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Chapitre 34

Main page / «MAYA». Livre 1: Force mineure / Chapitre 34

Le contenu

    Le jour s’est déjà levé, et moi je suis encore là!  Avec cette pensée j’ai émergé de l’eau lourde du sommeil, ayant franchi des profondeurs obscures à la rencontre du soleil. Les bras et les jambes bougent, je regagne la possession de la situation et de moi-même. La lumière du matin a brisé en éclats toutes les peurs. Comment est-ce que j’ai pu avoir peur?  Et si cela ne revenait plus jamais à cause de mes peurs?  Il faut absolument en parler à Sart et à Kam, je veux savoir ce que c’était et s’il y avait une stratégie à prendre dans une telle expérience… Zut, quelle conne, j’ai failli prier la nuit pour que ça finisse au plus vite. Toujours le même problème – je me fous dans tous les trous possibles et impossibles pour me transformer en un être différent, pour «rompre tous les fers de l’humain», et au moment où ça touche une expérience réelle, je la fuis. Comment est-ce possible?

    C’est quoi la peur?  Est-ce une émotion négative ou pas?  Comment surmonter la peur?  Quelles expériences pourrait-on faire dans l’épreuve de la nuit dernière?  Tant de questions!

    En dressant en marche la liste de ce que je voulais demander à Sart, je me suis habillée vite, ayant laissé tomber ma toilette et le brossage des dents, je suis partie en courant de la chambre. J’ai failli renverser le portier pataud qui fainéantait dans le couloir sans savoir quoi faire.

    C’est bizarre… une sensation bizarre provenant de la manière dont l’entourage est perçu… Je m’arrête pour prêter l’oreille – quelque chose qui reste en surface… hein, bien sûr, c’est ça!  Je n’ai jamais eu ça. Avant, quand je me levais le matin, je n’avais pas de tel étonnement de voir tout justement comme je le voyais… Combien de temps s’est-il passé depuis que je me suis couchée?  N’était-ce qu’une nuit?  Il me semble que j’ai passé une semaine dans le sommeil, est-ce possible que cette nouvelle expérience donne un tel effet?

    Cette fois la compagnie était divisée en deux groupes. Dans un groupe j’ai remarqué Kam, l’autre groupe se trouvait à peu près à trente mètres, je n’ai pas pu voir clairement qui était là, juste il était impossible de ne pas reconnaître la jeune fille blonde qui gesticulait vivement. Il faudrait lui demander son prénom.

    Sart est là aussi!

    L’impatience de la rencontre imminente avec cet homme dans le cercle pourpre violet a atteint son apogée, même la transpiration a apparu sur mon front.

    Je ne le vois pas pour l’instant… Le voilà, assis à côté de Kam… Ce n’est peut-être pas lui?  Je ne sais pas moi-même ce que je veux maintenant – que ce soit lui ou pas lui…

    Je me suis figée, stupéfaite, bizarrement. Je ne dirait pas que j’avais peur, mais je n’arrivais pas à avancer, – justement comme dans un rêve… En ramassant mes forces en un seul élan, j’ai brisé le voile de stupeur et me suis dirigée droit vers cet homme, je me suis assise en face de lui en dévisageant sa figure. Le frisson d’impatience et d’inquiétude s’est transformé en autre chose – c’était lui. C’était justement ce visage que j’avais vu dans le cercle, justement ces yeux qui m’avaient saisie comme un serpent attrape un lapin.

    En réprimant le spasme de tension convulsif, provoqué par le fait que je me suis retenue pour ne pas dire bonjour à personne, j’ai posé la question la plus stupide qu’on pourrait poser à cette personne.

    – Comment tu t’appelles?

    Les quelques premières secondes rien ne s’est passé – il restait toujours assis, son regard dirigé sur le sol sous ses pieds.

    – Comment tu t’appelles? Je m’appelle Maya, – je suis fichue quand même, la magie et l’éveil ne sont pas pour moi… Et pourquoi est-ce que je n’arrête pas au bon moment?  Je me laisse emporter encore et encore… Son regard s’est levé pour se heurter contre moi. Zut… une sensation d’être complètement retournée jusqu’aux tripes, pesée et rangée sur des rayons… Quelle sensation mêlée… Eh non, ce n’est pas lui qui m’a retournée, c’est moi-même, je me suis ouverte à son regard malgré moi, je n’ai même pas compris comment ça s’est passé. La curiosité, la tension, le mécontentement, l’exaltation croissante, sans savoir où commençait une chose et où finissait une autre.

    – Je ne veux pas avoir un tel fardeau comme un nom, je n’en ai pas.

    La crépitation de petits bois brûlant dans un feu, – quelle voix il a… Des souvenirs vagues… Il n’y pas de telle profondeur des harmoniques qui m’a tellement enchantée dans la voix de Sart… Ce sont des bruits ensorcelants de la nature, ce n’est pas une voix humaine.

    – Pourquoi le nom est un fardeau?

    – Combien de secondes tu as mis pour essayer de répondre à ta question toute seule?

    – Je…

    – Quelles suppositions tu as faites?  Qu’est-ce que l’analyse initiale de ces suppositions a démontré?  Il ne s’était même pas passé deux secondes après ma réponse au moment où tu as déjà posé la question, et cela veut dire qu’une chose – soit tu possèdes un intellect phénoménal, soit tu es une sotte fainéante. Tu ne ressembles pas à celle qui posséderait un intellect phénoménal, mais à une sotte fainéante – tu ressembles beaucoup.

    – Moi… Je???

    – Fainéante – parce que tu as posé une question sans te donner la peine d’y réfléchir toute seule, ce qui veut dire que tu n’as pas d’habitude de réfléchir, que tu n’aimes pas ça, que tu te laisses aller à la paresse. Et sotte – parce que, puisque tu n’aimes pas réfléchir, tu ne sais pas le faire alors. En tout cas, telle que tu es, tu ne m’intéresses pas, et même en te disant que tu ne m’intéresses pas, je te fais un grand service.

    J’étais ahurie. J’avais compté sur une communication plus constructive, mais comme ça, tout de suite, plus qu’il n’en fallait, sans la peine de comprendre la personne, juste en jetant un coup d’œil, donner le diagnostique «une sotte fainéante»… je ne n’avais pas de mots… C’est quoi qui l’a piqué tellement?  Est-ce que c’est le fait que je n’ai pas admis aveuglement son annonce qu’il n’avait pas de nom?

    – Hein, personne ne m’a jamais appelée une sotte fainéante… au contraire, on m’a souvent dit que j’étais hyperactive et trop intelligente…

    – Qui?

    – Quoi «qui»?

    – Qui concrètement t’appelle active et intelligente?  D’ailleurs, tu peux ne pas répondre, je vais te dire – des débiles aussi grands que toi t’appellent ainsi.

    Des débiles comme moi??? Pas mal notre conversation… A cette allure on va se casser la gueule bientôt…

    – Je ne dirais pas qu’ils sont débiles…

    – Bien entendu, parce que tu es comme eux.

    D’une seule lampée j’ai avalé une boule croissante de mots peu flatteurs de la réponse, et j’ai essayé de reprendre le contrôle sur moi pour continuer.

    -… je ne dirais pas qu’ils sont débiles. Je sais qu’il existe peu de gens intelligents et sensibles, et qu’il y en a beaucoup qui sont bornés, mais parmi eux on peut rencontrer…

    –  Tu fais quoi ici alors?  – il m’a interrompue de nouveau. – Retourne chez tes amis intelligents.

    –  Tu es très péremptoire. J’aime communiquer avec des gens différents, j’aime observer, examiner, et c’est pourquoi je suis ici, car j’ai fait connaissance avec Sart et Kam, parmi d’autres, et je communique avec eux et je veux le faire avec toi aussi…

    Il a agité le bras et m’a interrompue.

    – Avec moi ça ne fera pas, parce que comme ça tu ne m’intéresses pas.

    – Je me demande comment tu as pu faire une conclusion pareille selon ma seule et unique question?

    Il restait silencieux et avait l’air comme si je n’étais pas là.

    – Bon, je suis d’accord que j’ai fait une erreur en te posant la question sans réfléchir, mais pourquoi maintenant, comme ça, pour une seule erreur on peut clouter quelqu’un au poteau des «débiles»?

    Silence, il parait que j’ai disparu du champ de son attention pour de bon.

    – Bien, je n’y peux rien alors. Je suis ici donc pour parler à Kam. – Je me suis éloignée de lui pour m’approcher de Kam. Le chaos dans la tête, quoi faire de plus – aucune idée.

    – J’y crois pas, tu parles à cette sotte fainéante?? – Il s’est adressé à Kam, la mine stupéfaite. Il veut indisposer Kam contre moi!  Kam a renâclé et hoché la tête en négation.

    – Ben voilà, – celui là a fait un petit sourire content… (comment l’appeler, zut… «celui là»? ), – Kam n’est pas stupide. Je l’ai regardé, et il m’a paru que soit il était gêné, soit hésitait d’agir contre le poids de «celui là». Je l’ai regardé dans les yeux, mais le regard de Kam passait à travers de moi indifféremment. Alors ça, je ne m’y attendais pas du tout…

    – Kam, comment peux-tu me faire ça?? Tu m’as proposé toi-même hier de se voir le matin suivant pour continuer notre conversation concernant les éléments!  Et maintenant tu fais semblant comme si tu n’y étais pour rien, comme si j’étais venue moi-même pour vous gêner ici… comment ça, Kam??

    Les mêmes mines indifférentes… et bien, les garçons, ce n’est pas pour moi, pour que cela m’arrive comme ça… je comprends, vous êtes sages et tout, mais où est l’humanité basique, au diable l’humanité, où est l’honnêteté basique?? Je me suis levée.

    –  Je ne vous comprends pas, ni toi, – j’ai fait signe de la tête à «celui là», – ni toi, Kam. Je ne comprends pas pourquoi tu es devenu distant tout à coup. Je crois que toi, Kam, tu es malhonnête et insincère, parce que tu fais semblant que tu n’y es pour rien, tu t’es tout simplement détourné de moi juste parce que je n’ai pas plu à cette personne… Tu… m’as trahie, Kam. J’attendais de l’aide de ta part, de qui d’autre pourrai-je en attendre?  Et toi, tu m’as trahie, voilà. Tu as parlé de la délivrance des émotions négatives, et toi-même tu n’éprouves pas de l’antipathie envers moi en ce moment?  Et ton ami n’exprime-il pas clairement son antipathie, apparue de nulle part?  Comment ça?  En quoi consiste alors votre fameuse pratique?  Tu me plais beaucoup, Kam, mais je ne peux pas être aussi déloyal, comme toi, je veux dire la vérité, bien que ça fasse mal de le dire maintenant, parce que je comprends que tu vas te détourner de moi définitivement, mais je n’ai pas le choix, je ne veux pas mentir. Bien… pas de chance alors.

    Hein, concernant la chance – c’est un peu superflu, peut-être, mais je dois le toucher d’une manière ou d’une autre, je ne peux pas me lever et partir comme ça!  Il me semble que je suis au bout des larmes de désespoir et d’impuissance…

    J’ai attendu une réaction quelconque jusqu’au dernier moment… mais en vain. En leur tournant le dos, je suis partie en essayant d’avoir l’air sûr de moi et ferme, quoi que les larmes m’aient couvert les yeux, la boule dans la gorge devenait plus douloureuse. Jamais on ne m’avait trahie comme ça… une douleur sourde battait dans la poitrine, en faisant écho avec chaque pas. Pourquoi continuer à vivre si les gens les plus proches ne t’ont pas comprise et se sont détournés de toi? Le sens de la vie fondait comme une boule de neige tenue dans la main – lentement, mais inévitablement, et le plus je m’éloignais, la plus forte devenait la douleur. Et si je retournais?  Mais où?? Dans la rue je me suis arrêtée, figée. Je n’avais pas OU aller… Est-ce que j’avais eu avant une sensation aussi massacrante et claire d’un impasse total?  Toute pensée provoquait un tel éclat de désespoir qu’il fallait de peu pour que j’éclate en sanglots sur place. Retourner à mon hôtel?  Mais non… pas possible… ça fait trop peur de rester toute seule, complètement seule, enfermée dans la chambre étouffante de ce fichu hôtel. Flâner dans les rues?  Des Indiens dans la foule m’ont paru proches et chers pour la première fois. J’ai souri à un mendiant avec tendresse. Ses importunités ont même soulagé ma douleur, je lui ai donné dix roupies…

    Je pensais qu’ils m’aimaient, j’y croyais. Pourquoi ne m’ont-ils pas dit la vérité pure – qu’ils ne voulaient qu’une seule chose, que je dégage?  Je perdais le sol sous mes pieds, tout ce que je voyais était les yeux indifférents de Kam, la cruauté de celui là, marchant sur tout et tout le monde. Quels automates géniaux se sont crées grâce à cette foutue pratique – car maintenant ils peuvent gérer les gens de manière tellement optimale. Et moi, je croyais qu’ils étaient éveillés… Je ne veux pas devenir comme ça, je ne veux pas y aboutir, j’ai peur, il vaut mieux mourir. J’ai peur d’eux, j’ai peur et je ne veux pas communiquer avec eux. Je me rends bien compte que le chemin en commun avec eux est fermé pour moi, où qu’il mène, puisqu’ils ne veulent pas de moi, et eux non plus je ne veux pas d’eux comme ça, je me barre alors dans tous les cas.

    Sart!  Comment est-ce que j’ai pu l’oublier… Il ne me laissera pas tomber bien sûr!  Maintenant je vais tout lui raconter, je vais prouver que je n’ai rien fait de tel. Pourquoi est-ce que j’ai décidé qu’il avait la partie liée avec eux?  Il n’est pas comme ça, j’en suis sûre. Je retourne sur la clairière presque en courant. Comment est-ce possible… à la première occasion venue je me suis détournée de Sart, sans rien demander, ni venir vers lui, je l’ai trahi en effet…

    – Salut, Sart, je suis ravie de te revoir…

    Bonjour, Sart!

    La tendresse entremêlée avec des larmes me comblait, je me suis assise à son côté et… je me suis heurtée presque physiquement à un regard complètement froid, étranger et officiel.

    – C’est pas vrai!  Sart… Sart!

    – Jeune fille, vous nous dérangez, s’il vous plait, arrêtez de crier ici et laissez nous tranquille.

    Euh!!! J’y crois pas… c’est une vraie baffe… Je me suis levée et, toute humiliée, partie, ayant eu le temps de remarquer que la jeune fille dodue avait l’air content de me voir renvoyée ainsi… Quelle trahison… Quoi faire?  Comment continuer à vivre?

    Je n’ai même pas de forces pour démontrer une démarche assurée… Ayant fait quelques pas comme si je marchais dans le coton, je suis tombée dans l’herbe en éclatant de larmes… C’est comme une grosse baffe… pourquoi?? Pourquoi me font-ils si mal?? «Comment ça», «comment ça» – comme un disque enrayé, tourne dans la tête. «Comment ça»… comme si j’avais plongé dans un trou noir et glacial… je ne soupçonnais même pas que je me suis tellement attachée à ces gens, et même pas tellement à eux, mais plutôt au rêve sur eux, sur le fait qu’il existait quelque part des êtres éveillés, qui ne pouvaient pas ne pas voir mon aspiration à la vérité, qui ne pouvaient pas m’envoyer au plus loin juste parce que j’ai fait une erreur… Ce n’était pas comme ça, pas comme ça avec Castaneda et Don Juan!

    Ce n’est peut-être pas du tout les pratiquants de la voie directe?  Peut-être dois-je rechercher Lobsang?  Pourtant Dany m’a dit qu’il éprouvait la haine provenant de lui… et si Dany a tout simplement cédé aux explications quelconques, et a pris le désiré pour le réel?  Est-ce possible qu’il n’y ait rien DU TOUT dans tout ça?  Un mensonge successif, un bla-bla suivant, ou même encore pire – une entreprise commerciale, car Sart ne voyage pas n’importe comment, mais en première classe – d’où il prend l’argent pour ça?  Je n’ai jamais vu des moines riches, ni des chercheurs de la vérité riches. Est-ce possible que ce soit une seule supercherie énorme? … Et oui… Où je vais maintenant?  Jusqu’à ce moment là je ne me suis pas posé la question –quoi faire après, tout était clair – attraper les fils menant à la pratique de la voie directe, commencer le travail de l’élimination des émotions négatives… mais quoi faire maintenant?  Je restais assise, en fixant stupidement le sol, j’ai arrêté de penser à quoi que ce soit, à quoi peut-on penser dans une situation comme ça… Je me suis rappelé Moscou, l’odeur presque oubliée de la maison a émergé, Max… il était un peu borné, c’est sûr, mais au moins il ne m’a pas laissée tomber, et moi je l’ai quitté, entre autre… mais non, quoi Max… il n’y a pas de retour en arrière vers cette vie là… l’hiver commence par là en ce moment, bientôt tout sera recouvert de neige douce et duveteuse… ce serait super de courir sur la neige maintenant… j’en ai marre de l’Inde, je ne comprends pas quoi faire ici, dans cette poubelle et cette chaleur caniculaire… ben, je suis partie chercher des impressions, en pensant que ici il y aurait partout des yogi et des moines recherchant sincèrement la vérité, et eux, tous ces pratiquants, ils viennent ici pourquoi?  Peut-être justement pour assimiler l’expérience de la commercialisation et pour gagner son pain parmi des gens aussi cons que moi? …

    Je me suis levée en m’étirant. Le premier choc est passé, ça s’est éclairci légèrement dans ma tête. Et non, j’en veux pas de ces souvenirs douçâtres du bonheur familial. Admettons que ici je suis mal tombée, mais cela ne change rien dans le reste. C’est toujours comme ça – quand je me sens mal, tout de suite l’odeur sucrée du foutu bonheur familial en robe de chambre et pantoufles remonte, du bonheur avec des services de table en cristal rangés dans le placard, avec des proches, qui te consoleront et t’aideront toujours et ne te laisseront jamais tomber bien sûr… cependant quand je me sens forte, active, curieuse d’apprendre, avec une joyeuse anticipation, j’ai envie de vomir de toute cette moisissure. Oh!  Stop.

    L’excitation survenue m’a forcée de m’assoire sur l’herbe. Un regard furtif – ils sont encore là?  Là. Bien. Maintenant le plus important c’est de ne pas se laisser emporter de côté, ni perdre le fil, la sensation aigue de l’importance du moment. Pour cela il vaut mieux prendre un cahier pour noter brièvement des morceaux majeurs… Alors… Premièrement, c’est un fait tout à fait réel, comme quoi le pire je me sens, le plus je suis immergée dans le désespoir, dans la solitude, dans l’apitoiement sur moi-même… bref, dans beaucoup d’émotions négatives, le plus je suis attirée par la maison, vers mes proches, vers la vie qui me parait pire que la mort aux moments où j’éprouve l’enthousiasme créatif et la joie de me sentir vivante. Deuxièmement: le fait pas moins important est que justement tout à l’heure j’ai été attirée par cette moisissure. Cela veut dire qu’une chose – que maintenant je suis dans la merde complète. Plus maintenant, mais tout ce temps là j’y étais. Donc… Si j’ai été dans une telle merde que j’étais attirée par la vie que je considérais moi-même pire que la mort, ai-je pu rester objective?  Est-ce que j’ai pu juger, apprécier ou percevoir juste?  Bien sûr que non. J’ai donc une chance… Elle peut être la seule, la dernière… C’est si facile de la perdre, je l’ai presque loupée! … Pourtant j’ai été joyeuse, disposée à mener des conversations intéressantes, lorsque j’y suis venue, je pouvais alors juger de façon adéquate dans la mesure de mes possibilités, et c’est tout sur quoi je peux me référer… pas de chance donc? … Non, je ne me souviens pourtant pas à quel moment mon état a changé et j’ai cessé d’être adéquate, c’est tout à fait possible alors, et c’est une supposition bien réfléchie, que cela m’est arrivé tout de suite quand «celui là» s’en est pris à moi… hein, pas de devinette – je dois tout vérifier moi-même encore une fois. Donc, le plan est – je vais m’asseoir, m’accorder à la confiance absolue, à la sympathie que j’éprouvais envers Sart et Kam, je retourne la roue en arrière, j’oublie tout simplement ma vexation, comment ils m’ont traitée… stop… je me réfère au fait que je ne sais pas comment ils m’ont traitée, or, je continue à raisonner comme si j’étais sûre qu’ils m’ont maltraitée… euh, c’est la même chose dont Kam m’a parlé concernant les concepts… Stop!  Hallucinant, comment est-ce que j’ai pu ne pas remarquer ça?  Exact, j’ai été folle… même si ces gens là ne sont pas des pratiquants, ça change quoi dans mon expérience??!! Ca change quoi dans le moindre fait que j’ai besoin de la délivrance des émotions négatives comme de l’air?  Ca change rien. Et rien ne m’empêche de commencer toute seule mes recherches dans ce domaine, d’autant plus que j’ai déjà quelques expériences très intéressantes, et peut-être plus tard je pourrai trouver de vrais pratiquants, puisque l’idée de la pratique de la voie directe n’a pas apparu de nulle part… bon, il me semble que je suis revenue au doute que ces gens ne sont pas de vrais pratiquants… zut, ça colle… et oui… les concepts sont pas facile à travailler avec… il ne suffit pas de faire un coup de raisonnement. Donc, je reviens à mon plan – je m’accorde à la sympathie, que je RESSENS, et oui, je la ressens justement maintenant envers Sart et Kam et cet être que j’ai vu dans «mon rêve», ensuite je vais vers eux de nouveau et je recommence tout, et je vais me référer à ce qui va apparaître à leur égard, car c’est tout ce que je peux faire – formuler ma position en me basant sur l’état le plus vif et pur, accessible en ce moment pour moi.

    J’étais vraiment ravie d’avoir compris le fait que mes recherches étaient absolument indépendantes de qui que ce soit. Cela s’interpellait si harmonieusement avec cette découverte à moi, comme quoi peu importe ce qui s’est passé, ce qui importe c’est ce que ça a changé en moi, quelle trace est restée. J’étais ravie de voir à quel point les points de vue provoqués par des émotions négatives étaient collants, d’avoir pris la décision que je ne regretterais sûrement pas parce que c’était la chose la plus sincère que je pouvais faire à ce moment là. Et parce que j’ai compris tout ça, j’ai ressenti une sympathie réelle envers ces gens, car qui qu’ils soient – sans eux il n’y aurait pas eu cette situation qui m’a amenée, finalement, à trouver à tâtons une vraie base. Je me suis levée pour aller vers Kam qui continuait à rester à côté de «celui là», je me suis approchée en m’asseyant juste en face de «celui là», en le regardant directement dans les yeux.

    – Comment tu t’appelles?

    Ca a été mal à propos, probablement (dégage, to i- la foutue juge, à propos ou pas…), mais j’éprouvais un vif accès de joie, j’avais envie de rire, et quoi qu’il soit arrivé à ce moment là, je ne replongerais plus dans le marécage de la pitié envers moi-même… non et non.

    – Je ne veux pas avoir un tel fardeau comme un nom, et je n’en ai pas.

    La voix s’est avérée un peu sèche, dépourvue de la profondeur des harmoniques qui m’avais tellement charmée dans la voix de Sart. Elle ressemblait au crépitement du petits bois, brûlant dans un feu – c’était agréable, chaud, ensorcelant, mais c’étaient des sons de la nature, pas d’un homme. Ainsi sa voix avait quelque chose propre aux sons de la nature… mais ce n’était pas étranger, pas du tout.

    … C’est fantastique… la journée incroyable… RIEN n’a changé. J’ai eu envie de frotter mes oreilles, mes yeux, mes mains, ma tête, mon cerveau… rien n’a changé – ni dans ses paroles, ni dans le ton de sa voix, ni dans son regard. Comme si RIEN NE S’ETAIT PASSE. Bien… je réfléchirai sur tout ça après, et maintenant je vais me poser la question suivant mon plan – comment est-ce que je vois Kam et «celui là» maintenant?  Rien n’a eu lieu!  Pas de vexation, ni pitié, ni déception – la sympathie, l’anticipation, l’ouverture complète. Un nom – un fardeau. Pendant deux trois minutes j’essaie docilement de trouver quelque chose de sensé, mais en vain, finalement j’aboutis à une théorie que j’ai entendu, comme quoi le nom définit le caractère de la personne, dans une certaine mesure, et c’est pourquoi alors il ne veut pas avoir un nom, pour ne pas dépendre de son influence… néanmoins, s’il a un nom dans son passeport, il a donc un nom!  Là je n’ai pas cédé d’un iota, parce que c’était la vérité – telle que je la voyais.

    J’ai exprimé tout ça à haute voix.

    Du petit bois a été rajouté dans le feu, du petit bois disparate, d’ailleurs – la diversité des harmoniques a accru.

    – Puisque la pratique de la voie directe suppose la maîtrise de l’art du remplacement volontaire des perceptions non souhaitables par des perceptions souhaitables, ce serait alors inadéquat de supposer que j’essaie ainsi d’éviter l’influence d’un certain nom sur «le caractère», car si cette influence ne m’arrangeait pas, je la changerais ou éliminerais complètement, et au cas où ce serait impossible – je me concentrerais totalement sur la deuxième partie de l’affaire, notamment: j’éliminerais ce que je voudrais éliminer dans «mon caractère». La raison n’est pas celle-là alors. Quand quelqu’un accepte d’avoir un nom, il accepte ainsi d’exécuter les fonctions liées au nom, sinon pourquoi avoir un nom, si tu n’as pas d’intention de l’utiliser?  De quelles fonctions s’agit-il?  Par exemple, on «t’appelle» par ton nom, et toi, en acceptant le nom, tu choisis consciemment d’entretenir le lien entre le mot «mon nom» et le fait de prêter attention à celui qui le prononce – INDEPENDEMMENT de ton désir, ni du fait si l’individu t’intéresse ou pas, parce que si à chaque fois tu vas choisir – prêter attention ou pas, lorsqu’on «t’appelle», le fait même de faire le choix entraîne le prêt d’attention, l’attention a été volée par ta propre habitude de réagir au nom. Ainsi, en acceptant mon nom, je crée moi-même, volontairement, le mécanisme à l’aide duquel n’importe quelle personne à tout moment peut voler mon attention, la distraire, tandis que c’est pas souhaitable pour moi, je ne le veux pas – y compris parce que les tâches que je résolve dans ma pratique, se font avec d’autant plus d’efficacité quand je suis concentré au maximum. Et le fait qu’il y a quelque chose écrit dans mon passeport… quelque chose a beau être écrit quelque part, il importe comment je l’utilise. Quand je passe à la douane, je montre mon passeport et je réagis au nom, écrit dedans, ainsi je pourrais réagir à un numéro d’ordre, qu’on me donnerait le temps de passer à la douane, mais le reste de ma vie je suis indifférent envers ce numéro, aussi bien que je suis indifférent envers ce qui est écrit dans mon passeport.

    – Mais le nom dans le passeport n’est pas un numéro fortuit, différent à chaque fois, c’est un mot permanent, l’habitude doit se créer quand même?

    –  Ca veut dire quoi «se créer»?  Tu en parles comme si c’était un processus indépendant de toi. Ca DEPEND de toi, si une habitude non souhaitable commence à se créer en moi – je l’élimine alors, et c’est tout.

    –  Ca doit être assez difficile… C’est dur pour moi d’imaginer que …

    –  Il n’y a rien à imaginer. Toutes tes imaginations proviennent de ton expérience précédente, qui est minuscule, puisque ce n’est pas une expérience de travail avec l’art de la formation volontaire des habitudes. Mais c’est une expérience de la soumission aboulique aux influences extérieures. Et toi tu peux toujours t’entraîner!  Tu es en Inde, entre autre, il y a des possibilités intéressantes ici, que tu ne trouveras nulle part ailleurs. Sors dans la rue, là où il y a le plus de monde, et te promènes par là. Une fois par cinq secondes à peu près on va essayer de voler ton attention avec des cris «Hello», «Miss», «My friend», «Good hotel», «Chip price», «Rickshaw? » A part ça, des quémandeurs vont te toucher et essayer de t’attraper par les mains et les jambes, te regarder dans les yeux, te barrer la route. Tous ces Indiens innombrables vont te tomber dessus d’un coup, et toi tu t’entraînes à rester concentrée sur ta tâche – puisque tu as ton tas de travail, ta tâche actuelle?  Tu la résolves alors, fais des notes dans ton calepin justement en marche – ce qui va stimuler les Indiens d’autant plus de manifester leur curiosité, et pour toi ce sera une base ferme de jugement du succès de tes efforts. Si dans ton calepin on ne verra que des bouts de mots et des taches d’encre – ton attention a été volée alors, tu as échoué.

    – Je crains que ça va être justement comme ça. Je me souviens très bien du choc permanent du fond que j’avais quand je suis allée me promener à Varanacy et à Delhi… et si je «m’exposais» à eux tous, je n’en parle même pas!

    – Lorsqu’une expérience commence par le résultat «rien du tout ne réussit», fais-toi aider par des chiffes.

    – C’est comment?

    – Fais la pratique du contrôle limité. Prends dix minutes durant lesquelles tu fais ton expérience. A chaque fois que tu cèdes à la pression non simplement en y prêtant ton attention, mais en plus en faisant quelque chose, en réponse à une influence successive – même si ce n’est qu’un léger hochement de la tête – tu coches. Ensuite tu comptes – combien de fois tu as coché en ces dix minutes. Si tu t’appliques, bien que la sensation générale reste la même: «un échec complet», tu verras que les chiffres te montrent inévitablement la décroissance de ta réaction mécanique et l’augmentation de ta capacité de te retenir des réactions destinées à voler ton attention. Tu ne connais pas les bases de la pratique de la voie directe?

    – Ca n’est jamais passé par ma tête qu’on peut éliminer non seulement les émotions négatives mais les habitudes aussi!  C’est formidable!  Des chiffres, des périodes de dix minutes… Je pourrai tout changer en moi comme ça! … Tu me considères vraiment une sotte fainéante?

    – Pourquoi tu dis ça?

    -??

    J’’étais sur le point d’ouvrir la bouche, mais je l’ai refermée à temps. Cela a dû avoir l’air marrant, mais je m’en fichais. J’ai même eu la sueur froide en me rattrapant sur le point d’y retomber… je m’en foutais, le plus important c’était que je me suis rattrapée à temps… cette personne ne faisait pas du tout penser à un imbécile, et il fallait être soit un sot complet pour demander»pourquoi tu dis ça? », après tout ce qui c’était passé, soit cette question avait du sens. Oui, cette question devait avoir du sens, et si moi, j’avais craché mon étonnement automatiquement, cela aurait justement voulu dire que j’étais une sotte fainéante – que j’ai fainéanté chercher le sens qui y était présent, apparemment. Il devait y avoir du sens.

    J’aime réfléchir en présence de ces personnes. Je n’ai pas du tout de sensation d’ «être engourdie» – il n’y a personne à retenir, personne ne va nulle part, personne ne s’accroche»spasmodiquement» à la conversation, ne manifeste pas de mécontentement par ce que je me suis tue – ça se voit absolument clair que la vie de ces gens est bien remplie, et lorsqu’une pause survient dans la conversation, ils ne s’ennuient pas- ils continuent tout simplement à vivre par d’autre côté de leur vie.

    Brusquement j’ai eu envie de rire, et j’ai ri aux éclats. Je devais avoir l’air idiot!

    – Ecoute, je suis effectivement une sotte fainéante, tu as tout à fait raison!  – tu as vu tout à l’heure que je me suis rattrapée au dernier moment, tu as tout compris, vrai ou pas?

    – Ca n’a aucune importance – si t’es sotte ou pas.

    Cette personne sait surprendre!

    – Pourquoi?? Ne choisit-tu pas des personnes intéressantes pour communiquer avec?

    – Bien sûr que si, c’est ce que je te dis, que pour moi ça n’a aucune importance si tu es une sotte fainéante ou une intellectuelle active – cela ne change rien en mon intérêt à l’égard d’une personne.

    – Bizarre… et oui, pour moi c’est bizarre, puisque… quoi que… oui… il y a à quoi s’accrocher ici, puisque mon attitude envers une personne… je ne regarde pas ses vêtements, ni son porte-monnaie, mais son «moi» intérieur, et si je l’aime bien, cela ne dépend pas de son intelligence… bien que, en ce qui me concerne je dois dire que j’aie, évidemment, un préjugé envers la personne si je vois qu’elle est fainéante et sotte. Tu n’auras pas ça?

    – Non, car j’ai compris qu’il n’y avait pas de raisons pour ça, et ensuite j’ai éliminé l’habitude même de faire apparaître un tel préjugé. Qu’est-ce qu’il y a de si étonnant dans le fait qu’un individu est sot, l’autre est paresseux, un autre encore vendra son âme pour un bout de chocolat, et le quatrième sacrifiera sa vie pour la Patrie… il n’y a rien d’étonnant, et chacun qui est venu dans la pratique, il est venu avec son bagage de sottises. Pour moi l’autre chose est importante – pas quels mécontentements tu as, mais ce que tu fais avec. C’est là que ligne de partage des eaux se situe. Quelqu’un ne reconnaît pas ses mécontentements, les justifie, les approuve, prend une position défensive, et l’autre les remarque, les accepte, a envie de s’en débarrasser, se met à faire des efforts pour les éliminer.

    – Tu m’as appelée alors une sotte fainéante parce que j’ai éprouvé une antipathie à ton égard, j’ai été vexée, au lieu de reconnaître mon mécontentement?

    – Non, je t’ai appelée une sotte fainéante, parce que c’est vrai, – il a fait une pause.

    – Alors, tu es vexée maintenant?

    – Non… Si.

    J’avais une grande tentation de dire «non», mais, heureusement, je ne me suis pas laissée vaincre par le réflexe défensif, puisque, en réalité, la vexation avait apparu au premier instant. Je me suis sentie énormément soulagée d’avoir tâté cette position – la position de quelqu’un qui ne ferme pas les yeux devant ses mécontentements, qui ne les cache pas, mais, au contraire, qui les reconnaît comme le matériel avec lequel il va travailler.

    – J’ai refusé de communiquer avec toi parce que je n’ai pas eu de telle envie, et si l’on fait des suppositions pourquoi je ne l’ai pas eu, c’est plutôt lié au fait que en réponse à ma phrase non seulement tu a éprouvé des émotions négatives, mais en plus tu t’es affirmée dedans. Cette supposition est d’autant plus plausible que maintenant j’ai envie de continuer l’expérience que nous avons commencé hier soir.

    – !! Alors, c’est vrai que tu m’observais?!!

    – Je n’ai pas fait que observer, mais on en reparlera une autre fois, je n’ai pas envie d’en parler maintenant. De nouveau j’ai été assez intelligente pour la fermer et revenir à sa phrase précédente pour comprendre la différence entre les mots»continuer l’expérience» et «parler».

    – Kam, tu as refusé de me parler aussi parce que je me suis obstinée avec des émotions négatives?  Et Sart aussi… il m’a renvoyée également – justement pour ça?

    – Bien sûr. – Le regard de Kam était sérieux. – Pour moi il n’existe pas de telle «Maya» comme quelque chose située en dehors des perceptions qui se trouvent dans ton endroit – non parce que je crois qu’»elle» n’existe pas, mais parce que je ne «la» perçois pas, ni ne fais pas de rajouts non plus. Pour moi «toi» – c’est justement un ensemble de perceptions qui se manifestent dans ton endroit, et puisque dans ton endroit je n’ai vu qu’un tas d’émotions négatives, et pas de perceptions que j’aime bien, alors, bien entendu, je ne voulais pas communiquer avec cet ensemble de perceptions, mais au moment où je vois des perceptions qui me plaisent, à savoir: les efforts destinés à éliminer des mécontentements, des perceptions illuminées, l’envie de communiquer peut alors apparaître.

    – Kam, et si j’étais partie comme ça… tu n’aurais rien fait?  Ni me retenir, ni essayer d’expliquer… on ne se serait plus jamais revus?

    –  Non. Je ne t’aurais pas arrêtée, ni expliqué – je répète, je n’avais pas envie de communiquer avec l’ensemble de perceptions que je voyais en toi. Et concernant ce qui se passera plus tard – je n’en sais rien… en tout cas, tu dois comprendre que la responsabilité pour les perceptions qui se manifestent dans ton endroit, la responsabilité pour ta vie est à toi et à personne d’autre. Cette expérience te donne la chance de voir ce que c’est que l’irréprochabilité dans les relations avec des gens, ce que c’est qu’une liberté absolue par rapports aux rajouts d’une certaine substance «moi» sur «l’autre côté» imaginaire de perceptions, ce que c’est qu’une sincérité parfaite. La collaboration véridique et la vraie amitié ne sont possibles qu’avec quelqu’un qui ne te mentira pas avec une feinte bienveillance, ne te plainera pas, ne fermera pas les yeux devant tes mécontentements, mais quelqu’un qui manifestera sincèrement son attitude envers ce qu’il verra en toi, en éprouvant en même temps, bien sûr, des perceptions illuminées et en partant de là et pas de l’envie de blesser ou punir, etc.

    Je leur suis énormément reconnaissante pour cette expérience, bien que la question suivante ne me laisse pas tranquille – «comment peut-on être reconnaissant envers des gens qui ont été absolument impitoyable à ton égard».

    Je me suis approchée de Sart, je me suis assise à son côté, j’ai pris sa main et je la tenais dans les miennes. Il a serré mes mains en réponse, quoi d’autre pourrait-on rajouter?  Tout était clair pour moi. Quoique…

    – Sart, comment peut-on être reconnaissant envers des gens qui ont été absolument impitoyable à ton égard?

    – Ce qui importe c’est la motivation, et pas le côté extérieur de l’acte. Si je me comporte à ton égard en une certaine façon, et cet acte est provoqué par un désir illuminé, c’est-à-dire un désir qui résonne avec des Sensations, qui provient de la sympathie et la tendresse – rien d’étonnant alors, dans le fait qu’en toi aussi des perceptions semblables se manifestent, malgré tous mes actes impitoyables et qui peuvent être interprétés de n’importe quelle façon par ta raison. Il s’y rajoute aussi une nuance habituelle négative du mot «impitoyable», avec lequel on s’associe l’hostilité, l’antipathie, la dureté, d’ailleurs, moi je comprends l’état impitoyable comme justement un état sans pitié, ni d’autres émotions négatives, et lorsqu’il n’y a pas de toute cette ordure, il se manifeste alors des perceptions tout à fait particulières qu’on appelle des Sensations. Seulement celui qui est exempt de la pitié peut éprouver une vraie sympathie et une vraie tendresse.