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Chapitre 23

Main page / «MAYA». Livre 1: Force mineure / Chapitre 23

Le contenu

    Les ashrams m’ont accueillie avec une grande enseigne en métal et une liste d’interdictions. Premièrement, il était interdit, bien sûr, de s’embrasser et, en général, de manifester «une attirance physique». C’est curieux, comment est-ce que cela contredit une recherche spirituelle?  De la pure hypocrisie, et ils l’ont même mise en premier point, cette interdiction … je peux imaginer quelle sorte de personnes y habite, si elles admettent que même un baiser est un crime, au même terme que la prise des drogues et d’alcool. Il est interdit de rentrer après dix heures du soir, – ça sent l’époque soviétique et un camp de vacances de jeunes pionniers… D’ailleurs, il n’y a personne, – il semble que personne n’habite ici, et le batiment de l’ashram ressemble plus à une caserne qu’à un endroit où l’on voudrait faire de la pratique. Au diable l’observation des ashrams!  Je vais plutôt à l’Internet voir mon courrier, la connexion semble rapide ici.

    … Tout ça n’est pas ce qu’il faut. Douloureusement pas ce qu’il faut. Un malaise grandissant provenant de l’ignorance sur ce que faire après, il me déchire en morceaux, – quelque chose s’est mis en route à l’intérieur et n’arrive pas à s’arrêter maintenant, je ne peux même pas rester tranquillement assise sur une chaise. Rester ici encore?  Pourquoi?  Partir?  Mais où?  … Un message de Dany!  Cinq minutes de l’oubli.

    «Salut, ma petite chérie. Je suis arrivé au Népal, finalement, – la route a été longue. Maintenant je suis à Pokhar – l’Himalaya est juste au dessus de moi, au dessus de ma tête, autour – des cimes enneigées, et ici – il fait un bel automne au bord du lac. La saison des moussons n’est pas encore finie – cette année elle s’est avérée un peu plus longue, alors, il pleut tous les jours en discontinu, des fois il pleut fort, dans les montagnes autour il y a des torrents d’eau déchaînée, par ce temps là je n’irai pas dans la haute montagne, j’attends le temps chaud s’installer, les routes vont alors séchées en un jour ou deux, puisque c’est le soleil de plomb ici. Je prendrai la route à ce moment là. Je reste encore quelques jours ici, où il y a l’accès à l’Internet, ensuite je disparaîtrai du monde extérieur pour un mois.

    Je veux partager avec toi ma réussite dans l’élimination des émotions négatives. Avant-hier j’étais lessivé par le long voyage, et lorsque je suis arrivé à l’hôtel il était tard. Pendant encore quelques temps je faisais automatiquement ce qu’il fallait, à savoir: j’ai rempli le formulaire à la réception, déballé mon sac à dos, pris une douche, et puis, tout à coup tout est devenu calme, j’ai même eu peur – à tel point vide et insensée la vie m’a paru à ce moment là.

    Il pleuvait et tout était très calme, je me suis souvenu que dans l’enfance je me réveillais souvent au milieu de la nuit et je n’avais pas du tout sommeil. C’était un état très angoissant – tout le monde dormait à poings fermés, et moi, j’étais obligé de rester allongé dans le noir et me sentir infiniment seul. C’était surtout très poignant à l’internat. Quand j’avais cinq ans, mes parents m’ont envoyé à l’internat, parce qu’ils ne pouvaient pas m’amener à la maternelle tous les jours. J’y habitais toute la semaine et je rentrais chez moi pour les week- ends. Je me souviens très bien comment je scrutais le noir pour pouvoir y distinguer des choses. Ainsi, je pouvais rester des heures en me sentant très mal et en rêvant que le matin vienne le plus vite possible.

    Avant-hier je me suis senti presque comme dans l’enfance, – j’étais aussi triste et je me plaignais moi-même autant… J’avais envie qu’il y ait quelqu’un à côté de moi, qu’il y ait tout le temps quelqu’un, pour qu’on puisse s’occuper l’un de l’autre, et dans ses occupations j’aurait pu ne pas remarquer ce vide effrayant qui me saisit lorsque tout se calme et je reste tout seul.

    Brusquement, la lucidité a apparu. Une vraie lucidité!  Ce n’était pas ni la colère, ni la haine, ni aucune autre chose négative. Comme si toute chose humaine m’a quitté… Ou plutôt le contraire – seulement à cet instant là je suis devenu un Homme?  Je me suis transformé en un roc étincelant, quel rien ne touchait – ni émotions, ni pensées, ni désirs quotidiens. Ensuite, la pitié envers moi-même a réapparu, de manière inattendue, durant la première seconde j’ai hésité – comment cela a pu se passer, car je ressentais de TELLES choses…Je me suis senti mourir rapidement à cet instant là – la rage se dissipait telle la fumée, et je revenais dans le quotidien. Tout s’est hérissé en moi contre cette mort, et en un coup, dans lequel j’ai mis toutes mes forces, j’ai tué la pitié. Il m’a même semblé qu’une explosion a eu lieu… J’étais tendu en attendant sa prochaine attaque, j’avais fermement décidé de ne pas la laisser se manifester plus qu’une demi- seconde…Un éclat de la pitié poignante, – je lui ai encore coupé la tête en un coup. J’ai encore attendu en serrant les dents. Et ainsi encore quelques éclats… Et brusquement, Maya, un miracle s’est produit – comme si le ciel orageux s’est dégagé pour laisser apparaître une trouée du ciel bleu, qui a vite dissipé les restes de nuages et de la tension, et une telle sérénité, un tel calme se sont installés, que j’ai eu envie de rire et de m’immobiliser en même temps. Je regardais autour en recherchant au moins un ombre de la pitié ou d’un autre mécontentement, mais le calme absolu était partout, ainsi que l’exaltation douce et illuminée délicatement!  Et là j’ai compris que c’était justement la joie calme, – au moment où je me suis souvenu de ce nom, tout a retrouvé sa place définitivement, il n’y avait plus aucun doute que c’était justement ce de quoi Lobsang avait parlé.

    Cet évènement a changé toute ma vision de la pratique de la voie directe. Jusqu’à ce moment là un sceptique se mettait en route, qui me disait que je n’y arriverais jamais, que l’élimination des émotions négatives puisse être principalement impossible. Et j’appliquais trop peu d’efforts pour vérifier tous ces doutes, et puis, pour soit chercher une autre voie, soit me livrer entièrement à cette pratique.

    Maintenant il n’y a aucun doute que l’élimination des émotions négatives est REELLEMENT possible. Je sais maintenant que je suis CAPABLE de le faire. Cela demande beaucoup plus d’efforts que je suis habitué à faire dans tous les domaines de ma vie, mais je possède cette force. A quel point c’est merveilleux de me rendre compte du fait que j’ai cette force en moi, et que la liberté par rapport aux émotions négatives dépend que de l’envie!  Maya, j’ai fait une découverte très importante – tout dépend que de la force de l’envie. Ce soir là je voulais tellement fort de cesser d’éprouver de la pitié envers moi-même, que j’étais d’accord pour mourir pourvu que je ne cède pas. Et j’ai réussi.

    Je ne sais pas où prendre une telle détermination qui permettrait d’éliminer toutes les émotions négatives, mais je sais maintenant que c’est ma voie, et je ne peux pas imaginer ce qui doit se passer pour que j’oublie cette expérience, pour que je recommence à douter.

    J’aimerais bien savoir ce que tu penses en ce moment qu sujet de l’élimination des émotions négatives en tant qu’une voie qui mène à la liberté et l’éclaircissement?  Tu doutes toujours que ce soit réel?  

    Je veux que tu saches – quoi que ce soit comme voie que tu choisisses, cela ne change rien dans cette tendresse vibrante que j’éprouve envers toi. C’est super agréable d’imaginer que je te serre dans mes bras, que je vois de la tendresse et de la passion dans tes yeux, que ta vie est remplie des recherches et des découvertes, peu importe – avec moi ou sans moi.

    Je me rappelle très bien tous tes goûts et odeurs, toutes les sensations de chaque ligne de ton corps… Cela m’excite beaucoup de me rappeler que quand j’enlevais tes petites chaussettes, j’ai embrassé tes petits pieds et c’était tellement bon… tes petites chaussettes sentaient si bon… et ta culotte… et comment sentaient tes petits pieds …à côté du talon – une odeur, sous tes petits doigts – une autre, et juste sur «la plante» – encore une odeur différente, tes petits doigts avaient leur odeur à eux, et le genou, et en dessous du genou, tes petits seins, ton derrière, ta chatte, ton dos, ton ventre, ta nuque, tes cheveux… tout a son odeur spéciale – tout a son odeur fine, et en se liant à la tendresse cela donne des sensations si vives…

    Et le goût … tu n’imagines pas – à quel point ça excite de te lécher toute entière, des doigts de pieds jusqu’aux joues – tout a son odeur délicate, et c’est l’odeur du sexe.

    Ma petite libertine, je ne sais pas si l’on se reverra un jour, mais je suis sûr que tu restera pour toujours mon amour indépendamment de tout.

    Dany».

     

    Mes doigts, vibrant de l’excitation, sont tombés sur le clavier telle la pluie.

    «Dany, je t’en dirai plus plus tard, je dois me concentrer et réfléchir…Et maintenant je veux saisir ta queue à travers le pantalon et la sentir gonfler dans ma patte. Je vais te regarder dans les yeux et te peloter, et ensuite je la sortirai pour caresser la verge avec mes petits doigts, je retiendrai les couilles dans ma paume, et je masturberai légèrement ta queue chaude et un peu humide… J’ai tellement envie de toi juste maintenant…, je pourrais me masturber ici, s’il n’y avait personne à côté. Je voudrais qu’on s’embrasse longtemps en sentant comment tu as envie de moi, tout tremblant de l’excitation. J’aime tellement quand on se caresse innocemment, en se touchant à peine, lorsque tout l’intérieur brûle de désir. Quand je me rappelle comment tu étais allongé sur moi en me caressant avec ta queue, en te retenant difficilement, pour ne pas jouir, tout de suite tout commence à palpiter, même les bouts des doigts. Dany, je souhaite très fort te revoir – te parler, me promener avec toi, me vautrer dans l’herbe avec toi, fixer des nuages qui passent, s’embrasser, faire l’amour. Et c’est tellement bon que je n’aie aucune déception si je pense que tout ça peut ne pas se produire. Puisque justement maintenant quand je pense à toi, quand j’imagine notre rencontre, je vis quelque chose de précieux en soi, justement maintenant je vis!  

    Je veux te raconter beaucoup, y compris mon attitude envers la pratique de la voie directe. Ce message t’attendra jusqu’à ce que tu descendes des montagnes dans la vallée. Je peux dire une chose sûrement – en ce moment l’idée de l’élimination des émotions négatives me préoccupe vivement, je fais les premiers pas dans cette pratique. Maintenant cela ne me parait pas absurde, quoi que je continue à chercher d’autres voies et d’autres disciplines.

    Je pense et je sens qu’on se reverra… Il est possible qu’on aille ensemble à Daramsala voir Lobsang, je le voudrais beaucoup, mais je sens que ce n’est pas le moment, je n’ai pas pour l’instant envie de lâcher mes recherches pour y aller. Ta petite chérie».

    Encore quelques messages – oh, il y en a 3 de mes parents (le titre d’un d’eux est très significatif – «Réveille-toi! », un – de Yana, et encore un – d’une autre copine… cela a senti le moisi renfermé… Je préfère plutôt de reporter la lecture de tout ça.

    Et pourquoi est-ce que je ne l’ai pas supprimé tout simplement? – cette idée suintait lorsque je marchais sur la route dans le noir à travers la jungle de Svarg Ashram jusqu’à Lakshman Djoul, – mais pourquoi?  Pourquoi?

    Pourquoi, parce que… parce que ça fait peur de s’y prendre comme ça, de jeter son passé à la poubelle. Moi, je pensais en partant pour ici que tout était fini, je me sentais un héro.

    Eh non, dans mon élan je ne pouvais pas supposer qu’il était si difficile de résister aux attaques de la vie ancienne, qui ne voulait surtout pas me laisser et se battait pour m’avoir, pour me posséder. Les parents que je haïssais tranquillement toute ma vie, m’ont soudainement paru pitoyables, inoffensifs et fragiles, – va comprendre?  Et toute à l’heure non plus je n’ai pas lu la lettre, je ne voulais pas m’empoisonner, puisque je savais qu’il y avait une portion de pus, mais quand même je les plains, je me sens un petit monstre qui défend ses droits «erronés». De certaines idées viennent dans la tête, du genre – «on peut toujours faire de façon humaine, sans faire souffrir les autres … Ils ne te souhaitent pas de mal en réalité, ils souffrent eux-mêmes, pourquoi leur faire aussi mal…» Je ne le veux pas, je ne veux pas y penser. Tous ses pensées sont moisies, pourquoi le sont-elles – je ne sais pas pour l’instant, mais le plus je pense que j’aurais pu faire autrement, de façon humaine, le pire je me sens, comme si je grattais une plaie sans pouvoir m’arrêter. Ca y est, assez, je mets les parents de côté… Les étoiles, brillantes et si proches… Mais non, encore ses mines souffrantes réapparaissent, et avec elles la pitié, telle la purée, se répand sur toutes mes perceptions. Qu’est-ce que c’est qu’un effort?  Tout mon corps se tend durement comme un caillou, le souffle est entrecoupé, j’essaye de repousser l’émotion négative avec des expirations brusques, – autrement, je ne sais pas comment faire des efforts. Quelque chose change, la toile de l’obscurité totale se déchire, mais pas un ombre de la libération par rapports à la pitié.

    Des rêves sombres et maladifs m’ont emmenée dans le tourbillon importunant, – la pitié envers mes parents a atteint son apogée, lorsque ma mère est tombée à genoux devant moi en sanglotant et en me suppliant de leur écrire au moins de temps en temps.

    Le matin m’a accueilli avec de l’angoisse, et malgré le soleil éclatant, il semblait qu’il faisait sombre. Sans avoir déjeuné, j’ai pris mon calepin et je suis sortie de la chambre humide et sombre (quel idiot a inventé ses fenêtres aux filets épais et denses? )

    En passant à côté de la réception, j’ai pensé que j’allais rencontrer le pandit en chef ce jour là, et que j’aurais besoin d’un interprète, une personne de confiance, qui parlait bien anglais. On m’a promis de trouver une personne, et je me suis dirigée à la plage sans remarquer quoi que ce soit, excepté l’état dépressif infranchissable, que je connaissais tellement bien, – parfois il durait sans interruption les mois longs hivernaux. Et à ce moment là aussi je me suis préparée inconsciemment à ce que ce soit long et douloureux, et fallait chercher vite de petits trous pour se cacher lorsque j’aurais insupportablement mal.

    Je suis venue presque sur le talus qui descendait vers la rivière, quand l’un des deux jeunes indiens passant à côté en mobylette a passé sa main sur mon sein. En rigolant ils se sont précipités en avant, et moi j’étais tellement ahurie par cette insolence que je suis restée encore quelque temps sur la route en réfléchissant je ne sais pas pourquoi comment me venger pour les sensations désagréables que j’ai eu la chance d’éprouver. C’était presque un vrai viol!  Diable, à quel point c’était dégoûtant…

    Un petit groupe d’indiens était assis sur le sable argenté à côté d’un grand caillou, ils scrutaient ouvertement des femmes européennes à la peau matte qui étaient en train de se mettre dans l’eau froide en poussant des cris aigus. Cette vue m’a tellement répugnée que j’aie décidé de ne pas me déshabiller, exprès pour ces singes. Apparemment, il m’est survenu un empoisonnement spécial, vu l’attention ininterrompue et maladive de la part des «hommes» locaux. Ils voulaient tous quelque chose – me parler, me fixer, me peloter, se prendre en photo avec moi… Leurs regards étaient lourds, sans aucun ombre de la sexualité saine. Lorsqu’ils me regardaient ils faisaient penser aux animaux peureux et enragés, – ils avaient envie de moi et comprenaient en même temps que cela n’arriverait jamais, et ça les enrageait, vu qu’ils ne pouvaient pas le manifester. D’ailleurs, les regards lourds et moroses parlaient plus que toutes les manifestations probables.

    Je me suis mise à l’ombre et j’ai sorti mon calepin. Je n’avais envie de rien. Je n‘arrivais pas à me forcer ne serait-ce qu’à penser qu’à ce moment là je me sentais affreusement mal et que je pouvais essayer de le changer. Comme en me débattant pour sortir d’un marais engloutissant j’ai parcouru mes notes de ces derniers jours, en espérant que cela changerait quelque chose et que en m’accrochant à une idée intéressante je pourrais me faire sortir de cette cave. Mais non, – je ne voulais définitivement rien lire, ni noter.

    J’ai fourré le calepin dans le sac à dos, puis j’ai jeté un coup d’œil autour de moi. Pas loin de moi il y avait une petite compagnie de trois personnes – deux européens et un sâdhu, ils se parlaient lentement… Eh, c’était curieux – vu que les sâdhus parlent rarement anglais. Et de quoi est-ce qu’ils parlent?  Tout de suite je me suis sentie gênée de m’approcher et m’incruster dans la conversation… Et si c’était exactement ce que je recherchais?  Car on ne sais jamais où la vie peut manifester sa nouvelle facette. Peut-être justement maintenant, au moment où je me sens gênée c’est le moment de choisir, qui est si facile de foutre en l’air à cause de mes complexes?  Je me dirige avec une démarche sûre vers la petite compagnie, l’anxiété et la gêne traînent quelque part derrière moi.

    – Je t’ai entendu parler anglais, puisque tu parles aux étrangers… On ne rencontre pas souvent un sâdhu qui parle anglais.

    – Et oui, mon amie!  Je parle anglais, – la sâdhu a dit bravement en faisant un grand sourire et en rallongeant le «yes» comme le font des personnages de dessins animés. Assieds- toi!  – il m’a indiqué une place.

    Je n’aime pas ses yeux, – ils sont vides. Si l’on lui enlevait ses haillons oranges, on verrait un indien complètement ordinaire. De quoi donc parle-t-il à ses gars?

    – Tu fais une pratique quelconque?

    – Une pratique?  – apparemment, c’était la première fois dans sa vie qu’il a été si étonné. Une pratique?  De quoi tu parles?

    – Je veux dire un yoga ou une autre pratique spirituelle.

    – Ah, OK, j’ai compris… Une pratique!  Et oui, bien sûr, une pratique… Je parler mal anglais.

    – Mais comment alors vous vous comprenez?  – j’ai demandé aux étrangers.

    – C’est très simple. Il dit combien coûte son haschisch et nous disons ce que nous sommes prêts à payer.

    – Il vend du haschisch alors???

    – C’est quoi qui t’étonne ainsi?  Bienvenu en Inde.

    J’ai sursauté comme piquée par une guêpe, et sans faire attention au sâdhu et ses clients, je suis montée sur la route par un sentier glissant.

    Et bah – j’ai encore rajouté quelque chose de réel à rien du tout. Mais il y a quand même de la joie dans cet acte, – j’avais laissé tomber la gêne pour venir parler aux gens. C’est un vrai training – qui ressemble à de la musculation. Si une fois j’arrive à surmonter la peur dans une situation donnée, quand je me retrouve encore dans les circonstances semblables, il y a déjà beaucoup moins de peur. Bien que ce soit étonnant, peu importe à quel point la peur a été forte, – la prochaine fois elle sera moins forte tout de même. J’en suis devenue convaincue après avoir été dans la confrontation avec de différents «maîtres spirituels» à Moscou.

    Est-ce que je dois rentrer dans la chambre?  Au moins je peux y rester allongée sous le ventilateur, et personne ne me fera chier. A quel point l’Inde est un pays bruyant!  Ils sont tout le temps en train de crier, écouter de la musique ou klaxonner. Même ici – dans petit Rishikesh, j’en suis déjà fatiguée, sans parler de ce qui se passe à Delhi!  Les premières quelques heures je n’ai pas pu y comprendre quoi que ce soit, – il n’y a pas de silence du tout, nulle part dans cet endroit, par aucun temps de la journée, ni de la nuit. Le bruit acharné des ventilateurs, les hurlements déchirants des vendeurs (une voix normale disparaîtrait tout simplement dans le tourbillon des bruits de l’Inde), les moteurs sans silencieux, le son ininterrompu des klaxons, les chants à voix basse provenant des hauts parleurs des temples… Sans parler du fait qu’ils se communiquent entre eux de manière à faire trembler la moitié de la rue.

    C’est décidé, demain je réserve un billet pour Daramsala. Les montagnes, les monastères tibétains… Les portes vitrées d’une agence de voyage brillaient au soleil. Pas de place pour demain?  Et pour quand alors?  Zut, je vais être obligée de rester plantée ici pendant encore trois jours!  J’ai failli pleurer à cause de l’impossibilité de changer quoi que ce soit. Dans la chambre je suis tombée sur le lit, le nez fourré dans le draps gris, et cela m’a complètement achevée – j’étais comme un cadavre.

    A cinq heures l’interprète n’était toujours pas venu, ce qui était normal pour un indien. Après avoir attendu quinze minutes je suis sortie dans la rue, nerveuse, en train de guetter je ne savais pas qui. M’étant rendu compte que c’était une réaction psychopathologique qui ne servait à rien, je suis rentrée pour m’asseoir sur le canapé de l’hôtel en velours décrépit, je n’ai pas remarqué quand je me suis mise à creuser son accoudoir en bois et le tapoter avec mes doigts. En me mordant les lèvres, je ne détournais pas mon regard de l’horloge ronde dorée, accrochée au dessus de la tête du réceptionniste habillée en une laine trouée, qui, il y avait déjà quelques heures de là, m’avait juré d’amener un interprète, et en ce moment il avait apparemment sommeil et l’intention de roupiller justement sur le comptoir de la réception.

    – Hello, il est cinq heures vingt déjà, je ne peux pas être en retard, j’ai un rendez-vous à Svarg Ashram…

    Il a bougé brusquement.

    – Ah?  Bien sûr, il va arriver.

    – Vous lui avez dit pour quelle heure?

    – Cinq heures.

    – Je vais l’attendre combien de temps encore?

    – Oh…oh…ben, asseyez-vous, ne vous inquiétez pas.

    – Je suis fatiguée de rester assise, je peux attendre comme ça.

    J’ai remarqué plusieurs fois que les indiens s’angoissent quand on reste debout là où l’on peut s’asseoir, – surtout cela concerne les agences de voyages. Les indiens sont une nation pathologiquement paresseuse, et apparemment, ils ne peuvent même pas imaginer qu’on peut devenir fatigué de rester assis et qu’on peut vouloir de l’effort physique, y compris un tel effort comme ne pas s’asseoir partout où le derrière est attiré automatiquement, mais rester debout. J’ai remarqué une chose dans le métro à Moscou. Même si je ne suis pas fatiguée, je suis attirée quand même, comme par un aimant, de prendre une place libre, et si l’on essaye de le surmonter et reste debout, il survient alors un tel mécontentement (et une telle fatigue! ), que moi, la plupart du temps je cède et je m’assois. Ce dernier temps, lorsque je me retrouvais dans le métro, j’aimais lutter contre cette habitude sénile, donnée par les parents soucieux et accrochée à moi à mort.

    – Il est presque cinq heures et demie!  – j’étais outragée. –Où est l’interprète?

    – Il arrive, il arrive…

    – Mais non, merci, j’en ai plus besoin. Je ne peux plus attendre. Je m’en vais.

    – Excusez-moi, je n’y suis pour rien, on s’était dit… – la porte s’est refermée, je me suis retrouvée dans la rue.

    Il ne faisait plus aussi chaud, il n’y avait plus autant de bruit que dans la journée. J’ai pris un rickshaw et dix minutes plus tard j’étais sur place.

    On entendait la musique de loin, – probablement, c’était une fête religieuse quelconque ce jour-ci. Des marches couvertes d’un tapis vert menaient de l’arc de l’Ashram vers le Gange en contrebas, et pour marcher dessus il fallait absolument enlever les chaussures qu’on mettait dans les rangements, et prendre un jeton avec un numéro. Eh oui, c’était un grand Ashram, – on vous donne même des jetons… Pas loin du bord du Gange, dans l’eau peu profonde, il y avait une sculpture de Siva au visage stupide, – c’était pas toujours qu’ils réussissaient à dessiner un visage neutre à ses dieux, parfois ils étaient ouvertement débiles, mais cela n’empêchait pas de les vénérer.

    Autour, des futurs pandits se précipitaient de partout, – ils apportaient des tas de fleurs, des xylophones, des assiettes brillantes, de l’encens et d’autres bric-à-brac, dont toutes les fêtes locales étaient décorés. Tout en bas, à côté de l’eau, il y avait une petite place pour le feu, – un endroit sacré où le pudja avait lieu. On jetait des fruits, des fleurs et du riz dans le feu et tout ça était considéré comme le don au dieu, – à travers la fumée du feu il recevait les dons des croyants.

    Les gens venaient nombreux et se mettaient sur les marches en attendant, apparemment, la suite de la soirée.

    – Savez-vous ce que ce sera ici ce soir?

    – Pudja – comme d’habitude.

    – Ce n’est pas une fête alors?

    – Non, ça se passe ici tous les jours. C’est très beau.

    Ben, tout le monde a sa propre notion de la beauté, – cette idée m’est passée par la tête. Le plus longtemps je reste en Inde, le plus je suis étonnée à voir cette exaltation infantile dans laquelle plongent beaucoup d’étrangers quand ils se retrouvent lors d’un n’importe quel évènement religieux. A voir leurs visages, ils n’éprouvent rien d’exceptionnellement spirituel à ces moments là, ils auraient pu faire des tours de manège avec le même résultat. Il y a aussi un autre type de touristes qui n’ont même pas cette joie là, pourtant ils expriment leur admiration verbalement de manière très vive. Un tableau écoeurant – on voit une personne qui s’ennuie à mort, mais n’arrête pas de sourire et de hurler des phrases bien apprises, qu’elle prononce partout où elle se trouve, du genre «Oh, c’est merveilleux! », ou bien «Ca vaut le coup de voir ça! », ou alors «Je n’ai jamais vu rien de tel, même dans un rêve! »

    Où est le pandit en chef?  J’avais pressenti que dans telles circonstances je n’aurais aucune possibilité de lui parler, en plus, je n’avais pas trouvé d’interprète. Cependant, j’avais l’intention de venir vers lui pour lui reposer la question sur les émotions négatives et sur les pratiques, à l’aide desquelles il s’en sera débarrassé, et sur les perceptions qu’il avait à ce moment là. Et s’il refuse encore de me parler, lui demander une audience… Quoique, pourquoi?  Puisque je comprends tout, il est évident qu’il est un menteur ordinaire. Il ne peut pas vendre sa spiritualité, comme le font d’autres»éclairés» à Rishikesh, mais il peut être au centre de l’attention servile. En plus, il ne donne pas l’impression d’une personne pauvre…

    J’ai épié dans la foule le couple des russes avec qui j’avais eu l’opportunité de communiquer hier. Leurs fronts portaient des traces de riz avec des pétales de fleurs, – cela se fait dans les temples lors des services: un indien imposant est assis dans un endroit voyant, c’est un prêtre, devant lui il y a une assiette remplie de riz, de fleurs et de poudre (cela dépend du temple), et une grande assiette pour l’argent ; tous les visiteurs forment une queue pour s’approcher de lui en mettant leurs fronts en avant et en jetant de la monnaie. Je me suis déjà habituée à voir les indiens porter des bouts de la nourriture quelconque sur leurs fronts, mais un mec russe taché de riz avait l’air extrêmement ridicule.

    Il commence à faire nuit. Siva s’éclaire avec des lampes brillantes, le vent se refroidit, la musique sonne plus fort, on allume des lampadaires d’huile. Presque tout le bout du quai destiné à la pudja est bondé de jeunes en orange, et toutes les marches sont occupées par des indiens vêtus de façon festive et des touristes, et lui, il n’est toujours pas là. Les futurs pandits se comportent comme des écoliers lors de la récré, – ils se mettent des tartes sur la tête, se bousculent, rigolent, et leurs visages sont aussi vides comme ceux des adolescents ordinaires.

    La foule cède la place pour laisser le pendit en chef diriger sa démarche tranquille et déterminée au centre des évènements. Il s’illumine comme Siva et sourit comme Schwarzenegger pendant la cérémonie de nomination à Oscar. Il est le maître de ce bal, il incline la tête gracieusement pour saluer les invités rassemblés des deux côtés sur son passage. Il s’arrête même plusieurs fois pour serrer la main à une personne, il se penche pour montrer le respect. Ce qui est intéressant, c’est que le degré de son attention augmente selon l’allure et la respectabilité de ceux avec qui il entre en communication.

    J’ai repoussé les gens devant moi et je me suis dirigée vers lui, mais on m’a tout de suite attrapée par le coude et j’ai entendu le chuintement:

    – C’est interdit d’y aller!  Ne savez-vous pas qu’il est interdit aux femmes de les toucher, même par hasard?

    – C’est vrai?  Ca alors. Jamais?

    – Jamais.

    – Incroyable… Mais moi, je n’ai pas l’intention de toucher qui que ce soit, laissez moi passer donc, – j’ai libéré mon bras fermement en laissant surpris celui qui m’a attrapé.

    – Hello, tu te souviens que nous nous sommes fixé un rendez-vous hier?

    Un sourire éclatant, l’odeur des huiles et des encens, – il passe tout près de moi sans s’arrêter, bien sûr. Sa cour traîne derrière, lassée, un policier repousse la foule, moi y compris, à une distance remarquable. Une telle rage m’a saisie que j’ai totalement oublié toutes les pratiques, j’ai eu envie de sauter, comme un chat sauvage, sur ce menteur content de lui, qui était maintenant hors d’atteinte, à moins que je commençais à gueuler des gros mots sur son dos, mais entrer en un tel conflit…

    Un gros coup de ma tête contre le sol…

    … Où est la douleur?  Suis-je morte déjà?  Je ne comprends rien… On m’a tiré dessus!  Je n’avais pas mal du tout, mais je n’ai pas pu tomber comme ça, – j’ai été lancée comme par une vague d’explosion et je suis tombée sur le dos… J’essaye de bouger… C’est quoi?  C’est quoi??? Bon sang, je suis debout, dans la foule, serrée de tous les côtés par les gens, – comme pendant les heures de pointe dans le métro. Je n’aurais pas pu tomber dans cette foule, c’était quoi alors? Oh, non, pas ça, mais qu’est-ce qui se passe…

    Un bruit aigu, ressemblant à la fermeture du zip, très amplifié, a soulevé ma tête et je suis devenue comme paralysée. Une personne me regardait, je voyais son visage comme dans un tunnel, le reste est parti dans le brouillard flou. Je n’arrivais pas à comprendre si elle se trouvait à côté ou loin de moi. Son regard fait peur, – un tigre doit regarder comme ça, si l’on tombe sur lui tête-à-tête dans sa jungle. Mais je savais quelque part qu’il n’avait pas d’intention de m’attaquer et qu’il ne faisait que m’étudier pour l’instant… Le souffle s’est interrompu… Ou alors je n’ai pas respiré pendant tout ce temps là?  J’ai été pétrifiée, je me suis mise à attraper l’air avec la bouche, les yeux du tigre sont devenus flous… Un son continu reste dans mes oreilles, j’ai mal au cœur, les jambes tremblent, le doigts ne bougent pas, la noirceur couvre mes yeux, je vais réellement tomber, mais réellement… Je m’accroche aux gens à côtés, les mains me saisissent et me portent, mi-consciente, en dehors de la foule.

    Je me sens comme une petite fille dans les bras d’un géant gentil, – il me semble qu’il peut me porter éternellement, ce n’est pas difficile pour lui… Mais non, je sens le marbre froid d’un banc.

    – Je ne pansais pas que tu étais si faible.

    J’entends une voix basse et très belle. Non, définitivement, je ne la connais pas, mais elle me plait beaucoup!  En un clin d’œil j’ai eu confiance en cette personne, laquelle je n’ai même pas eu le temps de voir.

    – Tu dois jouir souvent?

    -???

    Il a éclaté de rire.

    – Tu es comme une vieille fille!  Pourquoi je peux te demander si tu te promènes dans la forêt souvent mais je ne peux pas te demander si tu jouis souvent?

    – Parce que ça ne regarde que moi, – je me suis mise à toucher mon corps pour voir si tout était sur place et sauve, ensuite l’argent et les papiers. Ma confiance envers l’inconnu a disparu sans laisser une trace. Appeler la police, tout de suite!

    – Il est tard, tous les policiers se reposent depuis longtemps. Ce n’est pas les States ici.

    – Tu lis mes pensées ou quoi?

    J’étais tellement fâchée par con intrusion dans ma vie sexuelle que le fait qu’il savait exactement à quoi j’avais pensé ne m’a pas étonnée du tout. Je l’ai pris comme une attaque successive, pour laquelle il devait absolument répondre.

    – Je vais à la police!  Laisse-moi passer!

    – Je ne remets pas en question ta capacité de guerrière, mais il y a juste quelques instants tu me faisais confiance, et le temps que je te portais tu te sentais en sécurité absolue. Comme tu peux constater, ta tête n’est pas d’accord avec ton corps.

    Sur la surface de mon être il y avait encore des vagues, mais en profondeur un calme étrange s’est installé, malgré moi, un calme ressemblant à la voûte du ciel pendant la nuit sans lune.

    – Qu’est-ce que tu veux?  – je vais quand même poser des questions pour comprendre s’il mon calme est bien fondé.

    – Je t’ai vue hier quand tu t’es mise sur le chemin du pandit. Je n’ai jamais vu quelqu’un se comporter de telle manière.

    – Si insolemment?

    – Non, si sincèrement. J’ai voulu alors comprendre ce qui te motivait. Tu peux répondre à cette question?

    – Je veux connaître la vérité. J’ai tellement lu et entendu comme quoi l’Inde est un pays des sages et des éclairés, que maintenant je n’arrive pas à arrêter de chercher de telles personnes, et je ne peux pas fermer les yeux pour ne pas voir l’hypocrisie et le mensonge de ceux qui prétendent d’être les maîtres.

    – Tu veux dire que aujourd’hui tu es venue au rendez-vous parce que ce n’était pas encore clair pour toi quelle personne c’était?

    – Non, pas pour ça. Aujourd’hui je voulais lui poser quelques questions auxquelles il n’a pas répondu hier.

    – Mais pourquoi?

    Le mécontentement a éclaté, je ne voulais pas réfléchir à ses questions, à quoi bon il m’embête?

    – Pourquoi ça t’intéresse?

    – Ta vie ne t’intéresse pas?

    – Non, je ne comprends pas, tu y es pourquoi?

    – Dis-moi – ça ne t’intéresse pas ce qui te dirige dans tes actes?  Si c’est comme ça, je vais tout de suite te dire au revoir et ne te dérangerai plus avec mes questions.

    Je ne m’attendais pas à un tel pas de sa part, ce diable a réussi à me mettre la puce à l’oreille. J’ai réfléchi à sa question sur la motivation de mes actes et j’étais étonnée à découvrir que, en réalité, elle ne comportait rien de méchant. Je ne comprends pas pourquoi j’ai réagi de manière si inadéquate… en surmontant mon orgueil à contrecœur, j’ai répondu avec un ton plus clément.

    – Ca m’intéresse –ce qui me motive dans mes actes.

    – Très bien. On peut alors revenir à la question pourquoi, au diable, tu t’es ramené ici aujourd’hui?

    -??? Non, je ne comprends quand même pas de quel droit tu me parles comme ça…

    – Tu veux que je sois poli avec toi?  Si c’est la politesse qui t’intéresse en premier, je vais y aller alors… – il s’est levé pour partir.

    Je l’ai retenu par la manche.

    – Attends, attends… Je ne sais pas moi-même ce qui me prend. Ca me dégoûte aussi, la politesse, tes paroles me bouleversent complètement, bien que je ne sente pas d’agression, ni même de rudesse dans ta manière de parler, mais tout de même –c’est automatique, si j’entends un mot rude, je réagis comme à une rudesse dans tous les cas.

    – Probablement, tu n’as pas d’expérience…

    – … d’entendre des mots rudes prononcés avec tendresse et faisant partie d’expression de la sympathie, comme une sorte de jeu?

    – Non.

    – Ce qui est incroyable c’est que je l’ai, une telle expérience, parfois j’aime utiliser des mots «rudes» lors des jeux sexuels les plus tendres. Le problème n’est pas dans les mots précis, ce qui est important c’est le jeu lui-même, l’utilisation des mots rudes dans le contexte de la passion et de la tendresse leur redonne du nouveau sens, un sens contraire. Alors, je comprends tout ça… mais tout de même le mécanisme marche malgré ma volonté.

    Je me suis sentie absolument sans défense après avoir fait cet aveu. Comme s’il m’a forcée de me déshabiller au milieu de la rue pour que tout le monde puisse se moquer de moi.

    –                Ca se passe ainsi parce que tu as un concept comme quoi il est gênant de parler sur des sujets personnels aux inconnus. Et parce que j’ai touché à ta haute moralité avec ma question sur des orgasmes. Tu penses, sûrement, qu’on peut parler sur beaucoup de sujets aux gens qu’on connaît, au sujet du sexe y compris, tu peux discuter sur tout et n’importe quoi avec une personne proche. Mais comment tu distingues qui tu connais bien et qui est proche?

    – Si je connais la personne depuis assez longtemps…

    – Stop!  Assez longtemps – c’est combien?

    – Euh, euh… – zut, c’est vrai, combien?

    – C’est agréable de voir quelqu’un qui ne s’est jamais posé de telles questions.

    C’était flagrant qu’il voulait me taquiner, portant cette fois non plus je n’y ai trouvé aucune méchanceté, aucune malveillance.

    – Je pense que je sais comment définir si je connais bien la personne ou pas. Si elle s’est montrée de manière quelconque, s’est comportée d’une manière ou d’une autre dans une situation compliquée, je peux alors dire que je la connais bien.

    – Et ben?  Et si elle l’a fait pour faire une démonstration pour les autres?  Si ce qu’elle a fait a été motivé par un ensemble complexe de ses peurs et inquiétudes, de ses concepts?  Ou alors la motivation ne compte pas pour toi?  Ou bien pour «simplifier les choses» tu préfères de ne pas y penser?  Pour moi, par exemple, au contraire, il importe peu ce que la personne a fait, mais sa motivation est importante, et si quelqu’un m’a aidé pour impressionner en tant qu’un individu fort et amical, pour se sentir content de soi, je ne vais pas aimer, et si l’on ne m’a pas aidé suite à de la sympathie pure, ça me plairait.

    – Et bien, on peut peut-être le sentir…

    – Exactement!  Sentir!  Et pour que tu sentes quelque chose la personne doit absolument faire quelque chose d’extraordinaire?  Et tu dois absolument la connaître depuis un mois ou un an?  Cela sonne très bizarre – que tu commences à ressentir juste au moment où quelqu’un fait quelque chose important dans tes yeux, lorsqu’il est communément admis de «sentir» que la personne est bien ou pas.

    – C’est vrai, c’est bizarre…

    – Mais je pense quand même que même la dessus tu te mens à toi-même en croyant que tu connais bien la personne laquelle tu connais tout simplement depuis longtemps – un an, ou plusieurs années. Le plus souvent c’est juste un ensemble de circonstances automatiquement rassemblées, le fait que tu communiques avec quelqu’un depuis longtemps – soit en faisant des études ensemble, soit en travaillant ou en étant voisins… Et tu peux raconter ta vie à cette personne juste parce que quand tu la vois, le mécanisme suivant se mets en marche – «je la connais depuis longtemps, c’est une bonne connaissance à moi». Mais, en réalité, tu ne connais plutôt rien de cette personne, n’est-ce pas?  Tu ne sais que ce qui apparaît automatiquement dans ta tête en réponse à ses actes. Tu ne vois ni ce qui la motive, ni ce qu’elle éprouve en faisant des choses, tu n’as que tes pensées stupides, qui te disent – «si elle fait comme ça, elle est comme ça et comme ça…»

    – Pourquoi c’est comme ça???

    – Quelle importance pourquoi. Cela n’a aucune importance. L’autre chose est importante – quoi faire avec ça, comment le changer… Viens faire un tour.

    Il m’a pris par la main, et une vague dense de chaleur piquante m’a léché de l’intérieur. J’ai serré sa paume chaude et sèche, comme chauffée par le soleil, et dirigé mes pas en avant en faisant quelques inspirations à pleins poumons.