: Pahar Gange, Main Bazar. Si tu loupes l’expression Pahar Gange – prépares-toi à un problème… le chauffeur t’amènera dans un autre quartier vers un hôtel avec lequel avait magouillé avant, où les prix ne sont pas de 2-5 dollars par jour pour une chambre double, mais 20-50 dollars!  Dans la rue il n’y a pas une seule gueule européenne, tu demanderas «C’est quoi – Main Bazar? », et bien sûr, c’est Main Bazar, des tas de vendeurs de toutes sortes de trucs vont te tomber dessus, ainsi que des mendiants, vélo rickshaws, et toi, les yeux sortis des orbites, tu vas courir à ton hôtel.

    Il existe des moyens encore plus durs d’»escroquer» des touristes inexpérimentés. Par exemple, un chauffeur fait semblant de s’être perdu, «oublier» où est l’hôtel qu’il doit trouver, il s’arrête à une «première agence venue» pour que tu puisses appeler l’hôtel toi-même et préciser l’adresse. Tu prononces le numéro de téléphone et l’employé de l’agence «n’arrive pas à déchiffrer» ton anglais, prend ton bout de papier avec le numéro et le compose «avec prévenance». Mais, il fait, bien sûr, un autre numéro, «l’employé de l’hôtel» t’annonce que, malheureusement, ils sont overbookés (ou il y a un incendie, une inondation, une épidémie de peste). Tu es déçu, mais les employés de l’agence viennent bravement à ton secours, en te proposant un hôtel pas cher du tout (20-30$ par jour).

    Parfois on joue des spectacles entiers!  A l’entrée de New Delhi ton taxi est arrêté par une personne en uniforme distinguée (tu te dit «un policier»), elle dit quelque chose à ton chauffeur, l’air sévère, (en hindou, bien sûr) et le chauffeur a beau résister – rien ne marche. Ensuite, le chauffeur t’informe tristement que, malheureusement, il y a une grève à Pahar Gange (une révolte de maoïstes, une venue des extraterrestres, un acte terroriste, etc.) et à l’heure actuelle il y a 50 touristes étrangers abattus, mais, par chance, il connaît un hôtel pas cher du tout dans la partie sûre de la ville…

    N’oublie pas alors: si le chauffeur de taxi te propose de changer l’itinéraire à cause de quelque chose, ou il l’a déjà changé, QUOI QU’ELLE SOIT, LA RAISON, n’écoute pas un seul mot de ce qu’il dit, et soit oblige-le d’aller à ta destination, soit descends, note le numéro de la plaque (plutôt pour mettre de la pression), ne paie rien et prend un autre taxi, ils sont nombreux partout.

    Main Bazar serait le seul endroit en Inde où tout est pour les touristes et pas cher, on peut ne pas marchander dans les magasins – les prix sont optimaux et fixés presque partout, et bien que la boue et le bruit soient mixés ici en proportions diaboliques et suspendus en l’air 24/24, c’est quand même un endroit pratique pour le transit. L’abondance des touristes européens y joue aussi. Il est facile de trouver un copain pour aller quelque part ensemble, fumer, faire l’amour à la va vite, ou bien causer tout simplement et se quitter.

    Puisque presque rien de ça ne m’intéressait pas, je ne me suis pas arrêtée alors dans le plus fréquenté Ajay Guest House, mais j’ai pris une chambre à côté – dans l’hôtel Shelton. Les chambres étaient plus chères – 10 dollars par jour, mais on pouvait y vivre, pas tout simplement passer une nuit. Après m’être reposée, je suis allée déjeuner à Ajay – la cuisine était bonne par là, un restaurant pas cher ouvert 24/24 avec un grand choix de mets, Internet aussi 24/24, on pouvait à tout moment y trouver une table libre, ayant envie de s’isoler. Et si, au contraire, l’envie était de bavarder – des touristes européens de toutes sortes s’y ressemblaient. Le caractéristique important de cet endroit était qu’on ne t’embêtait pas par là. Personne. Il y avait un café sur le toit, où il ne puait pas la rue autant, et le bruit n’était pas si fort. C’était ce dont j’avais besoin.

     

    L’ambiance de Main Bazar était incroyable. J’y allais en pensant de faire une pause et continuer, mais la vie 24 sur 24 enlisait en procurant tout un tas d’impressions, de nouvelles personnes tout le temps, on pouvait les aborder et prendre congé, se retrouver tout seul et retrouver tout de suite des interlocuteurs. Main Bazar est comme une drogue douce. Alors qu’est-ce qu’on m’écrit… on va voir… heeein… un message de ma maman… je vais le lire!  Je vais lire tout ce qu’il y a – j’ai beaucoup de temps maintenant. Quelque chose au sujet des mauvaises herbes… quelles mauvaises herbes? … Ah… je lui avais écrit un message un jour dans lequel j’avais raconté la théorie des émotions négatives étant comme des mauvaises herbes, comme une maladie, qu’on pouvait vivre sans eux, que chacun choisissait lui-même quoi éprouver, et que moi j’avais choisi de ne pas éprouver cette saloperie. C’était curieux de voir comment elle allait réagir… on va voir…

     

    «Le plus je lis ton message, le moins j’aime tout ça. De qui est-ce que tu as appris tout ça?  Du marasme pas caché, sadisme, schizophrénie. Par quoi es-tu tellement ensorcelée?!  Par qui?  C’est tout simplement un système de défense contre le monde extérieur qu’on peut raccourcir:»Allez vous faire… Je vais faire ce que je veux». Tu n’as pas d’expérience de la vie dure, quand on est obligé de se battre pour avoir du pain, vivre était toujours facile pour toi, tu crois alors que c’est ça La Vérité. Il n’existe pas de telle vérité qui serait valable pour tout le monde à 100%.

    Les désirs et attirances sexuelles irréalisés doivent être réalisés donc dans n’importe quelle quantité et qualité, mais les émotions irréalisées (ce qui est la même chose au fond, si l’on y pense bien) doivent être défendues complètement!  Ne pense-tu pas qu’un jour beau ou pas beau elles te brûleront à cause d’une bagatelle quelconque ou une situation inattendue dans ta vie?  Une bête se réveillera en toi, et toutes les émotions non réalisées vont t’inonder – car tu es Homme. Une personne sincère, confiante, curieuse, qui se posent des questions, et justement à cause de ça ne sachant pas encore distinguer le bien du mal. Et là une théorie vraiment diabolique est construite là-dessus. On ne peut pas être aussi aveugle et ouverte, autant sans défense. Je veux que tu reviennes pas comme une prisonnière des théories perverses, mais comme une constructrice de ta vie. Même si c’est séparément de nous, que tu as appelé des cadavres si crânement et sans aucun doute. (Certain Lénine a dit que «qui n’est pas avec nous est contre nous» en appelant à une désolidarisation catégorique et même l’élimination des hétérodoxes. Une religion communiste. Ca te rappelle rien? )

    Un champ avec des mauvaises herbes est peut-être une belle image. En théorie. Mais pas en pratique. Parce que c’est un champ sans vie. Même les mauvaises herbes ne poussent pas sur de la terre morte. Là où une bonne graine s’acclimate, une mauvaise herbe essaye de pousser aussi – ainsi est la vie. Il ne vaut pas la peine alors de transformer sa vie en un polygone d’essai en bitume pour des théories étrangères. Tu es une femme. Tu es une future mère. Et celui qui t’a mis tout ça dans la tête est un loup solitaire. Et sa théorie est bestiale, de loup. Il te mangera, rotera les restes et dira que c’était la vie. Et il aura raison selon sa logique de loup.

    Prends-en, des théories quelconques, trie ce qui t’aidera vraiment à construire un foyer, et pas tout démolir, aller dans un asile psychiatrique, etc. Je suis sûre que si ton âme reste intacte maintenant, bientôt elle verra les côtés négatifs de cette théorie. C’est une théorie pour ceux qui ne vivent que pour eux et pour personne d’autre, et pas pour toi.»

     

    Voilà, j’ai reçu les réponses à mes questions. Effectivement, elle CHOISIT ELLE-MEME justement d’éprouver des émotions négatives, elle y a mis une base théorique. Incroyable… elle croit alors, ma mère, qu’une personne sincère, confiante, curieuse c’est exactement celle qui a des émotions négatives, sans lesquelles donc il ne reste qu’un champ mort!  Comment est-ce que j’ai pu ne pas voir ça en elle avant?  Et pas seulement en elle… qu’est-ce que je connais d’ailleurs de tous que je connais?  Et c’est qui exactement que je «connais»?  Ben, personne – que des images floues, plus ce que j’y ai rajouté moi-même. Et pourquoi cela ne m’est jamais passé par la tête que pour connaître quelqu’un, il faut lui poser des questions – beaucoup de questions, des questions qui sont importantes pour moi-même, pour voir ce qu’elle répondrait à ces questions, et en conséquence de ça, former son attitude envers la personne, car ce sera une réalité vraie, pas inventée. Ce serait intéressant de faire une liste comme ça… Alors quoi d’autres… Un message de mon père… super… Les premières phrases saisies par mon regard ont provoqué un coup de nausée:

     

    «La base principale dans la vie c’est la famille. Ta famille n’a pas réussi, mais nous avons été avec toi. Tu avais et tu as toujours la famille qui t’aime et qui est prêt à venir à ton aide. Quoi qu’il arrive il ne faut pas te décourager. Il faut croire en soi et ses proches, qui ne trahiront pas, et grâce aux efforts conjoints avec eux on peut tout surmonter…»

    «Après ta dernière lettre (si on peut l’appeler comme ça) un lourd sentiment d’inquiétude ne me quitte pas. Un ressort s’est cassé, qui me tenait dans la forme due. J’avais très mal et très peur de voir devant moi une personne absolument inconnue en tant que ma fille…»

    «Tu étais une enfant merveilleuse…»

    «On vivait de ta vie à l’école. Tes intérêts étaient nos intérêts. Nous sommes allés à toutes les réunions, prenaient part à tous les évènements. Nous discutions sur les problèmes qui survenaient à l’école. Tu nous parlais de tes copines, des évènements différents à l’école. Tous ça ne restait jamais sans notre attention…»

    «Je voudrais comprendre pourquoi tu a fait confiance aux gens absolument inconnus. Où sont les preuves du fait que c’est une voie vers le Dieu?  Tu as cru des personnes qui poursuivent des buts macabres. Tu as cru des gens complètement inconnus et tu les as suivi dans nulle part, en rayant tout et tous de ta vie.»

    «Ce sont des méthodes qui démolissent une véritable personnalité…»

     

    Ouf… j’en ai assez!  Il s’avère que l’élimination de la haine, l’irritation, et d’autres merdes démolit une véritable personnalité!  C’est clair… Je vais faire une chose – j’écrirai un message à tous mes copains. Je vais décrire brièvement ce que je pense au sujet des émotions négatives et concepts, et je leur demanderai ce qu’ils en pensent. On va voir alors, on va faire ressortir la vérité.

     

    A l’ordinateur à côté quelqu’un a fait un geste impulsif de la main – un homme d’une quarantaine d’année, vu le visage et les émotions exprimées dessus – il doit être loin de la pratique de la voie directe. Mais qu’est-ce que je connais des gens… qu’est-ce que je connais des gens ordinaires, simples?  De quoi ils vivent, pourquoi demeurent-ils dans ce flot ininterrompu des émotions négatives, pourquoi ne souhaitent- ils pas se débarrasser des faux concepts?  Pourquoi?  Peut-être à les voir de l’extérieur m’aiderait à jeter un coup d’œil plus objectif sur moi-même?  Ici l’endroit est formidable pour communiquer avec du monde. Aujourd’hui la personne est là, demain elle est déjà à mille kilomètres, aucune responsabilité, ni peur de lâcher un propos déplacé et que ta femme/ton mari ou ton collègue l’apprendront. Est-ce possible que cela rende les gens plus sincères?  Je suis une belle jeune femme sexy, tout le monde voudra me parler – aussi bien une fille qu’un gars.

    J’ai quitté la pièce avec Internet, je me suis installée à une table, comme une araignée sur sa toile. J’attends une victime!

    Voici mon voisin de toute à l’heure… il s’est excusé de m’avoir touchée avec sa main, il ne pourrait pas alors se retirer… je lui ai fait signe de la main, bien sûr… il ne pouvait pas refuser à une poupée aussi jolie et sexy.

    Il vient de l’Autriche, en vacances…un physicien…hein, un astrophysicien, et de quoi vit un astrophysicien, c’est quoi qui te trouble, chéri, quoi qui t’attire?  Dis, ta vie m’intéresse tellement… J’ai fait une moue intéressée et réfléchie, c’est curieux – qu’est-ce que la personne allait raconter de sa vie?

    – Tu sais, Maya, je suis absolument sûr qu’il y a de l’eau sur la Vesta!  Donc…

    – Où ça?

    (Bah… Un éclat de mécontentement, même d’’irritation!  Avant je n’aurais pas remarqué, mais maintenant ça saute aux yeux comment son visage s’est transformé. Avant je l’aurais pris pour une réaction tout à fait normale – puisqu’on parlait du plus cher, et là on l’a interrompu pour poser une question stupide…)

    – Ben, sur la Vesta, Maya… Tu comprends, ce ne sont que des gens primitifs qui croient qu’il n’y a que neuf planètes dans le système solaire…

    (C’est curieux comment son visage s’est tordu quand il a dit «des gens primitifs»… c’est quoi ça – je vais voir TOUT CA en tout le monde désormais??! Mais comment vivre, comment continuer à communiquer? )

    -… mais en réalité c’est une question d’un accord. Par exemple, Vesta est un sujet des plus intéressants, incroyable!  Certains croient que c’est tout simplement un grand astéroïde, mais c’est justement une petite planète, crois-moi. Je peux te raconter beaucoup de choses curieuses sur elle…

    (le contentement de soi, l’orgueil…qu’est-ce qu’il est primitif, pourtant il a l’air respectable, comme un professeur, voyons, voyons – croit-il vraiment que ce qu’il raconte soit captivant?  Et on peut vivre de ça? )

    – … elle circule entre les orbites du Mars et du Jupiter, son diamètre est seulement 576 kilomètres, tu imagines?  Une planète aussi minuscule, une boule aussi mignonne. On peut la voir à l’œil nu, parce que l’albédo est très haut – à peu près 25%…

    – C’est quoi qui est haut?

    (Il parait que ce qui le vexe le plus c’est que je pose de telles questions sans façon. Cependant j’ai envie de dessiner un sourire malhabile ou faire d’autres choses.)

    – L’albédo. C’est une valeur qui caractérise la capacité réflective de la surface d’un objet. Tu ne comprends pas, je suppose?  Elle est mesurée par le rapport de la quantité de la lumière reflétée par la surface à la quantité de la lumière qui y tombe. Tu comprends?

    (Dans ce «tu comprends» il y a de nouveau un mécontentement, quoi que faible, un dédain. Peut-il dire au moins quelque chose sans émotions négatives? )

    – Oui, maintenant je comprends. La lumière du soleil est reflétée, et on la voit.

    – Justement. Donc, imagine que cette petite planète a un noyau métallique à l’intérieur, comme la Terre!

    – Ah bon!

    (J’ai dit «ah bon» de manière très affectée, exprès, c’était même gênant, qu’il allait finir par comprendre, se sentir offensé, mais pas du tout!  Il est aveugle comme une taupe! )

    – Et oui!  Et je suis sûr qu’il y a de l’eau sur la Vesta!

    (Il s’est rejeté en arrière sur le dossier de la chaise, en jouant avec la fourchette, le regard victorieux. Il est imbécile ou quoi?  Comment ne voit-il pas que mon intérêt est affecté, car je ne fais même plus semblant – je jette juste des phrases attendues en le regardant ouvertement comme un idiot!  Il est con alors. Et bah… Pourtant il est grand scientifique…) Tu es un grand scientifique, n’est-ce pas?

    – Oh oui, je suis responsable d’un laboratoire, j’ai sous ma direction… nous sommes en train d’examiner…

    (Ca y est, c’est parti… Et ben, un grand scientifique, avant je me serais figée en l’admirant, je me serais mise à rajouter à son image jusqu’à ce qu’elle me plaise, mais là j’avais devant moi un individu pas très malin, malheureux et malade. Et quoi alors, s’il mate à travers sa longue-vue et dessine des chiffres?  Et quoi, si les autres le croient spécialiste, une personne importante?  Il est tellement… sans défense, naïf et empoisonné par sa vie. Comment le tourner plus près de la réalité… je me demande comment il est en famille, au lit…)

    – … un télescope britannique… les îles Hawaï…

    (Avant je vivais aussi de tout et n’importe quoi, mais le plus important, ça se trouve, je loupais…je ne voulais pas y réfléchir?  Mais si… je ne pouvais pas, je ne savais pas «comment», comme s’il fallait en savoir quelque chose. Une chaîne…)

    – …et maintenant nous sommes absolument sûrs qu’il y a de l’eau. Nous savons que pendant sa formation la Vesta a vécu un écart de température très puissant, toute l’humidité en a été évaporée, et voilà une question – d’où provient l’eau sur elle maintenant?  Et voilà la réponse, Maya – l’eau sur la Vesta a apparu en conséquence d’une collision avec un autre corps céleste!  La question – avec lequel?  Et là le plus intéressant commence…

    (Chouette –et si je… non… ben quoi – une idée géniale…)

    -… c’est déjà Olberse en 1802 a calculé…

    (Et ben quoi?!  Pourquoi pas?  C’est quoi qui m’empêche?  Qu’il est si respectable?  

    Mais c’est un gosse…)

    – … tourne autour de son axe avec un période de 5,43 heures…

    (Je suis tout simplement obligée de le faire, obligée de surmonter la gêne.)

    – … et les changements réguliers du spectre et des couleurs qu’on observe servent de preuve du fait que sa surface est irrégulière, la Vesta n’est pas un fragment d’un grand corps, c’est une véritable mini-planète, qui est conservée presque intacte de l’époque de la formation du système solaire!  Il y a quatre milliards d’années elle avait un noyau fondu!

    – Mais à quoi bon j’écoute tout ça?

    (C’est comme d’hab – je voulais dire une chose, une autre en est sortie.)

    Il est vexé… Il semble avoir compris que ces trucs ne m’impressionnent pas…

    – Je suis sûr qu’il y a une autre petite planète qui tourne à peu près sur la même orbite que le Pluton, mais cette partie du système solaire est littéralement couverte de petits cailloux et morceaux de glace, on ne la découvrira jamais… je ne prouverai jamais que cette planète est là… je l’ai calculée, je sais qu’elle se trouve sur l’orbite résonnant par rapports au Neptune… je ne le prouverai jamais, et quand on la trouvera quand même, on ne l’appellera pas par mon nom, personne ne se souviendra que j’ai parlé de son existence…

    C’est ça alors, c’est le sens de ta vie, devenir une ligne dans une encyclopédie, un paragraphe dans l’histoire de l’exploration de l’univers, un chapitre dans le roman des découvertes de petites planètes… les gens vivent pour se transformer en lettres.

    – Ecoute,- je me suis penchée au dessus de la table en le prenant par la main. – Tu as pris une chambre ici à Ajay?  Viens, on va chez toi, viens… tu me parleras de la planète Vesta, du noyau… allez, viens.

    … Ca fait une demi-heure que je suis tout simplement assise sur sa queue en faisant des va-et-vient… j’aime bien… il a essayé de dire quelque chose, mais je lui ai fermé la bouche avec ma main. Sa queue est mignonne, grosse et large. Je pensais qu’elle ne rentrerait pas… mais non – elle est très bien rentrée. Je pensais bien que dans le sexe il sait faire moins que dans l’astronomie. La première fois il a joui quand je l’ai fait s’asseoir sur le lit, en me mettant entre ses jambes et je l’ai prise dans la bouche. Le sperme était épais, il doit se masturber rarement, bien sûr, c’est indécent – un professeur, responsable d’un laboratoire et se masturber… il doit ressentir des remords à chaque fois qu’il se branle… Je ne l’ai pas avalé, j’en ai pris plein la bouche, j’ai enlevé mon t-shirt, l’ai pris par la nuque pour l’attirer vers moi, ensuite j’ai saisi sa queue dans ma main pour la branler – qu’il regarde: toute ma bouche est pleine de son sperme, toute la langue, les lèvres, le menton – tout est en sperme, il coule de ma bouche, sur le menton, des gouttes tombent sur la poitrine et le ventre… Je me sens une sorcière… Je suis comme ça aussi! … .Là il a joui tout de suite et pour la deuxième fois – presque sans répit. Je le déshabille en mettant à genoux, je mets un condom sur mes deux doigts en le trempant dans le sperme, je lui montre – regarde, c’est mouillé avec ton sperme, je le mets doucement dans son cul et je commence à le baiser … où est la prostate, elle est là… une petite bosse sur le côté antérieur, à l’intérieur de son cul juste à la distance d’un doigt… ou une queue… je n’ai pas de queue… je vais lui astiquer cet endroit un peu plus intensément… hein… il se met à grogner… respirer, grogner… mon dieu, comment ça me chauffe… pourvu que je ne jouisse pas moi-même… il a joui encore… il va peut-être se torturer après à penser que je l’ai rendu homo, puisqu’il voudra avoir ce plaisir encore, il mettra des objets différents dans le cul, se procurera un godemiché… mettra des annonces dans le net en recherche d’un homme actif, puis aura des sueurs froides et jettera des messages arrivant… et moi je m’en fiche –chacun choisit lui-même comment vivre. N’IMPORTE quel homme, indépendamment de son orientation sexuelle, a un plaisir immense, incomparable, quand on l’encule doucement en massant tendrement la prostate ; j’avais une connaissance à moi, un jeune homo, il m’en a beaucoup parlé, maintenant je vois moi-même… j’ai mis la théorie en pratique… et si certains choisissent de ne pas voir ce fait, et en plus en avoir des remords, du fait d’en prendre plaisir – est-ce mes affaires?  Non, mes affaires sont d’avoir plaisir maintenant, et lui qu’il voit pour lui tout seul. Après trois orgasmes c’est devenu plus facile pour lui de se retenir, je l’ai mis sur le dos donc, je me suis assise à cheval sur lui et je fais des va-et-vient, en réfléchissant à mes affaires… J’ai retiré mon pied, en le lui mettant dans la bouche – vas-y, fais-y des bisous, lèche… tu n’as jamais fait ça?  Vas-y alors… il suce mes petits orteils, les lèche comme un chiot. Ca te plait?  Bien… et moi aussi j’aime ça… inexpérimenté, juste ne jouis pas encore, professeur de mes couilles… je veux encore rester sur ta queue… sur ta queue formidable…

    Le soir le professeur ne s’est pas montré au café, ni dans le salon Internet – il reste, peut-être, dans sa chambre en train de souffrir… de quoi?  Diable sait – les gens trouvent toujours une raison valable pour souffrir, c’est ennuyeux d’y penser même. C’est une curieuse affaire… premièrement, de surmonter sa stupeur – aller draguer ainsi un homme solide, un professeur important. C’est intéressant de trouver en lui un simplet, un poussin. En plus, de voir que je ne peux pas ne pas remarquer certaines émotions négatives qu’une personne éprouve, et c’est important aussi de voir que les choses comme «la science», «un professeur» ont cessé de m’impressionner, sous ces paillettes je discerne facilement justement la personne comme elle est, sans cette pelure qu’il se met dessus spasmodiquement en essayant de se protéger… de quoi?  Il est peut-être parti… et oui, il a dû partir, le soir beaucoup de bus et de trains partent de Delhi dans tous les sens. Et moi je suis restée. Pour encore une journée. Le bus à Daramsala part tous les soirs à cinq heures et pour avoir une bonne place il faut acheter le billet un jour avant. Aujourd’hui je n’ai pas acheté le billet – donc, encore au minimum deux jours à passer ici. Je reste au café, j’écris dans mon calepin.

     

    «**octobre.

    Un essai du contrôle concret des EN, leur élimination.

    L’ennui – 5 secondes. Eliminé?  Supprimé?  Pas clair… Une joie calme?  Je ne sais pas… peut-être faut-il essayer de provoquer quelque chose que je voudrais éprouver justement maintenant?  Et qu’est-ce que je voudrais éprouver justement maintenant?  Quelle perception illuminée?  Euh…comment le saurai-je si j’éprouve de l’ennui, je n’arrive pas à l’éliminer, il me semble que je le supprime, mais je n’ai pas de perception illuminée, comment puis-je alors… un cercle fermé… assez de bla-bla, je ferai ce que je peux. Si je n’arrive pas à provoquer en moi la joie calme, je vais tourner le souvenir d’une situation quelconque- par exemple, je vais me rappeler les pattes de Kam et ses yeux…ou les mains de Sart… ou l’odeur de la chatte à Taîga… comment tout ça est loin…comme si deux semaines se sont écoulées depuis notre rencontre.

    L’ennui. Hein, ce qui est aussi important – je vais noter la force d’une émotion qui apparaît selon l’échelle de 1 à 10, et puisque je ne sais pas les éliminer avant l’apparition d’une perception illuminée, je noterai avec le deuxième chiffre la force de cette émotion après un essai d’élimination-suppression.

    Le mécontentement (M) causé par un cri fort provenant de la rue – 3,3 secondes, 1.

    L’irritation (I) provoquée par le souvenir du moto rickshaw qui a failli me reverser – ça coûte trois fois rien à ces Indiens de te reverser, ce qui importe pour eux c’est ne pas heurter une autre voiture- ça c’est important, mais renverser quelqu’un, bof… Au lieu d’éliminer l’irritation je me suis mise à réfléchir aux Indiens, et lors de ces réflexions je maintenais cette émotion négative (EN), je ne l’éliminais pas… il semblait – ces réflexions étaient si légitimes, et le mécontentement était légitime aussi… merde…

    Le M provenant du fait que la jambe s’est engourdie. Sa force 2 – 3 secondes – la force 1. Il faut noter plus brièvement: 2-3-1.

    L’inquiétude – et si le physicien n’est pas parti, il va entré, se sentira gêné et moi aussi… mais pourquoi au diable je me sentirais gênée… il ne faut pas réfléchir, mais éliminer l’inquiétude!  Dix secondes de réflexions, et tout ce temps là l’inquiétude continue à demeurer en moi, se développer, se renforcer.

    L’irritation – quelqu’un a allumé une cigarette, pourtant il y a partout des pancartes ici – «interdit de fumer! » L’éliminer… mais l’odeur est dégueulasse…éliminer… merde, il fume…

    L’embarras – aller lui dire qu’il ne fume pas. Je n’arrive pas à l’éliminer. Juste à l’imaginer, l’embarras augmente, ça fait peur de tout simplement… je vais le faire alors comme ça, tout simplement!  

    Le temps d’y aller et de préparer la phrase comme quoi je n’aimais pas cette odeur et il ne fallait pas fumer ici – l’inquiétude était de 8. Au moment de la conversation même – elle a baissé elle-même jusqu’à 5. Après avoir vu sa réaction bienveillante – il s’excusait – 0. C’est curieux que l’inquiétude soit la plus forte non quand on fait quelque chose, mais quand on s’y prépare. Lorsqu’on se met à faire un truc, l’inquiétude en tant que telle diminue – je l’ai remarqué dans des situations différentes. En tout cas, mes efforts n’y sont pour rien.

    La préoccupation – ce que les gens que j’ai abordés avec la demande de ne pas fumer allaient penser de moi. Mais quelle importance… pas réfléchir, mais éliminer!  Assez de noter pourquoi telle ou telle connerie a apparu – quelle importance?  Il importe que ça apparaît presque sans cesse, et il faut l’éliminer sans réflexions.»

     

    Une demi-heure plus tard j’ai eu envie de bouger, faire des pompes, me dégourdir (sauter sur quelqu’un). Le travail du guet et de l’élimination des EN est un truc terriblement épuisant… Pourtant je n’ai même pas été confrontée sérieusement au problème même de l’élimination des EN – là il est clair que je n’y arrive pas du tout ou presque, même au cas où elles ne sont pas fortes, effacées. J’ai découvert qu’il était très difficile de justement surveiller si j’éprouvais des EN ou pas à un moment donné. J’étais obligée de revenir tout le temps au processus de surveillance, je m’»endormais» constamment, en zappant sur des réflexions ou des fantaisies, et en remarquant par ailleurs que j’avais eu un tas de petites EN. Un obstacle inattendu… Je pensais que le plus important c’était d’apprendre d’éliminer les EN, mais il s’est avéré qu’il fallait en plus savoir les guetter, sans se laisser emporter par le flot habituel. Comment m’y prendre?  Comment… peut-être, comme ça – ne pas arrêter d’essayer. Qui m’a dit – il semble que c’était Taîga – que quand j’aurai une centaine de telles notes, on verra alors. Bien, je n’en ai qu’une pour l’instant, et elle est toute tordue, il y a plus de mots que de chiffres réels qui témoignent des efforts réels.

     

    Une femme. Elle s’est installée à une table à côté, m’a demandé de lui passer la salière. Je la lui ai passée en souriant et en frôlant sa main, comme par hasard. Elle m’a rendu le sourire – le sourire était, bien sûr, tendu, mais ça irait en tant qu’un prétexte.

    – Pas assez salé?

    – Non…

    – Leur cuisine est un peu bizarre – j’ai commandé des œufs half-boiled, mollet, poché, avec le jaune liquide et le blanc cuit, la première fois on m’a apporté des œufs durs, et la deuxième – presque à la coque, le pauvre serveur a failli fondre en larmes quand je l’ai renvoyé refaire des œufs pour la troisième fois, même le maître d’hôtel est venu, l’a grondé…

    Hein, elle a mordu à l’hameçon… La conversation a intéressé la femme, bah… c’est si facile d’attirer l’attention des gens… Elle s’ennuie, comme tout le monde, comme tout le monde elle veut de l’attention. Je me suis déplacée à sa table, on a fait connaissance, je voyage tout simplement, et toi?  Des affaires?  Ah… bien… intéressant… oui… Je sais déjà donner des phrases, qui montrent l’intérêt à ce que l’interlocuteur dit, sans réfléchir. C’est commode tu dis des «euh», «à bon», c’est curieux», en les mettant dans n’importes quelles places dans la conversation et tout est OK. Ils sont aveugles tous ou bien endormis?  Ca ne se voit pas dans mes yeux que ça m’est complètement égal ce qu’elle raconte?  Mon dieu – ils n’arrêtent pas de dormir tous…

    – Ma petite Maya, vers le 2020 déjà des centrales électriques solaires et éoliennes (personnelles – vous vous rendez compte! ), des détecteurs des émissions dangereuses, des voitures roulant à l’hydrogène, des frigos commandant tous seuls des produits dans le supermarché à côté seront à la mode – dans des pays développés, bien sûr… Vous venez d’où, Maya?  Ah, la Russie, c’est curieux… quant à la Russie, je ne sais pas… je suis venue justement en Inde pour étudier le système économique du tiers monde – cela nous aide à faire des pronostics, et les pronostics sont très importants, car ils permettent de définir des stratégies…

    (Une anglaise. J’ai entendu que les anglaises sont toutes frigides. C’est tout à fait possible… à la voir, je n’arrive pas à imaginer que je la caresse – il survient une sensation d’aliénation, le refus de fantasmer, comme si ce que je vois en son corps, ses manières ne résonnaient pas avec ma sexualité. Je me demande ce que ça veut dire – qu’elle n’est pas mon genre ou que, effectivement, elle est frigide?  Comment vérifier?  Ben, c’est assez simple d’ailleurs…)

    – … dans de grandes villes des bouchons ne seront qu’un souvenir désagréable, puisque la grande partie de la population travaillera chez soi. Les employés communiqueront avec leurs managers à l’aide de l’Internet à haut débit et des téléphones mobiles minuscules marchant à l’électricité produite pas le cerveau…

    (Des gens viennent, prennent leurs petits déjeuners, leurs déjeuners, passent la nuit et continuent leurs chemins… Demain matin je revendrai ici, et il n’y aura presque aucun de ceux qui sont là aujourd’hui.)

    – … des toilettes seront reliés aux laboratoires médicaux, qui feront régulièrement des analyses des produits de l’activité vitale, et donneront des recommandations de changement de mode de vie ou d’alimentation. Des ordinateurs remplaceront définitivement des télés et des chaînes hi-fi…

    (C’est curieux de se déplacer entre deux types de perceptions de cette femme – d’abord, en la regardant comme à travers de ses paroles – pour la voir nue, chétive, sans défense, malingre, bête!  Et oui, justement bête, malgré le fait que ce n’est pas possible pour moi de lui faire la concurrence dans les calculs de perspectives stratégiques pour l’année 2020. On peut aussi bouger la manivelle pour la voir telle qu’elle se voit elle-même, comme ses collègues et d’autres gens la voient –une femme intelligente, résolue, raisonnable, respectable. Va- et- vient, va-et-vient… Ce jeu d’interprétations de perceptions procure même un certain plaisir, même la chatte y répond!  Ou non, pas la chatte, quelque chose plus profond… l’utérus?  Je ne m’attendais pas du tout que mon utérus puisse participer à de tels trucs comme le changement d’interprétations… mais qu’est-ce que je connais de moi… je commence seulement à me connaître.)

    – … cependant le progrès technique donnera certaines surprises pas très appréciables, ma petite Maya. Par exemple, nous envisageons l’affaiblissement important de la fonction productive chez les hommes, puisque l’utilisation des grandes quantités de produits chimiques et d’hormones nuira à la qualité du sperme. Par conséquent, beaucoup de familles auront des enfants adoptés, nés dans des pays «moins civilisés», et c’est un autre grand objectif de mon voyage d’affaires – obtenir plus d’information détaillée sur le matériel génétique…

    (Et bah – c’est un bon prétexte de comprendre mon attitude sexuelle à son égard, ou plutôt l’absence de telle! )

    – Ah, bon?  La qualité du sperme va baisser?

    – Oui, exactement. (Bien, je remarque qu’elle est un peu embarrassée.)

    – Il changera de goût – ou quoi?  Il ne sera pas bon?

    A l’autre côté de la table – un choc mal dissimulé, le regard est tombé, les mains tremblent, ça va vite, voilà qu’elle se reprend en main, un faux sourire, comme si elle avait compris et apprécié la plaisanterie, mais j’ai déjà tout compris – cette femme est vraiment frigide, ma sexualité ne m’a pas trompée. Bon, il est temps de dire au revoir, j’ai appris un truc très intéressant – le déplacement des points de vue, un déplacement volontaire de l’un à l’autre. Cet effort… comme s’il rajoutait quelque chose dont je manquais dans mes essais d’élimination des EN. Exact… C’est pourtant la même chose – le changement des points de vue, le changement de sortes de réactions à une situation donnée – là une EN est présente, et là – non plus, car elle peut ne pas être là, et voilà qu’elle n’y est pas. Il y a une EN – il n’y en a pas. Une femme très intelligente – une femme bête et frigide. Va-et-vient. Très curieux!