– C’est qui alors que tu considères comme proches?
– Ceux que j’aime bien.
– Ben, tu n’aimes bien jamais personne en coup de foudre?
– Parfois ça arrive.
– Et juste à cet instant là la personne ne devient-elle proche?
– Si, si. Parfois même je ressens une telle affinité qu’il me semble que je l’ai connue toute ma vie mais juste oubliée. Parfois ça arrive…
– Raconte-moi ce que tu ressentais lorsque je te portais et quand j’ai entamé la conversation avec toi…
– et quand tu m’as pris par la main toute à l’heure…
Il a serré ma patte légèrement et j’ai senti qu’il souriait.
– Est-ce pour toi assez important pour me considérer comme une personne proche et que tu connais bien?
– Proche – oui, mais que je connais bien – non… c’est effrayant de laisser tomber d’un coup «la catégorisation» habituelle des gens…
– Tu aurais été où maintenant si tu avais suivi ton habitude? Tu serais allée chez toi en savourant ton indignation. D’ailleurs, en ce moment tu agis très imprudemment – tu marches dans le noir absolu, accompagnée d’un homme inconnu, tu ne sais même pas de quoi il a l’air… N’est-ce pas de la folie? Ah? A quoi tu penses?
– Zut, dès que je pense que je marche avec toi comme ça tout simplement, que je parle en te tenant par la main, tout commence à s’effondrer dans ma tête… Dès que j’arrête de penser que je fais quelque chose de dangereux, tout prend sa place, et…
– Quoi?
– … j’aime tellement marcher à côté de toi.
– C’est ce qui est pour moi de «la catégorisation» réelle, vivante, et rien d’autre.
Mais comment y arriver, – l’éprouver, s’y fier, – premièrement, il faut éliminer toutes les émotions négatives.
J’ai eu un coup de douche glaciale de la tête aux pieds (ou des pieds à la tête? ), tout mon corps a ressenti des frissons comme d’un faible courant électrique passant à travers.
– C’est pas vrai! Tu as dit «éliminer les émotions négatives»?
– Oui, c’est exactement ce que j’ai dit.
– Tu sais quelque chose de la pratique de la voie directe?
Apparemment, la question ne l’a pas surpris, du moins, sa main est restée complètement tranquille, mais il a gardé le silence pendant un moment.
– Tu sais quoi de cette pratique?
– Pratiquement rien! Je n’ai pour l’instant qu’un tas de questions et presque aucune information. Tu fais cette pratique alors?
– Je ne peux pas te répondre à cette question maintenant, parce que je doute fort que tu comprennes la réponse, mais tu peux me poser une question plus concrète, à laquelle je pourrai probablement te répondre.
– OK. Tu parlais de l’élimination des émotions négatives. Tu en es libre?
– Oui.
– Et tu connais la sensation de la joie calme?
– Oui, je connais.
– Et tu connais Lobsang?
– La question n’est pas intéressante.
– Oui, c’est vrai, c’est bête… Quelles d’autres sensations connais-tu?
– Et toi, tu connais lesquelles, car tu en parles comme si ma réponse sera compréhensible pour toi?
– Tu es vraiment sûr que je ne comprendrai rien?
– Bien sûr que je le suis. Si tu n’éprouves jamais d’émotions négatives, tu pourras les distinguer dans l’autre sans aucun effort – même dans de petites nuances, dans chaque son acte – dans la manière dont il parle, garde le silence, marche, écrit, écoute, regarde… – en tout.
Il n’est pas possible de les dissimuler. Ainsi ça se passe avec d’autres perceptions. En ce moment là tu es complètement nulle.
Une nouvelle portion de la douche froide.
– Pourquoi tu m’as parlé alors?
– C’est tes émotions négatives qui posent cette question. Regarde, à quel point c’est facile de te troubler, – il a lâché ma main, et je me suis sentie abandonnée. – Imagine un entraîneur expérimenté, qui voit un enfant de 5 ans, qui ne sais rien faire, mais rien du tout, l’entraîneur a le coup d’œil pour déterminer avec une grande probabilité si ce petit fera un bon sportif ou pas.
– J’ai compris, compris, – j’ai essayé de reprendre sa main, mais il n’a pas voulu.
De nouveau je me suis sentie vexée, comme une petite fille capricieuse qui a envie de pleurer d’autant plus qu’elle n’a pas le droit de montrer ses caprices, parce qu’elle sait que ça ne fera que pire.
– Tu dois penser maintenant que je te punis pour ta bêtise, n’est-ce pas?
– Et c’est pas vrai?
– Non, c’est pas vrai. Tout est très simple, – si je souhaite t’expliquer quelque chose, si je veux vraiment que tu me comprennes, je peux faire quelque chose que ta personnalité ne va pas du tout apprécier. Tu devras alors faire tous tes efforts pour comprendre la leçon. Autrement, si ta vie ne change point, il y a gros à parier que tu ne feras aucun effort pour comprendre ce qui est incommode et même dangereux à comprendre du point de vue d’une personne ordinaire. Je voulais te montrer que nous n’aurions aucune affinité, ni compréhension, si tu favorises tes émotions négatives. Cela ne veut pas dire que j’éprouve de l’antipathie envers toi, et que lorsque tu as voulu me prendre par la main, je n’en ai pas encore fini avec l’antipathie. C’est tout simplement que je ne souhaite aucune affinité avec un être qui préfère l’offense et l’antipathie à la confiance et la sympathie. Justement, je ne le souhaite pas, tu vois? Ce n’est pas que «je choisis de faire semblant que je ne le veux pas», mais justement je ne le veux pas.
– Ca a quoi comme différence avec de la punition?
– La punition est provoquée par des émotions négatives et des concepts. Moi, j’agis par ma sympathie envers toi.
– Mes parents me disaient quelque chose comme ça…
– Et tes parents n’ont pas d’émotions négatives?
– Bien sûr que si. Eux, il me semble qu’ils n’ont rien d’autres que des émotions négatives.
– Alors, pourquoi tu me compares à eux? Tu penses que c’est la même chose – quand je dis que j’éprouve de la sympathie et quand tes parents disent qu’ils t’aiment?
– Pour l’instant je ne sais rien de toi…
– Ce n’est pas vrai. Apparemment, tu es redevenue une fille ordinaire stupide.
– Mais je ne peux pas tout d’un coup croire que tu es délivré des émotions négatives! – le désespoir m’a envahie, je voulais tellement l’expliquer, que je n’avais pas d’antipathie envers lui, que je voulais qu’on parle, mais j’avais réellement des doutes, je ne pouvais pas me transformer en une autre personne en un instant…
– Tu peux!
– Quoi?!
– J’ai dit que tu pouvais changer en une autre personne quand tu voulais. Ce n’est qu’un autre concept, que les changements se produisent graduellement. C’est quoi, une loi ou quoi? Si ça l’est, prouve-le moi.
– Non, je ne peux pas le prouver… Je ne comprends pas – tu lis vraiment mes pensées?
– Je connais trop bien les gens, parce que j’ai pris beaucoup de temps pour m’examiner moi-même. Il ne faut pas être clairvoyant pour comprendre ce que tu penses aux moments de désespoir… Je ne veux pas que tu me croies aveuglement, mais tu prends une position opposée, qui, probablement, abrutit encore plus, que si tu croyais tout simplement. Tu n’es ouverte à rien de neuf, tu sais tout, tu comprends tout, tu as beaucoup communiqué avec des gens, et ce n’est pas difficile pour toit d’interpréter toutes mes manifestations d’une manière compréhensible pour toi. Là tu mets un point, et cela rend notre communication impossible. Comment puis-je te faire découvrir quelque chose si tu y mets tout de suite un cliché connu, malgré la compréhension et le sentiment évidents que tu es confrontée à quelque chose de nouveau et incompris?
Peut-être, un guerrier vaincu se sent-il ainsi, – son armée se dissipe en courant dans tous les côtés, il n’y a aucun contrôle sur les manœuvres, plus de place pour reculer, – l’ennemi exalté est de tous les côtés… Je ne me suis jamais encore sentie davantage sans défense, il n’a pas laissé une trace de tous mes boucliers. En plus il m’a menacé d’arrêter de communiquer avec moi si je continuais à être sur mes défenses! Il n’y a pas longtemps j’étais un guerrier fort, prêt à affronter n’importe qui sur mon chemin, et maintenant je me sens en une purée de semoule dégoulinant dans le seau d’ordure. Et le plus horrible c’est que je commence à me rendre compte que c’est exactement ce que je suis, et tout ce que je pensais de moi a apparu comme le résultat de la comparaison de moi-même avec de vrais nullités et comme un art de faire semblant pour survivre dans ce monde.
– J n’ai jamais pensé que je pouvais paraître stupide à quelqu’un!
– Tu ne peux même imaginer à quel point tu es stupide!
– Je ne suis pas un philosophe, bien sûr…
– Tu ne cesses pas de m’étonner, Maya!
En laissant passer cette remarque de côté, j’étais emportée par la surprise qu’il connaissait mon prénom.
– Tu sais comment je m’appelle?
– Il n’y a rien d’étonnant, hier tu parlais au pandit si fort… Emportée par ta juste colère, tu lui as dit ton prénom?
– D’ailleurs, je ne me souviens pas de lui avoir dit ça.
Le silence s’est installé pour un certain moment, comme pour conclure tout ce qui avait été dit. Quelle est la conclusion alors? Je n’en ai aucune idée. Et pourquoi alors ce «pour conclure» si imposant? Est-ce que j’essaye de m’impressionner moi-même? Quel crétinisme… un show infini, des tentatives sans cesse de prouver à moi-même et à n’importe qui d’autre ma propre importance. Pourquoi?
– Revenons au sujet pourquoi tu es venue ici?
– Je ne sais pas.
– Et moi, je sais. Tu es venue parce que tu voulais rendre la justice, en dénonçant le menteur définitivement.
– Je n’aurais pas dû venir alors?
– Je n’ai pas dit ça. C’est la motivation qui compte. Si tu n’as pas de clarté à ce sujet, cela veut dire que la motivation a apparu automatiquement. Quelle motivation pour un tel acte peut apparaître chez quelqu’un qui n’est pas délivré des émotions négatives?
– Je ne suis pas d’accord avec toi que tout s’est passé exactement comme ça.
Premièrement, je voulais vraiment comprendre ce qu’il représentait…
– C’était hier, n’évite pas le sujet, ne prends pas une position défensive, sinon on ne pourra pas se comprendre. Je donne l’impression de quelqu’un qui parle sans avoir réfléchi, à la va vite, dans l’émotionnel?
– Non.
– Dans ce cas, je te propose de partir de la présomption que j’ai raison. Réfléchi bien avant de me répondre.
Je n’ai pas remarqué que en quelques petites minutes j’aie complètement oublié le fait que j’allais appeler la police car je l’avais pris pour un maniaque sexuel, et que je vienne juste de faire sa connaissance. Indépendamment de moi-même, je me suis mise à l’écouter comme si j’écoutais un maître, et par une raison quelconque je n’avais pas de doutes qu’il pouvait m’apprendre ce qui m’étais vraiment important. Je dirais que jamais personne n’a réussi à m’intriguer autant…
– Bien.
– Donc, quand tu t’opposes à la société, tu peux avoir des motivations diverses.
Même si tu es guidé par le désir d’apprendre la vérité ou celui de surmonter tes peurs, cela ne veut pas dire que tu es délivrée des mécontentements. Dans tous les cas, tes désirs sont entremêlés avec des émotions négatives et la malveillance, l’attitude négative et le désir de te venger, ainsi que celui d’obtenir justice. N’est-ce pas?
– Si. Tout ce temps là j’essayais de diviser – soit ça, soit ça. Je n’ai jamais pensé que les désirs joyeux et les émotions peuvent s’entremêler avec des mécontentements.
– C’est un art – de nettoyer ses actes de la saleté qui s’y attache. Pour moi ce qui est important c’est que hier j’ai vu en toi non seulement un révolutionnaire qui veut que tout soit comme il le considère juste. J’ai vu en toi encore une autre chose, c’est pourquoi je marche maintenant à côté de toi.
J’ai voulu lui parler de ma première expérience de confrontation, et j’ai pris plaisir à lui raconter l’histoire du guru tantrique.
– Tu as compris alors en quoi était ta peur principale?
– Je n’y ai jamais pensé. En quoi?
– Tu attends que je te le dise, moi? Et tu n’as pas envie d’y réfléchir toi même? C’est pas intéressant pour toi?
Je me sens comme une élève qui a fait ses devoirs formellement… Moi, je voulais impressionner avec mon histoire, et j’ai ramassé «une réprimande»…
Diable! Je veux quoi au juste? Je veux de la liberté ou une vie tranquille et du blabla agréable? Car cette personne, qui qu’il soit, posent des questions qui touchent à ma vie, et à l’aide desquelles je peux me voir moi-même de l’extérieur. Je fais la tête cet instant là, tel un enfant capricieux, telle une fille qui n’arrive pas à manipuler un garçon, et qui veut, par conséquent, lui dire au revoir pour lui montrer son orgueil. Mais, à vrai dire, je ne veux pas partir, ce que je veux c’est qu’il essaye de m’arrêter et qu’il comprenne qu’on ne fait pas comme ça avec moi, que je ne suis pas une simplette quelconque, dont on peut foutre le nez partout, tel un chiot stupide, dans des tas de merde et des ordures. Comme un ressort qui commence à se déployer, je suis sur le point de sauter en une réprimande, une offense, l’antipathie et la réplique froide… Je détourne ce mécanisme, en le faisant chuinter, et je me force à réfléchir sur sa question.
– Peut-être, la peur provenait du fait qu’il était une personne respectable, et on ne sait jamais ce qu’on pourrait me faire pour l’avoir agressé…
– A toi, cette réponse te convient? Il semble que tu essayes de passer un examen et pas atteindre la lucidité.
– Ca y est, je commence à réfléchir.
Pendant un moment on marche en gardant le silence. Je n’ai pas l’habitude de réfléchir longtemps à un sujet quelconque – une vielle histoire… Le plus souvent les idées les plus intéressantes apparaissent sans aucun effort de ma part. Si j’ai besoin de comprendre quelque chose, de résoudre un problème, la compréhension vient souvent quelques secondes plus tard, mais au cas où elle ne vient pas je deviens complètement incapable. Pendant un certain temps j’ai été la meilleure en math dans ma classe. Tout le monde admirait mes capacités en math, et moi je me demandais ce qui les faisait si admiratifs. Puisque la résolution d’un problème mathématique venait tout simplement dans ma tête et il ne me restait que la calculer formellement et la noter. Lorsqu’une telle matière comme physique a apparu, je suis devenue la pire élève dans ma classe. Je n’y arrivais pas à comprendre quoi que ce soit. Cette compréhension me demandait de tels efforts dont je n’étais pas capable. Cinq minutes de labeur sur un problème physique m’enrageait, je lançais le manuel de physique à l’autre bout de la pièce, je pleurais en haïssant mon frère qui allait à la fac de physique mais ne m’aidait jamais avec mes devoirs.
En ce moment j’étais confrontée aux obstacles semblables. En me butant contre quelques idées qui ont apparu spontanément dans ma tête, j’ai compris que c’était pas ça et je me suis retrouvée dans un vacuum. Comment procéder à réfléchir – je n’en ai pas d’idée. Des choses insensées viennent dans ma tête – des morceaux des chansons, de grandes phrases déraisonnables, des bouts des souvenirs. Je m’en débarrasse en me secouant, comme pour secouer des chauves-souris (je n’en ai jamais secoué, mais j’imagine vivement ces sensations) et je me remets à réfléchir.
– Tu peux me dire ce que tu fais? – sa voix était de nouveau dépourvue de toute antipathie, au contraire – j’ai senti de l’intérêt dans le ton de sa voix, et j’ai compris qu’il allait m’aider à comprendre, et je m’en ai réjoui.
– Je réfléchis en quoi était ma peur principale du guru.
– Non seulement du guru, mais en général dans cette expérience… C’est quoi que tu appelles par le mot «réfléchir»?
– Ben….
– Cette introduction n’est pas nécessaire.
– Euh, ben oui…
– Celle là non plus.
Il semble que tout mon acte est stupide. N’est-ce pas ainsi? Ou ce n’est qu’avec lui que je sois aussi stupide? Je n’ai pourtant pas remarqué une telle intensité d’actes insensés de ma part.
– Je considère des versions diverses pour voir laquelle va bien.
– C’est ce que je pensais. Avec cette méthode tu peux trouver la réponse aux questions les plus primitives, les réponses à ces questions sont évidentes et connues pour toi, puisque tu considères les versions connues pour toi. Et c’est quoi que tu sais? Ce qui a été ton expérience déficiente.
– Pourquoi tu crois que mon expérience est déficiente?
– Bien sûr, en comparaison avec cet indien par là on peut t’appeler un génie, une personnalité brillante. Est-ce que cette comparaison te va?
– Non, elle ne me convient pas.
– Alors, écoute-moi, je vais te parler du principe de la réflexion qui te permettra de faire de vraies découvertes.
Comment est-ce j’arrive à redevenir une telle conne et recommencer à protéger ma singularité! Comment il arrive à avoir assez de patience pour continuer à communiquer avec moi…
– Souviens-toi de l’état où ta peur s’est manifestée le plus vivement… Et maintenant n’essaye pas de sélectionner tes pensées, concentre-toi sur cet état et sur le désir de comprendre et d’obtenir une réponse claire à ta question. Ton désir doit ouvrir la situation dans laquelle tu regardes, comme une noix en deux moitiés… ne permet pas à d’autres pensées d’interférer dans ce processus et élimine le désir grandissant de te déconcentrer de cette question, – cet obstacle est le principal, qui te rend incapable si tu ne lui confrontes pas ton désir inébranlable.
Il fait chaud. Je ressemble à une bouilloire dont la fumée sort de tous les côtés, le couvercle fait un vacarme en sursautant… Je me suis cramponnée à l’image de cette situation sans laisser aucune mine prétendante s’en approcher, mais, apparemment, les forces commencent à m’abandonner, rien à faire… J’ai une très forte envie de comprendre, de trouver la réponse à la question. Ca ressemble à du sport – une telle envie de sauter haut et beau. N’est-ce pas encore la mauvaise motivation? Mais non, au diable des exploits sportifs, puisque en réalité je veux surmonter ces obstacles et comprendre, car cette découverte peut changer toute ma vie! Et tout à coup quelque chose s’est réellement ouvert, comme si un bouton a éclos, pour laisser voir l’intérieur de la fleur. Et j’ai compris! Je n’arrive pas à comprendre, comment ça s’est passé, pourtant j’ai COMPRIS!
– J’avais la plus grande peur du jugement des gens!
J’ai eu la sensation comme si mon visage s’est défroissé et s’illumine de l’intérieur, il a dû le remarquer.
– Et qu’est-ce que tu en penses maintenant?
– Que l’opinion des autres n’a aucune importance, – étonnant, c’est moi qui dis ça? – Cette peur n’est pas fondée, parce que en réalité l’opinion des autres ne change ma vie nullement.
Etonnant! Même ma voix s’est transformée, comme si quelqu’un sage, compétant, sûr de lui-même, calme m’a abritée… Dans ma tête il y a une lumière douce et dorée, et chaque pensée qui en découle provoque des sensations agréables, frissonnantes dans ma tête et dans mon cœur. Les pensées chaotiques ont reculé quelque part, et je n’avais pas du tout envie de retourner vers elles. Je n’avais pas envie de réfléchir, et à quel point c’était étrange de ne pas le faire tout simplement parce je n’en avais pas envie. Je voulais me pousser tout doucement vers cette lumière en écartant tout ce qui en détournait mon attention. Et bien que les pensées soient ensoleillées et tendres, ma concentration sur le silence doré se faisait ressentir beaucoup plus profondément.
– Comment est-ce que j’y ai réussi? Si facile…
– Des efforts sincères plus l’effet de présence.
– Plus quoi?
– Peu importe…
… Un portail couvert de lierre a apparu devant mon nez de manière absolument surprenante. Il était illuminé par la lune toute proche, et la maison au fond du jardin m’a paru menaçante… Ce n’était qu’à ce moment là que j’ai compris que cet inconnu m’a amenée chez lui, et que je ne pourrais pas rentrer dans mon hôtel toute seule, puisque je n’avais aucune idée comment on y est venu.
– C’est ta maison? – j’ai demandé avec une petite voix.
Il a éclaté de rire fort et bienveillant et m’a légèrement poussé en avant.
– Tu peux encore supposer que je viole et tue des gens?
– Non… Mais j’ai eu peur.
– Entre, tu va aimer.
Ma peur a disparu sans laisser de traces, et tout de suite tout s’est voilé d’une magie douce. Ca ressemble tellement à un rêve! Pourvu que je ne me réveille pas…
Il y avait un léger aromate de cire et des encens dans la maison. La lumière a été allumée et je me suis retrouvée dans un petit hall, dans lequel plusieurs portes menaient dans l’inconnu.
– J’aime déjà, j’ai l’impression que c’est ma maison…
Et il me semble, en plus, que je sais ce qu’il y a derrière cette porte… Une chambre en demi-cercle, avec un plancher chaud en bois foncé… Il est un peu difficile d’accommoder, j’étais comme légèrement soûle … Les seules meubles étaient deux grandes bibliothèques qui ont tout de suite attiré mon attention. Une fenêtre large qui ne se voit pas derrière des rideaux épais en lin… Dans de petites niches il y a des tapis et des coussins pour le dos… Je me retourne… cette place là bas, je veux y aller… Je m’y vautre, et de nouveau tout retrouve sa place, le tableau devient stable et clair.
– Tu as faim?
Ce n’est que après sa question que je me suis rendu compte que j’avais une faim de loup, que mes jambes vrombissaient, et que j’étais morte de fatigue. – Tu peux faire ce que tu veux ici. Si tu as faim – cette porte mène à la cuisine. Tu peux manger tout ce que tu y trouves… La salle de bain et les toilettes sont par là, à gauche, et ta chambre sera celle là. Il y a tout dont tu aras besoin. Je pense que tu te débrouilleras.
Après avoir dit ça, il a disparu.
La chambre me dévisageait avec curiosité, comme une vieillie connaissance qui n’était pas passé depuis longtemps. Je ferme les yeux et je me rappelle que j’ai déjà vécu ça – comme si je me retrouvais sur un bateau, qui roulait légèrement … plus fort… Et cela commence à ressembler à la balançoire… Zut! Je glisse à droite! J’ouvre les yeux – tout est calme, rien ne roule… Je ne pige pas – si je dors ou pas? Je touche le plancher devant, ensuite les murs, le coussin derrière mon dos… Tout vrombit doucement, comme dans un rêve, mais ce n’est pas quand même un rêve… L’inquiétude serre le ventre – peut-être m’a-t-il donné des hallucinogènes quelconques? Mais non, il ne ressemble pas à un méchant… Pourtant je ne suis pas comme d’habitude en ce moment. Je ne peux même exprimer ce qui a changé… Je suis trop fatiguée, le sommeil m’attire dans sa marre douce, je n’ai pas envie d’y résister… Qu’est-ce qu’il est confortable ici, je n’ai jamais imaginé que ça puisse être si confortable! Plaquer tout… rester… rester ici pour toujours, dans cette maison, avec cette personne… En pensant à lui j’ai senti l’excitation pulser en bas du ventre, mais le sommeil a gagné.
… Où suis-je? Je fixe le noir, – je suis dans la même chambre dans laquelle je me suis endormie. C’est curieux combien de temps j’ai dormi et qui a éteint la lumière? J’ai une de ces faims, mais c’est un peu effrayant d’aller chercher la cuisine dans le noir absolu. Cette peur est appelée puérile, mais je l’ai depuis toujours et elle n’est pas puérile du tout! Elle a démarré quand j’étais toute petite- c’est exact, et je me souviens très bien comment ça s’est passé. Je ne sais pas quel âge j’avais, plutôt deux ans. J’étais en train de me coucher, je fermais les yeux et je voyais un espace noir juste devant moi, qui faisait penser à un hall… J’avais envie d’avancer et j’étais exaltée – c’est quoi qui était devant? Sans réfléchir, ni avoir peur je plongeais dans cette noirceur, et de là deux énormes tigres en feu se jetaient sur moi, ils me brûlaient en me rejetant en arrière… Ca se répétait plusieurs nuits d’affilée, ce rêve était tellement réel, j’avais tellement mal, que je me réveillais avec de vraies brûlures, que des docteurs stupéfaits ont tiré jusqu’à une allergie, provoquée par une raison inconnue et incurable. J’essayais de parler de ces rêves à mes parents, mais cela les angoissait de manière incontrôlable, – ils m’ont amené voir un psy, qui m’a trouvée absolument normale, probablement, plus émotive que les autres, mais «sans aucune pathologie».
Désormais, j’avais peur du noir pendant la veille. Jusqu’à ce jour là j’avais peur de sortir mes bras de la couette, puisque cela me faisait sentir particulièrement vulnérable. Si j’avais besoin de marcher dans une chambre dans le noir, je ne me sentais en sécurité relative que au cas où je savais exactement où se trouvaient les interrupteurs et combien il fallait de temps pour y accéder. Et à ce moment là j’avais peur de me lever pour aller à la cuisine, en plus dans cette maison… Lorsque je relisais du Castaneda la dernière fois, j’ai failli prier pour que des mages me «trouvent»… De quelle magie je parle, si je ne peux même pas aller à la cuisine la nuit sans avoir peur! J’ai déjà vingt cinq ans, et rien n’a changé dans cette peur, je crèverai ainsi, comme une nulle angoissée. Je me lève, je vais dans l’endroit le plus noir dans la chambre, dont il va sortir… Le plus effrayant c’est l’inconnu. S’il se pointe, je saurai où taper ou bien où se précipiter… Pour l’instant tout est calme, pour l’instant on ne voit rien, la peur est paralysante. Je me mets au centre même de l’endroit effrayant et j’y reste sans respirer, j’ai peur de bouger les mains, je m’efforce durement de rester sur place, et ne pas galoper en panique en recherche de l’interrupteur.
Rien ne se passe, juste le noir autour s’étincelle de ma tension. La peur me lâche petit à petit… Là, dans le coin là bas? Le coin là bas, le cœur se remet à battre… Je me pousse dans ce foutu coin, qu’est-ce qu’il est noir, il semble qu’on peut tout simplement y tomber… mais non, – je me cogne contre le mur en me rendant compte que j’ai peur de rester le dos tourné vers la chambre, dans laquelle diable sais ce qui se passe en ce moment. C’était aussi un gros problème lors d’endormissement – où tourner le visage, d’où attendre une attaque? Car «ils» sont malins, ils peuvent se glisser dans un trou entre le mur et le lit, – presque chaque soir se passait dans une telle folie… Je reste debout, le dos tourné à la chambre, tendue comme une planche. Le cœur bat à cent à l’heure… Un bruit!!! En poussant un hurlement je sursaute sur place, en un instant je me retrouve en face de la chambre… il me manque de l’air… la bouche est devenue sèche… Mais la chambre est vide, bien sûr, ce n’est qu’un bruit léger ordinaire nocturne. Mais j’en ai assez pour aujourd’hui, apparemment. Je découvre, surprise, que ma main est posée sur l’interrupteur, qui a claqué doucement et la chambre est redevenue douce et accueillante.
De toute évidence, il n’y a pas de meubles ici nulle part. La cuisine ne fait que s’appeler la cuisine, pourtant le frigo par là… A la place de la table – une sorte de grand support en bois, comme si la table a été privée des pieds. Le minimum de vaisselle, pas de chaises, ni serviettes, ni nappes, ni rideaux, ni services de table, – tout est si simple! C’est justement comme ça que je veux vivre, mais, étrangement, même de l’appartement qui est devenu le mien, je n’ai pas pu jeter tout ce qui s’y est accumulé en raisons différentes, – il était possible de ranger ce vase là sur le bord de la fenêtre, et ce service de table est très pratique, quand il y a des invités… Beurk, c’est à vomir que de s’en souvenir maintenant! Si un jour je rentre chez moi, je jetterai tout au diable, en ne laissant que le strict minimum… Et tout de suite de nouvelles pensées puantes surviennent – je me suis mise à réfléchir à qui je donnerais le service de table très cher, à qui j’offrirai le canapé… C’est un délire. En quelques petites secondes le quotidien moisi m’a envahie jusqu’au cou. Je suis une vieille, dégoûtante, couvert de naphtaline et d’humidité moisie, qui tremble de peur de perdre ses services de table et ses sets de linges de lit. J’ai regardé autour de moi – c’est bien que personne ne me voit de l’intérieur en ce moment! Si Lui, il le voit, il me chasserait tout de suite de sa maison. Je vais m’arranger avec cette moisissure moi-même, sans la laisser apparaître. A penser que quelqu’un peut me voir comme ça, je frissonne de terreur.
Du fromage caillé avec du miel, des noix et des pruneaux, – tout est tellement bon ici, j’oublie même le fait que je viens de trouver une vieillarde dégoûtante en moi. J’ai envie de rester encore quelques temps à la cuisine, j’aime bien comment c’est ici aussi, quoi que ce soit différent que dans la chambre. J’ai l’impression que chaque endroit dans cette maison a son caractère que je connais bien.
Dans la chambre, qu’il m’a indiqué comme la mienne, il n’y a rien non plus, sauf un matelas pas très large et un placard incrusté, presque invisible, pour des affaires. Je me suis mise sous la couette, et tout de suite j’ai eu une sensation de planer, comme si je volais sur un tapis volant dans le ciel noir si haut que je pourrais voir le monde entier de cette hauteur s’il faisait tout à coup le jour. Le murmure, d’abord à peine perceptible, devenant plus distinguable ensuite, prononce en une langue inconnue, très vite, soit des mots magiques, soit des prières… Un autre s’y joint, et encore un… Ils s’approchent, m’entourent de tous les côtés, en me remplissant de tranquillité de plus en plus grande. Je glisse dans le sommeil, je fais un rêve que je suis morte, et autour tout le monde pleure et souffre. C’est tellement bien – je suis morte, alors, je ne devrais plus leur expliquer quelque chose, leur écrire, je peux rester dans cette maison pour toujours, puisque le temps n’existe pas ici… Le temps n’existe pas, n’existe pas… – le murmure fort, soit tout près de moi, soit juste dans ma tête.