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Chapitre 36

Main page / «MAYA». Livre 1: Force mineure / Chapitre 36

Le contenu

    «** octobre.

    En chacun de nous une question inexprimée demeure, en transperçant notre perception, parfois, en explosant en paroles. Et les réponses qui viennent en éclats de lucidité, en scintillements de sentiments inhabituels, ne font que l’aiguiser, la retourner pour montrer une nouvelle facette.

    La position de «l’ignorance»« que Kam a montrée m’est très proche. Il ne reste que apprendre à sortir du rail habituel des pensées. D’ailleurs, c’est quoi l’espace et le temps?  Je vis comme si j’en savais quelque chose, mais c’est du mensonge, destiné à calmer, et en réalité, à meurtrir!  L’espace… il est naturel de poser des questions sur l’espace en état de contemplation, d’observation du monde. Comment une rivière coule, comment le vent se déplace, une feuille tombe, des jambes s’écartent… ; comment un mouvement se passe, ce que c’est et où il se passe, ce que ça veut dire – en dehors, à l’intérieur, près, loin, lentement, vite… On sent que toutes les réponses de la raison sont du mensonge, mais on n’a pas d’autres, tout ce qui reste à faire alors c’est d’accepter franchement qu’on n’en sait rien, et observer ce qui se passe. Et des choses extraordinaires commencent à avoir lieu.

    Voici ma chambre, j’y passe quelques heures de ma vie, et je me suis habituée à trancher tout ce qui «vient du dehors» – de derrière les murs, mais pourquoi?  Qu’est-ce qui m’empêche de percevoir ce qui est «caché» derrière le mur?  C’est caché pour les yeux, mais est-ce que je ne perçois qu’avec les yeux?  Avec quoi je ressens de la tendresse, des désirs, d’autres sentiments impossibles à exprimer?  Pourquoi le mur est-il un obstacle pour eux?  Juste parce que j’ai l’habitude de penser comme ça, et en fermant la porte derrière moi, je me ferme en moi-même. Avant cela aidait même, en servant d’abri de ce qui gêne, provoque des souffrances, mais quel est le prix d’une telle fuite?  Je ne suis pas prête à payer un tel prix, et maintenant au moment où la rencontre avec des émotions négatives, des faux concepts et d’autres facteurs nuisibles n’est plus une chose importune, dont je voudrais me cacher, maintenant quand je suis prête à les affronter pour voir plus clair – il est possible que je mette en marche arrière le mécanisme de la meurtrissure artificielle du monde. Quand je pense à ça, des flammes de l’état de transparence, un état incroyable, se font ressentir – pour des fractions de secondes, mais ça suffit pour ressentir. La sensation de l’espace fermé, de la présence des gens disparaît, or, on peut sentir la présence de quelqu’un qui, en réalité, se trouve loin. L’image visuelle se dissipe, tout s’entremêle… les contours des objets deviennent flous, des objets eux-mêmes tantôt deviennent mi-transparents, tantôt changent de contours, ou de placements dans l’espace, ils peuvent complètement disparaître du champ de vision ; la même chose se passe avec des sons… la perception devient intégrale, tout se perçoit ensemble. En ses fractions de seconde je ne peux même pas dire où je me trouve – à l’intérieur ou dehors, il n’y a pas d’intérieur, ni dehors. Tout ce qui reste – c’est la sensation de l’espace, qui coule à travers de moi, indépendamment de où je me trouve, ni de ce que je fais. La perception de soi locale disparaît aussi, comme si je me dissolvais dans l’espace… je fais un mouvement ou bien c’est le mouvement qui se fait en moi…?  

    Quand je me promène, la vision panoramique se joint à tous ces moments, je ne regarde rien directement… on ne peut pas dire que je regarde quelque chose en particulier… des gens, des voitures… le regard se dissipe sans s’accrocher aux choses. Le monde ruisselle à travers de moi, surtout les arbres – c’est une sensation inexprimable, comme si je passais un arbre à travers de moi, comme si je vivais avec lui en unisson pendant un certain moment.

    En général, la perception du corps change ; je sens que les mouvements du corps habituels… c’est comme une façade, que en réalité je bouge autrement… mais comment – je n’arrive pas à saisir pour l’instant.

    J’observe le ciel en me rendant compte qu’il est déjà à l’intérieur, je suis remplie de ciel, je coule et je bouge avec lui. Ou dans un parc, je regarde une feuille tomber, ensuite une autre, tout l’espace est rempli de ce mouvement, je commence à tomber avec chaque feuille, ici et là, simultanément… je sens la perte de localisation, la dissolution dans l’espace. J’ai un penchant naturel vers l’observation, avant aussi je pouvais passer des heures à rester tout simplement sur le rebord de la fenêtre en regardant le ciel changer au coucher du soleil, ou l’orage se calmer, quelque chose se passait en moi, mais avant que je fasse connaissance avec des pratiquants, avant que je redonne de la COMPREHENSION à ma vie, que, eux, ils me donnent à moi, il n’y avait pas de lucidité quant à ce qui m’attirais dans cette occupation, ni de sensation de direction – où avancer. Maintenant le sentier, qui se laissait tâter dans l’obscurité, se met en chemin sous les pieds, sur lequel je peux avancer les yeux ouverts, et en le prenant je tombe sur des gens et des sensations extraordinaires».

    J’ai entendu quelqu’un frapper à la porte et j’ai mis mon calepin de côté pour aller ouvrir. Qu’est-ce que je n’aime pas quand les employés de l’hôtel viennent dans ma chambre!

    – C’est qui?

    – Ouvre, petite pute!

    Taîga!  J’ai entrouvert la porte pour la laisser glisser à l’intérieur. Je suis toute nue pourtant… Je veux tellement jouer avec elle!

    Je lui ai indiqué le lit, en la poussant légèrement, je l’ai déshabillée vite et voilà qu’on se vautre toutes nues en s’examinant mutuellement. Je tends ma main pour caresser son sein, mais Taîga a attrapé mon poignet avec un mouvement brusque.

    – Maintenant tu as un mécanisme contraire, ah?  Si deux filles passionnées se vautrent dans un lit ensemble, ça veut dire… quoi?  Exaact – ça veut dire qu’il faut commencer à se toucher et faire l’amour. «Il faut». «Ca veut dire». – Taîga a pincé les lèvres, m’a attirée vers elle, sans laisser mon poignet, et presque en mettant son nez contre le mien, a dit lentement, – «Il faut» – c’est le fond du cercueil de ta sexualité, et»ça veut dire» – c’est le couvercle. Tu es un petit poussin dans le sexe, Maya, c’est pourquoi à chaque fois, tu comprends?  – à chaque fois, que tu veux faire quelque chose en faisant l’amour, pose-toi la question: «est-ce que je veux faire ça maintenant». Tu es sûre que maintenant tu veux justement caresser mes seins?  Et pas embrasser mes pieds?  Pas t’asseoir sur moi à cheval?  Pas me prendre dans tes bras et passer la main sur mes cheveux?  Tu crois qu’il n’y a pas de grande différence quoi faire et en quel ordre?  En te disant que de toute manière je peloterai ses seins – je peux le faire maintenant alors, n’est-ce pas?  Du point de vue de ta raison – c’est comme ça, mais ta sexualité pense autrement. Moi, par exemple, tu sais ce que je veux en ce moment … je veux faire ça, – Taîga m’a laissée, s’est accroupie et s’est mise à caresser le côté extérieur de ma main très lentement avec des bouts de ses doigts.

    – Comme ça… – ses petits doigts caressaient des petits creux entre mes doigts, en les touchant à peine, ils se déplaçaient sur ma main tantôt en haut tantôt en bas, ils touchaient les bouts de mes doigts, retournaient en arrière, je ne détachais pas mon regard de ses yeux, et tout à coup une sensation douce et visqueuse a apparu en bas du ventre, quelque part au fond même. J’ai reconnu cette sensation, c’était elle – celle que j’avais éprouvé à Rishikesh. Maintenant comme si des fils se tendaient de cette douce boule en haut, en se tissant autour de ma poitrine, en pénétrant dans la gorge, un jet chaud se versait dans mes bras pour joindre la main que Taîga caressait. La zone de la chatte et du clitoris restait non touchée, mais la partie haute du corps… une chose extraordinaire s’y passait.

    – Le sexe est un monde merveilleux, mais il s’ouvre qu’à ceux qui permettent à leur sexualité de vivre, de respirer et de se développer. Cela n’arrivera pas si l’on n’élimine pas les émotions négatives – sans ça rien du tout n’est possible. Cela ne se passera pas si l’on n’élimine pas tous les concepts qui radotent «il faut», «ça veut dire»,»c’est interdit», pour cela il faut aller à l’encontre de sa sexualité, l’aider. – En disant ça Taîga a poussé tout à coup son doigt avec force, fermement et rudement, juste entre mon majeur et mon index, j’ai frissonné de tout mon corps – la sensation était presque aussi forte comme si une queue chaude est entrée dans ma chatte, cependant tout ça je le ressentais dans la poitrine, dans les bras et la gorge, en plus, j’avais une sensation comme si le plaisir coulait de mes yeux dans les siens, ou bien, au contraire… mais en tout cas, le fait qu’on se regardait dans les yeux m’excitait plus que quoi que ce soit, je n’avais même pas envie que tout ça se déplace en bas, vers la chatte – peut-être parce que ce serait alors plus ordinaire, mieux connu.

    – Comment l’aider, Taîga?

    Elle s’est penchée vers moi, ses lèvres presque touchant les miennes.

    – Répète ce que tu as dit.

    – Comment… – Taîga s’est approchée encore un peu plus, et quand mes lèvres bougeaient en posant la question, elles touchaient doucement les siennes.

    – Comment… l’aider… Taîga…

    A ce moment là elle a pris la parole, et nos lèvres ont continué le jeu.

    – On peut aider sa sexualité à se réveiller, on peut aller à son encontre. Tu aimes te masturber?

    – Oui…

    – Tu me montreras… après… comment tu te caresses?

    – Oui…

    – Tu veux me le montrer?

    – Oui…

    – Tu veux… indécemment… écarter… tes jambes… pour que je regarde…

    – Oui…

    La sensation douce chatouillante dans les lèvres est devenue presque insupportable, et à ce moment là elle a passé sa langue avec force sur mes lèvres, ma joue, mes yeux et mon nez, encore et encore!! Comment n’ai-je pas joui… je ne sais pas, une vague de grande excitation est venue brusquement pour me frapper de haut en bas, pour saisir mes hanches et les enflammer. En me mettant de côté je respirais comme si trois males costauds m’avaient baisée durant deux heures.

    – Je veux être comme toi, Taîga, je veux avoir un corps vivant.

    – Viens, – Elle s’est levée, s’est rhabillée, et pendant que je me ressaisissais et mettais mes vêtements, me disait:

    – Jour après jour, pendant des années, tu tuais ta sexualité à des milliers, des dizaines de milliers de reprises, en lui défendant tout, en la forçant de rentrer dans des limites désespérément étroites du permis. Maintenant elle a besoin d’aide. Quand tu caresses ta chatte, approche-toi du début de la jouissance et restes-y le plus longtemps possible – une demi-heure, une heure – autant que tu voudras. Et à ce moment là permets-toi de fantasmer, saisis les moindres fantaisies, les plus obscures. Note-les obligatoirement et reprends l’affaire. Dresse une liste des fantasmes qui te viennent dans la tête pendant que tu te masturbes, ensuite analyse-les. Presque tout de suite tu verras qu’il y en a parmi eux «des inadmissibles» – ceux que tu crois indécents quand tu es dans un état non excité. Là il faudra t’arrêter et faire comprendre à ton cerveau stupide que si quelque chose t’excite – c’est alors décent, c’est sexuel, et la prochaine fois reviens à ton fantasme, développe-le, en restant sur le point de jouir. Ainsi, on peut casser le mur d’interdictions conceptuelles, et bien sûr, la voie la plus directe pour passer à l’étape suivante est d’essayer de réaliser ce que tu auras fantasmé. Et ça c’est quoi?  – Taîga a pris mon calepin et l’a ouvert.

    Ma première réaction était d’attraper le calepin, le fermer et le cacher.

    – Tu as des secrets??

    – En gros, non… mais c’est un automatisme. Tu peux lire.

    Taîga s’est réinstallée dans le fauteuil et pendant cinq minutes elle a étudié attentivement mon calepin, tantôt en le feuilletant sans intérêt, tantôt en le lisant soigneusement.

    – Ca t’intéresse?

    – Plutôt oui que non… mais c’est un journal d’un poète, d’un philosophe, mais pas celui d’un pratiquant. C’est un journal inutile, il t’aide tout simplement à doubler ta personnalité, en imaginant un lecteur quelconque, quelqu’un qui ressens avec toi, et ça c’est la voie directe dans la fuite, vers la défaite, vers l’encouragement des émotions négatives oppressantes, comme, par exemple, l’apitoiement sur soi-même.

    – Comment doit être un journal pour qu’il m’aide dans la pratique?

    – Ce serait plus correcte de poser la question suivante: comment doit être ma pratique pour que j’obtienne un journal utile. Tu réfléchis comme un poète, par exemple: «j’ai commencé à éprouver beaucoup moins de mécontentement dans les situations où…» – c’est de la poésie, c’est inutile. C’est même plus que ça – c’est se mettre sur le panneau des honorés, c’est dangereux. N’importe quel pratiquant qui aura vu cette note, demandera premièrement – ça veut dire quoi «beaucoup» moins?  Moins à combien?

    – Comment mesurer ça?

    – Qu’est-ce que tu es bête… – Taîga a pincé les lèvres en hochant la tête. – C’est tellement facile… – Elle a pris un stylo et s’est mise à corriger dans mon calepin. – Tu prends une situation quelconque, dans laquelle tu as des émotions négatives données… par exemple, tu n’aimes pas des sots?  Va alors dehors, installe-toi et regarde les visages des Indiens qui passent – tu auras un courant inépuisable de l’attitude négative. Prends un laps de temps – disons, une demi-heure, et pendant cette demi-heure tu ne te limites pas à éliminer tous les éclats de l’attitude négative, mais à chaque fois tu mets un petit signe correspondant dans ton calepin. Les paramètres importants sont: a) combien de secondes tu as pris pour ça, b) si tu as réussi à faire apparaître une perception illuminée quelconque après avoir éliminé l’attitude négative – par exemple, la tendresse ou la sympathie, ou bien une attirance érotique envers quelqu’un, ou la joie d’avoir éliminé l’émotion négative. Ensuite, mets le bilan au propre. Ca a l’air à peu près suivant:

     

    Le brouillon:

    3-

    5+

    2-

    etc. Le chiffre signifie la quantité de secondes de la vie passée en attitude négative, moins ou plus – si tu as réussi ou pas de faire naître une perception illuminée.

     

    Le bilan propre:

    En 30 min il a apparu 90 AN. Parmi elles 20 ont été éliminées en 1 sec, 30 – en 2 sec, etc. Une perception illuminée a réussi à apparaître après 10 éliminations.

    – C’est tout!  Quand tu auras accumulé une, deux, trois dizaines de telles notes, tu pourras alors dire en toute clarté:»La qualité de l’élimination des AN dans la situation donnée a augmenté ainsi», et tu auras la clarté absolue quant au changement réel.

    – L’élimination de quoi?

    – AN- c’est l’attitude négative. Habitue-toi aux abréviations, nous les utilisons souvent dans la conversation, c’est plus pratique – «une attitude négative» – AN, «une émotion négative» – EN, «le fond négatif» – FN, «l’état énergétique négatif» – EEN.

    Souvent, en disant «EN», nous entendons par là tous les quatre types de perceptions – tu comprendras du contexte. De telles notes t’aideront à éviter de te leurrer, lorsqu’on se calme pendant des années en se disant que la vie devient de mieux en mieux…, mais en réalité rien ne change. Vérifie toi-même ce que je dis – il y a une ENORME différence de tenir de tels comptes ou pas. Je ne vais pas te détailler les choses, tu verras toi-même, si au moins tu vaux quelque chose… – Taîga a rejeté le calepin et s’est levée.

    –  Ca veut dire quoi «faire naître» une perception?  Je ne sais pas faire… et à vrai dire, éliminer- je ne sais pas non plus, je dois d’abord … – je me suis sentie comme un gosse qui ne sait rien du tout à côté d’elle.

    –  Maya, pour apprendre à les éliminer il faut te mettre à les éliminer jusqu’à ce que tu n’en puisses plus, et pour apprendre à les faire naître – il faut faire la même chose. Il n’y a pas d’autre chemin. C’est seulement comme ça que tu pourras tâter cet effort, que comme ça.

    –  Je n’ai aucune idée de ce que c’est que «le fond négatif», «l’état énergétique négatif». C’est quoi que tu appelles par ces termes?

    –  C’est Sart qui va te raconter ça.

    –  Mais pourquoi Sart?  Kam m’a envoyée vers Sart aussi, et toi – je comprends bien que chacun de vous sait tout ce que Sart me dira, où est le souci alors?  Où tu as juste la flemme?

    Taîga m’a regardée avec regret, apparemment en réfléchissant – répondre ou pas.

    –  Tu es conne, Maya. Et il n’y a rien d’étonnant dans ça – on est toutes connes jusqu’à ce qu’on commence à éliminer notre connerie. Ce qui est bizarre c’est que, d’un côté, tu te comportes de manière assez adéquate, je vois que tu t’intéresses beaucoup à ce que je te dis, j’aime te parler, j’aime jouer avec toi à des jeux érotiques, de l’autre côté tu es des fois très conne, parce que non simplement tu montres de la stupidité, mais en plus tu ne la mets pas en doute, tu ne l’analyses pas. Une telle pièce – Maya… fais gaffe, la pièce, ne finis pas par tomber le côté stupide en haut.

    J’ai vraiment posé la question automatiquement, je l’ai regretté, mais je l’écoutais sans interrompre – qu’elle me redise à quel point j’étais conne, je pourrais peut-être réfléchir finalement avant de demander…

    –  Bien, pourquoi c’est justement Sart qui doit me raconter tout ça?  Il sait plus?  De l’autre côté… cela doit être les bases mêmes, il ne peut y avoir rien de «plus».

    – Il y a du «plus», mais il n’est pas dans l’information supplémentaire, il est dans CE que la personne qui raconte ressent. Tu penses peut-être qu’il n’y a pas de différence – qui justement te raconte quelque chose?

    –  Non, je comprends que…

    –  Tu ne comprends rien. Viens, on va à la clairière, on parlera chemin faisant.

    La rue répandait la chaleur caniculaire étouffante – comme si du bitume liquéfié se versait sur nos têtes. Probablement, je ne pourrais jamais m’y habituer, comment les gens vivent-ils ici…

    – Si on te parle de la météo, il n’importe vraiment pas qui parle, parce que tu n’as besoin que de l’information, rien d’autre. Dans notre cas, ce n’est pas comme ça avec des émotions négatives et des sensations. Tu te souviens quand pour la première fois tu as éprouvé une émotion négative quelconque?

    –  Bien sûr que non.

    –  Ca veut dire quoi «bien sûr», miss Je-sais-tout?  Tu recommences à montrer ta stupidité?

    (Zut… ça parait si simple – réfléchir avant de répondre…)

    –  Moi, par exemple, je me souviens très clairement quand pour la première fois j’ai ressenti de l’irritation. J’étais toute petite – je venais à peine d’apprendre à rester assise dans le siège spécial pour les enfants à table avec tout le monde. Alors, voilà moi dans mon siège, à gauche était mon père et à droite était ma mère, nous mangions de la soupe, à un moment donné ma mère, absorbée par l’observation de moi, s’est mise à manger bruyamment. Mon père a tout de suite changé d’expression de visage, en grondant ma mère rudement, le ton de sa voix irrité, je le regardais, joyeuse, étonnée par le nouveau spectacle, ensuite, tout à coup j’ai commencé à … sentir, à ressentir cette chose nouvelle que mon père éprouvait envers ma mère. Et le plus longtemps je regardais son visage et j’écoutais sa voix, le plus clair était ce nouveau sentiment – rude, piquant, vénéneux. Lorsque je m’en suis souvenu, j’ai compris très bien que nous ASSILIMONS les perceptions. Comment nous le faisons – je ne sais pas, mais nous le faisons, c’est sûr. Tous les gens possèdent ce fabuleux talent, et peut-être pas que des gens. J’ai beaucoup observé les animaux, j’ai eu des chiens et des chats pendant longtemps, je les dressais un peu, comme tout le monde, en les examinant, et je suis absolument sûre qu’ils assimilent les perceptions aussi. Regarde n’importe quel maître, promenant son chien – à quel point ils se ressemblent souvent. Les mêmes manières, même les expressions des figures!  Peut-être ça paraîtra idiot, mais je crois qu’un animal éveillé peut exister – pourquoi pas?  Si un animal quelconque se met à assimiler les Sensations des hommes qui sont porteurs de ces Sensations?  Etant tout petit nous venons au monde et commençons à apprendre des choses, et apprendre c’est justement assimiler des perceptions. D’abord nous assimilons tout ce qui vient, ensuite nous essayons de choisir. Donc… quand Sart te parlera des émotions négatives, de la délivrance de ces émotions, de ce que c’est que des Sensations – il ne te parlera pas tout simplement comme de la météo, il RESSENTIRA ce dont il va parler. Au moment où il te parlera de ce que c’est qu’un «effort» destiné à éliminer des émotions négatives, il ressentira cet effort à ce moment même. Quand il te racontera ce que c’est qu’une Sensation et comment elle peut être, comment elle vient, une fois les EN éliminées – il éprouvera tout ça au moment même. Et toi, si tu n’es pas conne, tu l’écouteras attentivement, tu regarderas son visage, tu saisiras le ton de sa voix, tu auras de la sympathie envers lui et l’envie d’apprendre ce qu’il décrit, et tout l’ensemble créera des conditions favorables pour assimiler ces perceptions, et non tout simplement en entendre parler. La différence est énorme, parce que le fait que Sart a envie de t’en parler personnellement est une grande chance pour toi, profites-en, petite sotte…

    En prononçant ces paroles Taîga avait l’air un peu éteint, assombri, et on a continué notre route en silence. Elle est devenue donc clair pour moi – cette attention étrange avec laquelle les pratiquants écoutaient Sart, qui leur racontait les vérités qui sont celles de La Palice pour eux, – ils étaient présents à ce que Sart ressentait à ce moment là, ils accordaient leur effort, leur sensation à l’étalon, au diapason que Sart présentait pour eux. Lorsqu’il me parlera des EN, je pourrais aussi assimiler ses perceptions!  Seulement comment ne pas merder avec cette chance, ne pas gâcher tout avec une stupidité successive? … Pourtant, ils doivent être reconnaissants envers moi pour ma stupidité!  Puisque, si je n’étais pas là, Sart aurait pu ne pas vouloir parler à ces sujets, et cette situation, qui permettait aux autres de faire leur accord, n’aurait pas eu lieu alors. Cette pensée m’a redonné de l’assurance avec laquelle j’ai couru devant Taîga sur le lieu de la rencontre.