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Chapitre 27

Main page / «MAYA». Livre 1: Force mineure / Chapitre 27

Le contenu

    Dans aucun trou du cul du monde il ne pue autant qu’en Inde. J’ai toujours été sensible aux odeurs comme un animal délicat. Le métro, des petits bus bondés, des ascenseurs sont les endroits de mes tortures olfactives: ce mec a mangé du fromage amer ce matin, et cette bonne femme là s’est arrosée avec un flacon entier de parfum bon marché, le voisin à droite a un estomac malade, apparemment, et à gauche il y a un fumeur gris comme la bitume… Et des retraités naphtalineux!  Leur odeur qui m’inspire d’une horreur de tombeau. Est-ce possible que ma sensibilité olfactive se soit aiguisée encore plus?  Ca m’étonnerait… mais quand même ce n’était pas comme ça avant. Peut-être c’est parce que avant je ne m’étais pas aventurée hors des quartiers où des touristes se frayent, en me déplaçant d’un endroit à l’autre dans des bus bouchonnés. Où alors sont des régions de l’Himalaya plus propres que la partie continentale de l’Inde?  Toute la merde se gèle-t-elle par là ou quoi?

    Des odeurs venant de partout ne me laissaient pas me distraire du sujet de leur provenance. Des odeurs… non, ce ne sont pas des odeurs, c’est de la puanteur, des exhalations fétides, infectes, des miasmes!

    Mon dieu, c’est quoi qui puisse puer tellement que les larmes viennent aux yeux?  Le mélange de toutes sortes de merde, des produits chimiques acides, des émanations cadavériques, de la poussière épaisse, et des gaz de combustion, des tas pourrissants interminables des ordures en décomposition – c’est avec ça que les alentours de Bénarès m’accueillent, dans lesquelles le train rampe lentement, comme pour faire exprès, en savourant chaque mètre. Et pas d’endroit pour ce cacher… J’avais la gorge prise, j’étais déjà intoxiquée par ce poison jusqu’aux oreilles, non seulement je l’inhalais mais j l’exhalais finalement aussi. La toux déchirant la gorge, – non, il vaut mieux se retenir pour pas tousser, sinon toute cette saloperie m’imprégnera complètement. Il n’y a pas longtemps que Bénarès a été nommé Varanacy, mais on dirait qu’en Inde on ne peut rien changer d’autres que les noms.

    Mes co-passagers, deux femmes Indiennes en face (apparemment, une mère et sa fille) continuaient à bavarder comme si de rien n’était. On dirait que ce n’était pas possible pour elles de fermer la bouche, – elles parlaient sans arrêt avec une pause pour dormir la nuit, en restant assises face-à-face en position turque, en remettant constamment la sari sur la tête. Ce mouvement est devenu automatique – notamment, la mise du dernier mère du sari sur la tête en guise de foulard. Les Indiennes de notre époque portent le soi-disant penjâbi, mais ayant renoncé au sari, elles n’ont pas pu renoncer à ce geste collant (peut-être leur donne-t-il le sens de la vie? ), et toutes les dix quinze secondes elles relancent sur une épaule ou sur l’autre l’écharpe large qui est tout le temps en train de tomber, portée, de toute évidence, pour cacher jusqu’au bout les épaules, le cou et la poitrine des yeux importuns.

    Où qu’elles se trouvent, les femmes Indiennes, quoi qu’elles fassent, – les foulards et les écharpes continuent à tomber, et elles les remettent sans y manquer, ne les enlevant même pas chez elles (! ), lorsqu’elles font la lessive, lavent le sol, préparent à manger. Moi, je pèterais les plombs de cette nécessité, mais elles ne le remarquent tout simplement pas.

    Le train fait quelques derniers bonds et s’arrête finalement. Je jette un coup d’œil par la fenêtre aux vitres tintées, – exact, c’est le quai. Des Indiens habillés en rouge courent dans la voiture toute de suite, ils recherchent des yeux des clients. Ce sont des porteurs de bagages et je suis pour eux le gibier. Il y en a cinq, debout, à côté de mon compartiment, en se poussant avec des coudes, en essayant à tout prix d’attirer l’attention sur soi, mais il n’est plus possible de m’atteindre. Je suis impassible, froide et sûre de moi. Hein, les gars… écartez vous, – je leur montre avec un geste de se casser et je débarque sur le quai merdeux (comment peut-il être autrement? )

     

    D’ailleurs, ce n’est le quai qu’en formalité, – pour certains c’est la maison où ils se lavent, dorment, bouffent et réfléchissent sur les aspects philosophiques délicats de vedanta… je plaisante, bien sûr) – ils passent tout simplement leur vies à se vautrer sur de paillassons en haillons, en fixant bêtement le chaos de la gare. Ah, j’ai failli oublié – bien entendu que là ils pissent et chient aussi. Des rats graisseux, des souris aux queues raidies marrantes, des mouches de toutes tailles et couleurs, des chiens au lichen, aux poils tombés, des handicapés, des mendiants, des passagers, des cafards de talle de souris, – tout ça entremêlés avec du smog caustique et de tapotement des roues. Il faut que je me casse d’ici au plus vite…

    A l’entrée du bâtiment de la gare – encore une épreuve: l’attaque des rickshaws. Ils crient, causent en suppliant, barrent la route, courent devant, et à côté, et derrière, en essayant de regarder dans le visage, d’attraper le regard, pour avoir de l’espoir au moins une seconde. Je sais ce qu’il me faut. Je sais ce que je suis prête à payer. Ca ressemble à l’auto training – les pensées à haute voix répètent les instructions apprises par cœur de «Lonely Planet» Je n’en démordrai pas.

    – Cinquante roupies pour aller à Shivala gat.

    – Cette voiture, non celle là, mam. Shivala gat, cinquante roupies, mam! – la foule inquiète de rickshaws a gueulé en une seule voix. Quelqu’un commence même à me tirer par le sac à dos, de peur de toucher mon corps.

    Je choisis parmi eux un gars mince et de petite taille, qui ne démontre pas d’activité effrénée, comme s’il pensait à autre chose. J’ai voulu en rajouter comme quoi il était amoureux ou dévoué à une religion quelconque. Je lui fais un hochement de la tête pour montrer que je vais avec lui.

    – Où est ta voiture?

    Il indique avec son doigt une petite caisse-scarabée noire sur de petites roues, et tous les autres vas nu-pieds, perdant à cette loterie, se cassent, les mines déçues. Mais à peine j’ai eu le temps de monter dans la voiture qu’ils m’ont déjà oubliée, moi et leur échec, – ainsi est leur vie, dans une telle lutte chaque jour passe. Jamais rien de nouveau, et la puanteur horrible, entremêlée à des proportions infernales avec de la canicule gluante, n’est pour eux que de l’air ordinaire imperceptible.

    La bagnole, une fois le moteur allumé, commence à trembler très fort, en faisant un barouf assommant, ensuite elle se lance en avant, avec un défi digne de Schumarer, – dans le méli-mélo chaotique du trafic. De l’air chaud et sale et des coups d’œil insistants de tous les côtés s’engouffrent dans mon petit abri… Normalement, la route ne doit pas être longue. Je suis pressée de me mettre sous une douche fraîche. Aucune envie de regarder dehors – toutes les villes indiennes sont misérables et moches de manière absolument identique, sauf des endroits où les monuments historiques et des lieux à intérêt touristique sont concentrés. A moins qu’on aspire à monter le taux d’adrénaline dans le sang, l’Inde n’est pas un pays pour expérimenter, ici il faut suivre à la lettre les recommandations du guide et les conseils de ceux qui ont déjà acquis l’expérience de voyager dans ce pays.

    Alors Bénarès sacré ne différencie en rien pour l’instant d’une n’importe quelle petite ville. Je n’imagine pas comment on peut vivre ici… Je me suis souvenue qu’une fois à Moscou lors d’un séminaire sur yoga un professeur débile a dit, l’air pensif, qu’il avait un rêve – laisser tout tomber et aller s’installer dans un ashram à Bénarès, mais son karma ne lui permettais pas pour le moment même d’aller en Inde voir son professeur. A ce moment là il ne me paraissait pas débile bien évidemment, et les mots «Bénarès», «Maître», «Ashram» me faisaient trembler d’anticipation – Ca existe quelque part.

    La ville de Siva, le dieu de la mort dans l’hindouisme, au bord du Gange sacré, – ici les vieux croyants se précipitent pour attendre la mort. Etre brûlé à Bénarès, au bord du Gange, – c’est, selon leur croyance, le point mis après un milliard de renaissances, la cessation de karma, la fusion avec Siva. Comme tout est simple… Peu importe comment on a vécu sa vie, ce que l’on a fait et senti, – rien n’importe, excepté le fait que le corps a été brûlé justement ici. Il faut être aussi infantiles pour vivre des croyances tellement primitives!  Ou bien ces croyances apparaissent justement dû aux caractéristiques spécifiques de la nation? .. Combien de temps peut encore durer cette route, qui secoue l’âme? … Et non, l’hindouisme ne me plait définitivement pas, – les plus distincts deviennent les détailles de ce phénomène, le moins il me plait. Je ne vais pas rester longtemps à Varanacy.

    Ouf, finalement!  L’immeuble ressemblant partiellement à un bâtiment européen est mon hôtel. Le nom est lyrique – «Sunrise Hotel»… Les pousses de l’humidité et de saleté ont déjà commencé à l’entortiller, et dans dix ans il fusionnera en extase avec la jungle faite de pierre et d’ordures que la langue ne bouge pas pour appeler une ville.

    A l’intérieur la même humidité et l’odeur particulière, qui commence à se faire sentir dans l’aéroport indien et qui imprègne tout ici, tout ce que les Indiens touchent. Un petit gars pelé sort à ma rencontre… la bouche en sang!  Qu’est-ce qu’il a?  On dirait qu’il a la bouche pleine de sang, il n’arrive même pas à parler normalement – il rejette la tête en arrière, les paroles passent à travers le bourdonnement dégoûtant (qui appeler?  la police?  les urgences? ) … c’est bizarre, mais cela n’étonne personne, personne n’y fait attention!  Merde … encore un avec la bouche pareille, il crache abondamment le liquide rouge sur le bitume. J’ai la nausée, je me retourne… Encore un autre sort à ma rencontre, apparemment un employé de l’hôtel. On ne saurait jamais distinguer un employé d’un passant ordinaire, – tout le monde est sale de la même manière, aux yeux tout à fait pareils – en verre, juste comme ceux des poupées. On ne voit presque pas les pupilles… bon sang, ils font penser aux vampires.

    Plus tard j’ai appris que beaucoup d’Indiens sont toxicos du bétel – c’est une sorte de drogue douce qui se vend légalement à chaque coin de la rue. Le bitume dans toutes les rues de Bénarès, ainsi que les murs de beaucoup de maisons au niveau de la taille humaine rougissent de la salive, empoisonnée par le bétel. Cette ville se noie tout simplement dans le bétel, brillant dans les reflets des yeux vitrifiés!

    Ma chambre s’est avérée ordinaire – aux murs sales, avec des draps gris, un ventilateur furieux, au sol en pierre, avec une table poussiéreuse instable, une chaise inconfortable… Un coin où on ne peut que dormir. La porte qui mène sur le balcon et les volets sont condamnés. Je force décidément les obstacles vers l’air frais… zut, j’ai oublié où je me retrouvais… la fumée chaude et étouffante s’engouffre de la rue. Je verouille tout de nouveau. Par contre, il y a de l’eau chaude, et même la télé est proposée pour un dollar par jour. Je dis que je n’en ai pas besoin même gratuit, finalement, je me retrouve toute seule, dans le silence relatif, isolée du monde extérieur violeur.

    Je me demande pourquoi il y a des fenêtres donnant des chambres dans le couloir? … Si l’on essayait de fermer cette fenêtre… et en tapant avec le poing sur les volets … Ca y est, c’est mieux comme ça… Et pourquoi je pense à toute sorte de bêtise?  Mais comment faire?  Parfois les pensées se calment un peu, mais d’autres fois elles deviennent folles, et alors la grisaille agitée couvre tout. Je me sens comme un pot attaché à la queue d’un chat – les pensées courent et je cours après elles en tonnant contre le bitume de manière à faire boucher les oreilles… Cette grisaille ressemble à de la faiblesse physique, – on contracte un muscle pour faire un mouvement, et il se détend tout de suite… Mais le plus horrible est qu’il y a dans cet état gris meurtri «son propre attrait», je prends plaisir à devenir ce kissel pourri. J’ai essayé d’imaginer que juste maintenant je peux appuyer sur un bouton pour commencer à ressentir l’énergie, la concentration… Un cauchemar!!! Mais avec ça je NE VEUX aucun changement. Je ne veux donc rien changer… je veux et je ne veux pas, et rien ne réussit justement à cause de ça… c’est pourquoi le mécontentement arrive, lorsqu’on se force de faire ce qu’on ne veux pas. Non – c’est quand on se force de faire ce qu’on veut et ce qu’on ne veut pas en même temps. C’est du délire… Comment est-ce possible, que je choisis moi-même cette stupidité au lieu de la concentration?  Et ça veut dire quoi «je veux» et «je ne veux pas» en même temps?  Ce n’est pas possible, encore je ne comprends pas quelque chose quelque part, je me trompe quelque part dans mes réflexions. Comment puis-je m’installer ici… En avançant cette petite table vers le lit… mettre le calepin dessus – j’ai une sorte de bureau de travail dans une prison bien aménagée – et ben, pas mal du tout!  D’abord, il vient l’horreur d’une bonne femme au foyer – comment peut-on vivre, faire des recherches, écrire dans de TELLES conditions, mais en regardant consciemment et raisonnablement… des conditions tout à fait convenables – rien ne distrait l’attention, je peux me concentrer totalement sur mes affaires. Je ne m’attendais pas du tout de prendre plaisir des conditions prisonnières.

    Bien, je retourne en arrière – qu’est-ce que j’éprouve en ce moment?  Est-ce que je souhaite changer mon état ou pas?  Mais non, même pas ça. «Changer» – c’est quelque chose d’actif, maintenant la question n’est pas là. Est-ce que je veux que tout de suite en appuyant sur le bouton la grisaille disparaisse toute seule?  Non, je ne veux pas. Mais si, je veux!  Et en même temps je ne le veux pas. Mais qu’est-ce que c’est que ça… c’est idiot!  Je n’arrive pas à me décider – si je veux quelque chose maintenant ou pas?  Comment puis-je voir clair en quelque chose de plus compliqué si je n’arrive même pas à comprendre une chose aussi simple!  Alors, je le veux ou pas?!  Je veux. Non, je ne veux pas. Si, je veux. Ce n’est pas possible… Mais pourquoi … pourquoi ce n’est pas possible?  Il me semble que je viens de trouver le crapaud qui m’empêche de vivre… – ce «pas possible». Pourquoi est-ce je m’obstine avec ce «pas possible»?  Il faut avoir le courage d’admettre les faits, et le fait est que je veux et je ne veux pas en même temps. Mais il s’avère une chose bizarre alors – si justement maintenant je veux, qui ne veut pas donc justement maintenant?  Et si, en réalité, je ne veux pas – qui veut justement maintenant?  Qui veut?  Qui ne veut pas?  Cette question est un peu plus intéressante… Qui?  Et c’est quoi «qui»?  … et oui… l’impasse. Encore une impasse. Bien, il me reste de revenir à ce que je perçois. Le fait est le même – il y a deux désirs simultanés – indépendamment de ce que c’est ce «qui». Il se trouve alors… et oui, c’est une balance, qui pèse plus lourd – c’est ce qui est. C’est quoi exactement qui m’étonne?  En ce moment je veux aller pisser, aller me promener vers le Gange, et rester ici pour réfléchir encore. Mais c’est tout le temps comme ça, il y a plusieurs désirs constamment, et par conséquent, il arrive ce qui est le résultat de ces forces – si le poisson, l’écrevisse et le brochet vont tirer ma bassine dans des directions différentes avec des forces différentes, cette dernière va bouger quelque part quand même. La question donc se pose autrement – peut-on renforcer un désir et atténuer un autre?  Oh! … zut, ça c’est de la jungle.

    On frappe à la porte – quoi encore?  Le passeport?  Ah, oui le passeport… plus tard, j’ai dit plus tard!  J’apporterai moi-même mon passeport, oui, plus tard, je l’apporterai moi-même, oui, à la réception, je sais, oui…

    Bien, il existe alors plusieurs désirs – justement maintenant. Encore un qui s’est rajouté – apporter mon passeport à la réception. Chaque désir n’a pas apparu de nulle part. J’ai envie de pisser, parce que la vessie met de la pression sue le cerveau – rien à faire avec cette sensation, elle amène aux toilettes avec insistance. C’est plutôt que je comprends qu’en allant aux toilettes, je me débarrasserai de cette sensation… là c’est clair. Je veux aller me promener vers le Gange, parce que je veux obtenir des impressions, c’est la curiosité qui me pousse, et pas que, de l’ennui aussi, bien entendu, puisque si je ne m’ennuyais pas, il n’y aurait pas alors de cette fougue particulière dans le désir d’aller voir. Je connais la différence entre un désir joyeux et calme et des spasmes accrochants, qu’on ne peut même pas appeler désirs. Justement maintenant il est spasmodique, parce que autour il n’y a pas d’ensemble d’impressions habituel – que des murs nus et moi-même avec mon calepin. Il y a le désir d’apporter le passeport – il est amené par la politesse – on m’attend par là… et bien sûr que c’est une connerie, parce que personne ne m’attends par là, ils n’attendent jamais personne en général, en flottant dans la substance en bétel sans indenté, mais l’inquiétude ne passe pas – je suis habituée, on m’a appris… Il y a le désir de comprendre – «qui veut alors». Ce désir est le plus vif – Il est accompagné par l’anticipation, l’intérêt, je tire un vrai plaisir de mes efforts malhabiles.

    Bien, je vais mettre de côté la question «qui veut» – je n’ai aucune idée comment y répondre, quoi que la contradiction soit évidente – si «je» veux une chose, comment puis-»je» en vouloir une autre en même temps?  Ou alors c’est simplement le déplacement de l’attention entre les désirs?  Je peux bien voir en même temps la table, et le calepin, et les murs – je sais qu’on a fait une expérience suivante: on a collé un appareil spécial sur la pupille qui reflétait le rayon du laser, et quand la personne «regardait simplement une table», en voyant tous les objets «simultanément», il s’est avéré que sa pupille faisait une énorme quantité de mouvements microscopiques – à la vitesse incroyable le regard scannait l’espace qui se trouvait dans son champ de vision, c’est pourquoi on croit qu’on voit tout en même temps. Ainsi, peut-être, ça se fait avec des désirs et d’autres choses – en même temps on peut penser à deux choses, voir la pièce, vouloir ceci et cela – c’est tout simplement l’attention qui passe d’une chose à une autre aussi vite. Bon, finalement, cette explication peut être la bonne, ou bonne à moitié, ou complètement erronée, au diable – je n’ai pas besoin d’explication, j’ai besoin d’autre chose. Comment renforcer un désir pour qu’il remporte sur les autres?

    Comment renforcer… mais «qui» va le faire?  Oh! … c’est justement «quelqu’un» qui doit le faire, mais «qui»?  «Moi»?  Et c’est qui «moi»?  Et pourquoi ce»moi» renforcera justement ce désir?  Sinon? … Fini… Une impasse.

    J’essaie de changer quelque chose au moins en apparence – je prends une autre position, je redresse les épaules, je fais une autre expression du visage, et le plus longtemps je reste comme ça, le moins confortable je me sens. Le lit s’approche, en m’attirant avec l’oreiller et le dossier sur lequel on peut s’appuyer… Ca y est. Maintenant aucune force au monde ne me fera me relever, maintenant je veux rester couchée. Juste il ne faut pas penser à ce qui vient de se passer, sinon je ne pourrais pas rester couchée tranquillement. La bataille contre la grisaille est perdue, elle m’a empêtrée, engloutie, en essayant de me diluer sans résidu dans l’oubli sale et opaque. Se piquer et s’oublier… la grisaille – la drogue la plus puissante.

    J’ai remarqué de maintes fois, que quand je me retrouve dans un nouvel endroit, pendant les premiers jours les nouvelles impressions m’assourdissent si fortement, que je cesse d’exister complètement, je dirais, pendant ce temps, – il ne reste pas de désirs habituels, ni d’émotions, ni même de sensations, – le vide gris, l’indifférence, le saisi spasmodique des impressions – encore et encore. Ensuite, le plaisir des impressions commence à réduire, se change en fatigue, le désir de me reposer, rester toute seule avec moi-même, et parallèlement je commence à revivre, les désirs reviennent, ainsi que l’intérêt envers la vie. Je me demande c’est à cause de quoi?  Cela ressemble à l’empoisonnement… Les premiers jours l’attention se déchire en morceaux malgré mon envie. Mon envie, le mien… c’est qui alors qui veut des impressions?  Encore les mêmes billevesées… Je dois savoir où je me trouve, je dévisage tout alors, bien que ce soit plus exacte de dire que ce n’est pas moi qui dévisage quelque chose, mais le regard colle à chaque détail, les pensées n’arrêtent pas de sucer ce qui est vu, comme des araignées elles tissent leur toile vite, vite, – ainsi se compose le tableau du nouvel endroit. Aucune idée comment peut-on y résister?  Et si l’on ne regardait pas autour? … Comme si j’ai jeté un coup d’œil dans le néant… Je m’imagine me trouver dans un nouvel endroit sans regarder autour, sans savoir comment est le monde autour. C’est incroyable!  Là je touche à quelque chose… Je jette un regard derrière l’image du monde, et derrière – l’élément impitoyable, bouillonnant, réduisant en poussière tout ce qui le touche, ne serait-ce qu’à peine.

    … Plus d’envie de rester couchée. C’est «moi» qui ne veux plus rester couchée ou bien «le soi-même» qui ne veut pas?  Si c’est «le soi-même» – où suis moi alors et comment ce «moi» peut influencer quelque chose?  J’en ai assez de cette question!  «Je, moi»?  «Qui» en a assez?? Et oui… on peut devenir fou comme ça. Il n’est que deux heures de l’après-midi, le pic de la chaleur, devrais-je aller me promener sur le quai fameux?  Le sujet à la réception (qui c’est d’ailleurs – un employé ou un passant de hasard – diable sait…) commence à verser des torrents de mots comme quoi j’ai eu de la chance, parce que demain il y aura une grande fête, et que c’est le meilleur moment pour commander une escapade matinale sur un bateau, et ensuite aller se balader dans les quartiers musulmans pour voir comment ils font de la soie à la main.

    – Demain matin, à l’aube, vous pourrez voir beaucoup de gens venir au bord du

    Gange pour se baigner dans l’eau sacrée, prier et faire des dons à la rivière. Et ce n’est que demain pour une journée que les maîtres de la soie ouvriront les fenêtres de ses ateliers pour des observateurs extérieurs, c’est un spectacle très intéressant. Vous pourrez faire de rares photos… Alors, demain à cinq heures je vous attends ici.

    Chouette!  J’aurai un tas d’impressions. Qu’est-ce que quelqu’un dans la tête me marmotte?  Ne pas céder à l’hypnose et ne pas croire aux promesses?  Bon, alors… si je m’ennuie – je rentre. Plus tard j’ai vu qu’il tenait ce discours devant chaque nouveau venu – j’ai eu l’occasion de l’observer avec mes propres yeux, en plus il le faisait absolument sans vergogne, sans faire aucune attention à ce que j’assistais à ce cirque.