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Chapitre 15

Main page / «MAYA». Livre 1: Force mineure / Chapitre 15

Le contenu

    Le col nous a accueilli avec un vent chaud et pénétrant, des nuages filants désordonnés et le soleil vif montagnard, allumant le demi-cercle des sommets enneigés lointains et proches à la fois. Après une ascension de cinq heures pas trop difficile, le but de l’aventure ce jour ci a été atteint. Mon sac à dos laissé par terre, je suis allée faire un tour sur la crête plate et pas très large. Radge s’est allongé sur l’herbe et s’est tout de suite assoupi. On avait beaucoup de temps réservé pour la route de retour, je bougeais donc à gauche en contournant des rochers à pic. Je voulais examiner de plus près la gorge de l’autre côté du col. Il restait un petit peu avant qu’elle ne s’ouvre complètement de la pente adjacente… non, encore la suivante… encore… Ca y est! L’envol successif s’est terminé par un précipice abrupte – il n’était plus possible d’avancer. La gorge s’est avérée étroite, à la descente abrupte, éclairée par la lumière du soleil, elle se fermait à droite par un pic rocheux.

    En regardant au loin de ce point là, le point le plus haut, on avait l’impression de voler, de planer au dessus de la gorge, et j’étais jalouse des oiseaux majestueux qui pouvaient tantôt se laisser planer dans des courants d’air, sans presque bouger les ailes du tout, tantôt piquer vers le bas, en se transformant instantanément en un point. J’avais tellement envie de m’approcher encore, ne serait-ce que d’un pas, de cette splendeur… j’ai fait un pas vers le précipice, encore un et un troisième … tout à coup j’ai découvert un petit sentier bien tracé qui descendait – si abruptement, que pour pouvoir le voir il fallait venir vraiment de très près.

    – Radge!

    Il ne m’entendait pas, le vent emportait les sons à côté.

    – Raaaadge!

    Pas de réaction. Où est-il? Il se peut qu’il se vautre derrière un caillou, se cachant du soleil et du vent. J’ai du revenir au point du départ.

    – Radge, j’ai vu le sentier qui descend du col à droite en bas. Y a –t-il un passage?

    Qu’est-ce qu’il y a dans cette gorge?

    – Oui, il y a un sentier par là, mais nous ne pouvons pas y aller, car on n’aura pas assez de temps pour rentrer dans la journée.

    – Il y a quoi par là?

    – Au fond de la gorge il y a un village – Malana, mais les étrangers n’y sont pas admis, ce sont des endroits sacrés, et il vaut mieux ne pas y aller.

    – C’est bizarre… Ben, on n’y est pas admis du tout? Il y a de la douane par là, hein?

    – Non, bien sûr, qu’il n’y pas de douane, pour nous il vaut mieux quand même ne pas y aller, et il ne reste pas beaucoup de temps. Il est possible de traverser le village, mais seulement par le sentier principal, qui va au milieu même du village. Même un pas de côté du sentier est puni très sévèrement – au mieux tu sera obligée de payer une très grosse amende – 100 dollars (Combien??!!)

    – Et après?

    – Ensuite, le sentier part à droite, et encore deux trois heures continue dans la gorge le long d’une rivière, jusqu’à ce qu’il sorte sur la route.

    – Il est possible de prendre un taxi par là?

    – C’est difficile à dire comme ça… je crois que plutôt oui, mais on n’aurait quand même pas assez de temps.

    – Il me semble que si. Regarde, deux heures pour descendre, trois heures jusqu’à la route, encore une heure pour les détails, en somme, on pourra prendre un taxi à la lumière du jour pour rentrer à Naggar.

    – Je veux voir ce village, et en plus, je n’aime pas aller et venir comme un fer à repasser toujours sur le même chemin. On y va, Radge. Je te payerai plus pour ce bout de chemin supplémentaire… 200 roupies de plus, ok?

    Radge hésitait, quoi que deux cents roupies aient presque fait penché la balance en ma faveur. Finalement, il s’est décidé.

    – Juste promets-moi qu’à Malana tu ne suivras QUE le sentier, n’en détourneras pas, ne parleras à personne, parce que s’il arrive quelque chose – pas que toi, moi aussi je vais ramasser. Même si quelqu’un, même si c’est un enfant ou un adulte, t’appelle, en aucun cas ne quitte le sentier.

    – Mais pourquoi ils m’appelleraient, s’ils savent eux-mêmes que je n’ai pas le droit de détourner? Pourquoi me provoquer, ce serait une véritable escroquerie?

    – … C’est comme ça…

    – Ok, Radge, on y va.

    Le chemin de descente était très pittoresque, mais pas facile. Le sentier descendait en à-pic, il semblait donc parfois que derrière le prochain escarpement il disparaissait tout simplement, mais à chaque fois en m’approchant d’une paroi même, je le redécouvrais, zigzagant incroyablement en avant. Des deux côtés des falaises se dressaient, autour du sentier poussaient des buissons, parmi lesquels couvaient des broussailles épaisses de plantes de cannabis formidables. Le cannabis couvrait la vallée de Kulu complètement de haut en bas, en faisant d’elle un paradis original pour les amateurs fumeurs d’herbe, et ici ses plantes étaient particulièrement massives. (Peut-être que les Rerikh sont restés à Kulu justement pour ça?)

    Pendant presque une demi-heure nous sommes descendus sur le sentier très abrupt, soudainement à droite dans le mur aveugle des rochers j’ai vu un petit sentier à peine discernable. Jamais dans la vie je n’aurais pu l’entrevoir si, en son temps, Andreï ne m’avait pas appris à remarquer des sentiers montagnards dans les rochers – c’est inexplicable. Par exemple, Andreï montrait une pente en disant – regarde, il y a un sentier. Je regardais en essayant de le distinguer pendant une minute ou deux – non, rien, – une pente comme une pente, un chaos de cailloux, de l’herbe et de buissons parfaitement homogène. Je détournais le regard, clignais les yeux et continuais. Et en dixième fois on découvrait – oui, c’est vrai, il y avait un sentier! Mais on ne le voyait pas vraiment avec les yeux, ou plutôt pas quand on regardait directement en face. Pour distinguer un tel sentier, il faut le regarder comme en cachette, en jetant des regards en coin sur le total du paysage, à ce moment là un fil serpentant un peu plus clair apparaît sur la pente. On fixe la pente – rien, il n’y a rien. On la scanne avec une vue de coin – c’est exact, il y en a un. Pour marcher sur de tels sentiers c’est pareil – on découvre ses tournants à l’aide de la vue de coin.

    – Radge, regarde, il y a un sentier par là, où il mène?

    J’ai demandé comme ça, pour s’arrêter un peu et reprendre le souffle, mais la question a fait un effet inattendue sur Radge. Il m’a paru qu’il a même eu peur.

    – Viens, Maya, on a peu de temps.

    – Et c’est quoi qui t’a fait si peur?

    – Rien, tout simplement je ne voudrais pas marcher dans les montagnes dans le noir, et je…

    – Non, Radge, tu ne me tromperas pas. Allez, raconte, je ne te paye pas pour que tu me fasses pâturer ici comme une chèvre, si tu es mon guide, travaille alors comme un guide, raconte ce qui m’intéresse.

    – Je raconte, moi…

    – Raconte alors, et ne me mens pas, Radge, je ne paye pas pour le mensonge, et en général, ce n’est pas aimable.

    La pression du côté de «l’amabilité» m’a aidé, – les indiens sont assez sensibles aux mots «ami», «insincère», et ainsi de suite. Autant ils sont négligents et indélicats, autant ils sont consciencieux. Un jour, sur la route de Delhi à Cashmire, lors d’un arrêt des vendeurs de bric-à-brac divers se sont embarqués dans notre car pour énième fois, et j’ai souhaité acheter une grappe de bananes. Les bananes indiennes ne ressemblent absolument pas à celles qu’on vend chez nous – elles sont petites, quinze centimètres de longueur, et leur goût est âpre et doucereux. Et, bien sûr, elles sont très bon marché. Le vendeur m’a dit le prix de vingt roupies pour une grappe d’un kilo. En notre argent c’est à peu près quinze roubles, moi, j’ai alors voulu sortir l’argent sans réfléchir, mais il y avait quelque chose dans les yeux du vendeur qui ne m’a mis puce à l’oreille et j’ai décidé de demander à un voisin indien – combien coûtait une telle grappe. «Huit ou dix roupies, madame».Ayant appris que le vendeur m’en demandait vingt, il s’est soudainement mis à … lui faire honte! Justement, faire honte et pas gronder, comme on pourrait supposer. Et le vendeur – un homme grand – a eu honte, il a carrément rétréci, en souriant avec un air coupable, me regardant la supplication aux yeux, ils demandait pardon à tous (!) les passagers du car, pris dix roupies, m’a dis merci dix fois et parti ainsi, l’air déconfit. Et maintenant l’indication sur le comportement non aimable de Radge a marché, et il s’est mis à remédier à sa faute.

    – Ce sentier mène à une grotte, c’est étonnant que tu l’aies remarqué… cette grotte n’est pas ordinaire, il vaut mieux ne pas y aller non plus.

    – J’aurais une contravention aussi?

    – Non, personne ne la garde et n’importe qui peut y entrer, qui le voudra… mais personne ne veut.

    – Il y a des serpents? Des araignées? Une paroi dangereuse? Quoi?

    – Comment t’expliquer, Maya… c’est difficile à faire comprendre… ne pense juste pas que je te mens, je ne mens pas…

    J’ai fait un signe à Radge pour le rassurer, qu’il ne se tracasse pas.

    – Cette grotte s’appelle «la grotte des vies volées».

    – Intéressant comme nom! C’est dangereux?

    – Non, je ne dirais pas que c’est dangereux, non, ça ne l’est pas, mais c’est différent avec chacun, et le plus souvent c’est une tragédie… j’ai peur d’y aller, mais mon frère aîné y est entré, il a raconté tout ce qui lui avait arrivé, ou pas tout…, maintenant c’est trop tard pour l’apprendre. Après ça il n’a pas pu continuer à vivre comme avant, il est devenu malheureux, très malheureux, est parti d’ici et cela fait beaucoup d’années qu’on n’a pas eu de ses nouvelles. Cette grotte rend les gens malheureux, et notre famille en a pâti aussi. Elle a volé mon frère.

    Il faisait assez chaud, et juste à ce moment là je ne voulais pas écouter des histoires des familles cassées, cela me touchait peu. Pour les indiens la famille compte encore plus que pour les européens, beaucoup plus, mais dire que la vie de quelqu’un est perdue juste parce qu’il avait quitté ses parents pour de bon c’est exagéré. Mais quelque chose doit se passer par là, si les gens abandonnent tout et partent comme ça? Moi, je n’ai rien à abandonner, j’ai déjà tout abandonné (la physionomie, comme celle d’un sanglier, du rédacteur en chef a surgit et s’est évaporé –elle ne harmonisait pas du tout avec ces splendeurs)

    – Allez, Radge, assez de mysticisme. Il faut que je sache une chose – si j’y vais (avec ces paroles le visage mat de Radge a légèrement pali), aucun danger ne me menace? Je veux dire un danger réel, normal, pas mystique. Ni les diables, ni les dieux ne me font peur, on en manque chez nous en Russie, je ne serais alors que ravie si je croise quelque chose du genre.

    – Non, il n’y a rien de tellement dangereux. Juste sois prudente, on peut trébucher par là et se blesser pas mal aux cailloux pointus.

    – Cela m’inquiète le moins, je sais bien escalader. Allez, j’y vais alors – pas pour longtemps, juste pour voir. Et ne me regarde pas si désespérément, je ne crois pas trop aux esprits et fantômes.

    J’ai trouvé le sentier pas trop raide, il n’était pas difficile à monter, mais ce serait plus compliqué de descendre, comme d’habitude, … c’ était pas grave, j’avais de l’expérience. En grimpant je me suis rappelé notre voyage avec Andreï à Koktebel, là tout de suite derrière la colline sur laquelle se trouvait le tombeau de Volochine il y avait un petit rocher, le sentier allait jusqu’à là et ensuite montait verticalement. Ayant grimpé 10 m en haut, on avait commencé à faire l’amour sur un petit palier où une personne pouvait rester à peine. L’intensité de la sensation était dans le fait que juste en dessous de nous, à 300 m plus bas à peu près, la vallée s’ouvrait au fond du précipice. Je me suis accrochée à Andreï, l’entourant avec mes jambes, collant au rocher derrière mon dos et attrapant les saillies de la roche à droite et à gauche. Je m’étais abandonnée aux sensations remplissant mon corps en longueur et en largeur avec chaque friction qu’il faisait, en absorbant l’étendue immense de l’espace qui s’étalait de tous les côtés…

    Etant montée 20 m, j’ai découvert une petite plateforme dans le rocher partant en haut et à droite, qui, 20 m plus loin, sortait directement sur la grotte. L’entrée était bien cachée par la broussaille et la marijuana et était disposée ainsi que pour le voir il fallait s’approcher de très près. L’intérieur était sonore, sec, assez sympa et ne faisait pas peur du tout. On pouvait s’y reposer parfaitement, à l’ombre, en lisant un bouquin. Elle n’était pas profonde – juste trois mètres environ, et voici un très bon endroit pour s’asseoir. Il se peut que le frère à Radge soit assis ici et d’autres aussi … rien d’exceptionnel.

    Impressionnables sont ces indiens, je vous jure. En dessous de la paroi de la gorge en face de moi des oiseaux planaient, le ciel était bleu vif, c’était confortable de rester assise et petit à petit un léger sommeil m’a envahi. C’était la fatigue de la route qu’on avait fait qui se faisait ressentir. J’allais sommeiller une minute ou deux et partir après…

    Mais je n’ai pas réussi à faire un petit somme, et, après avoir remué mon derrière sur la place et n’ayant pas trouvé de position confortable pour dormir, j’ai décidé de terminer ma visite des lieux. Un peu désolée de constater l’absence des fantômes, d’aventures mystérieuses et quoi que ce soit d’autres, j’ai entamé la descente avec prudence. Etant encore sur la plateforme j’ai remarqué que Radge n’était nulle part en vue – peut-être qu’il s’était encore vautré derrière un caillou quelconque pour roupiller. La descente n’était pas difficile, puisque, à la différence des rochers de la Crimée, où presque chaque pierre est «vivante», les montagnes de là bas étaient assez solides, et une fois une saillie attrapée, on pouvait s’y accrocher avec assurance. Comme pour contester mon assurance en moi, un caillou a bondi au moment où je mettais mes pieds juste à côté du sentier, j’ai perdu l’équilibre et est tombée, heureusement, pas plus que cinquante cm en bas, mais je me suis cogné la hanche très fort. En essayant de retenir les larmes aux yeux, je suis restée assise dans l’herbe pendant quelques minutes, jusqu’à ce que la douleur se calme.

    Radge n’était pas sur le sentier. Il n’avait pas pu partir sans moi, bien sûr, donc… hein, je comprends, le gars utilisait la solitude qui s’était présentée pour satisfaire ses besoins naturels quelques part derrière un caillou.

    A ce moment là j’ai vu quelqu’un descendre par le sentier, et très vite d’ailleurs. En quelques minutes il a comblé la distance pour laquelle j’aurais eu besoin d’une demi-heure, je n’arrivais pas à croire mes yeux qu’on pouvait se déplacer avec une telle vitesse sur un sentier aussi pénible. Quand il s’est approché de moi, j’ai vu que c’était soi-disant «sâdhu», et en plus, il était pied nu! Sur des cailloux aussi pointus avec des pieds nus! Les sâdhus sont des moines nomades, tout leur bien c’est un habit de couleur orange vif et un bidon dans lequel il transporte la nourriture. Et une canne. A Delhi j’en ai vu pareils, mais là ils donnaient l’impression de bluffeurs ordinaires qui faisaient la manche insolemment auprès des touristes et se faisaient prendre en photos avec eux – aussi pour l’argent, bien sûr. Celui-ci était apparemment différent: pas grand, les mouvements pointus, précis, tout son allure respirait la détermination. Lorsqu’il s’est approché, j’ai fait quelques pas de côté, mais j’ai trébuché sur une pierre et failli tomber sur place. Le sâdhu m’a regardé et son regard m’a ébahi. Combien de temps il pouvait durer, ce regard – une demi seconde, une seconde, pas plus, au maximum deux secondes, comme s’il se dirigeait à l’intérieur, pas en surface, il était profond et dense. On évalue des visages, corps, affaires selon leur allure, mais un vrai regard vivant ne peut être évalué que selon ce qu’il provoque en nous. Le regard du sâdhu a sonné dans mon cœur en un glas, une vague chaude a déferlé dans le corps en produisant un afflux aigu de sympathie et de tendresse. Cela a été d’autant plus étrange et même inadéquat qu’il n’avait pas du tout l’air d’un mignon garçon, d’où venait cette tendresse inattendue envers un vagabond desséché, vieux et couvert de poussière? Ce n’était pas, bien sûr, une tendresse érotique, mais à quoi la comparer … neigeuse, virevoltante, comme une tempête de neige légère et prompte à la patinoire, où je glissais étant petite, la glace reflétait la lumière des réverbères, tout papillonnait soit en moi, soit autour de moi.

    Fascinée par des sentiments qui se répandaient brusquement, je fixais le sâdhu, plantée sur le sentier telle un bouchon entre deux grands écueils, en lui barrant le passage. Peut-être que le sâdhu parlait anglais? La possibilité, ne serait-ce que minime, existait – j’ai entendu que à Varanacy il y avait des sâdhus diplômés d’études supérieures, et ils maîtrisaient l’anglais.

    – Tu comprends l’anglais?

    Le sâdhu n’a rien répondu, me regardant tout simplement. Il m’a paru quand même qu’il avait compris, d’après une envolée à peine perceptible de ses cils.

    – Je ne suis pas une touriste, c’est-à-dire pas une simple touriste, je ne te poserai pas de questions stupides, ce qui m’intéresse c’est seulement… (mince, comment dire…) la vérité, tu comprends? Je veux de la vérité, je veux du vrai, je veux ce que je vois dans tes yeux.

    Encore une envolée des cils à peine discernable. Dieu le sait… chez quelqu’un à la mimique aussi réservée et retenue un tel mouvement pourrait signifier quelque chose … la surprise? Qu’est-ce que je pourrais lui dire encore… il serait sur le point de partir, je veux qu’on parle, lui dire alors que je suis russe – d’habitude, les indiens ouvrent les yeux et les bouches et hurlent joyeusement – «aaa… la Russie!!», mais c’est bête. D’un côté, je me sentais complètement stupide et incapable -quoi dire pour qu’il ne parte pas, de l’autre côté, en même temps, je ressentais une lucidité extraordinaire – comme si avec une autre côté de la conscience.

    Il continuait à me regarder droit dans les yeux, mais non plus avec un regard complètement fermé, mais comme s’il observait ou essayait d’observer quelque chose. A ce moment là j’ai compris que mes espoirs étaient vains. Ce n’était qu’un moine nomade, c’était possible que non seulement l’anglais mais même le hindi lui soit inconnu, ne parlant qu’un dialecte quelconque oublié dans le monde…

    – Suis tes désirs! – une voix bien timbrée, ferme et bienveillante s’est faite entendre. Il parlait quand même l’anglais!

    C’était très étrange d’entendre un tel conseil de la part d’un moine nomade! Je m’attendais plutôt au contraire – les suppositions sur la vie d’ascète. Il aurait entendu mes pensées.

    – Oui, je suis sâdhu, mais pas parce que je ne me permets pas d’être une personne ordinaire, pas parce que je m’oppose à mes désirs, mais justement parce que je leur permets de se manifester, et ils m’ont amené là où je suis maintenant, et vont m’emmener plus loin. Il n’y a rien d’autres, que des désirs, qui pourrait amener quelque part.

    – Mais si l’on suit TOUS ses désirs, ne deviendrait-on un simple supplément de ses caprices?

    – C’est quoi que tu appelles un caprice? Un désir qu’on t’a appris à considérer comme insignifiant? Les désirs sont comme des êtres vivants. Si on les supprime expressément et pendant longtemps, ils meurent, et avec eux meurent tout le reste dans une personne, il ne reste qu’un corps malade, des émotions malades et un esprit malade. Les gens n’arrêtent pas de s’interdire tout, tout …dirigent et forcent les autres, veulent quelque chose de ses enfants, leur souhaitent, à eux et à soi-même, bien sûr, du bonheur, mais qui d’entre eux a obtenu ce bonheur? Ce qui peut amener un homme au bonheur ce n’est que ses désirs libres. Et quand ils sont libres, ils sont joyeux, il y apparaît alors une certaine fraîcheur, une force particulière, les désirs se transforment des fantaisies irréalisables en une force réelle, et l’homme devient un vrai créateur, qui crée la paix à l’intérieur de soi et à l’extérieur – relativement à ce qu’il voudra faire.

    En aucun cas je ne m’attendais pas à entendre des choses pareilles d’un moine! J’ai été impressionnée par le sens des ses paroles, ainsi que par l’expressivité. Il n’y avait pas de jeu théâtral en lui, c’était la volonté pure et lucide. Le temps qu’il parlait j’ai même arrêté de me tenir la hanche blessée. J’aurais été moins étonnée, si j’étais tombée sur un éléphant qui savait parler. La conversation m’a saisie.

    – Mais comment faire avec le fait que beaucoup de gens ont des désirs orientés à de la destruction, à faire du mal, à assoupir sa cupidité, comment faire avec eux, les laisser se manifester aussi?

    – Est-ce que toi, tu as le désir de faire du mal et détruire?

    – Moi, non…

    – Pourquoi tu poses la question alors?

    – Je pose la question sur les autres…

    – Je ne parle pas aux autres maintenant – je te parle à toi et je suis mes désirs justement maintenant, si devant moi il y avait été quelqu’un d’autre, j’aurais eu un autre désir.

    Je n’avais rien à contredire.

    – En outre, si une personne est si malade qu’elle a l’envie de tuer, piller ou faire du mal, – le sâdhu a continué, – cela veut dire qu’un grand nombre d’autres mécontentements demeurent en elle, qui, tous ensemble, sont ses restrictions naturelles. En ce qui me concerne, moi… et, d’après ce que je vois, toi aussi, – je suis mieux quand autour de moi il y a des personnes joyeuses, celles qui recherchent et trouvent leur voie, j’aime les aider, mais seulement en ce qui, à mon avis, peut amener à une libération véridique.

    – C’est exactement la façon dont je veux vivre.

    – Tu penses que tu le veux, mais je suis sûr que ce n’est pas le cas, sinon même ton allure aurais été différent, ainsi que ton regard, tes mouvements, tes paroles – tout. Tu ne veux de la liberté et de l’illumination que «en principe», mais comment tu vis chaque instant de ta vie? Je n’aurais, sans doute, pas tort en disant que, au mieux, c’est seulement la centième de ta vie que tu dépenses pour la recherche de la liberté, et le reste du temps passe dans le chaos infime mais meurtrier des pensées et des actes qui ne signifient rien – un passe temps habituel d’attrape illusion, des illusions qui n’apportent pas de joie, ni de plénitude, mais qui t’attachent de plus en plus fort au tourbillon incessant de la grisaille intérieure et des efforts spasmodiques de l’éviter. C’est stupide de te vexer que la vérité ne s’ouvre pas à toi, puisque la plus grande partie de ta vie tu ne la recherches pas. Il n’y a pas de compromis: soit justement maintenant, – il a pointé son doigt dans la terre devant lui,- tu fais ce que tu veux, soit justement maintenant tu vis automatiquement, et cet instant se pose soit sur un plateau de la balance soit sur l’autre. Si tu le comprends – pas en principe, mais en pratique, et commences réellement à te battre pour chaque instant de ta vie…

    Le sâdhu m’a légèrement poussée, il était sur le point de partir, mais tout à coup il s’est arrêté un instant et s’est retourné.

    – Il existe une légende que je vais te raconter. Dans un village dans les montagnes un sage habitait, qui aimait écrire ce qu’il découvrait dans ces voyages de conscience, mais il n’y avait personne pour lire ce qu’il écrivait. Pour gagner sa vie il pêchait du poisson et en vendait au marché, en enveloppant sa marchandise dans des feuilles de son ouvrage, on ne connaît pas le destin de ces feuilles – où il a pu les amener – peut-être, certains allaient dans le tas d’ordures, d’autres se déchiraient et pourrissaient, mais il est possible que certains soient tombées entre les mains de quelqu’un, et les paroles écrites dessus atteignent un cœur en recherche pour y laisser leur trace – qui sait? Et puisque ceci était son désir vivant et libre, il continuait à le faire jour après jour toute sa vie. En te parlant maintenant je fais la même chose – je suis mon désir indépendamment de ce que je peux panser de ton destin, ni du destin des mes paroles. Je n’attends rien – je fais ce que je veux et je poursuis mon chemin.

    – Tu as dit «le désir était vivant et libre». Comment distinguer…

    – Il y a des désirs en éprouvant et réalisant lesquels tu ressens de la joie, l’intérêt, l’anticipation, tu prévois l’aspect mystérieux de ce qui t’attend. Et il y a des désirs qui apportent du soulagement.

    J’attendais la continuation, mais il semblait avoir dit tout ce qu’il voulait.

    – Je suis ravie de t’avoir rencontré, – j’ai dit en regardant dans ses yeux. – Il y a tellement de choses qui arrivent par hasard.

    – Hasard? Qu’est-ce que ce mot veut dire pour toi?

    – Ben… Il veut dire justement le hasard.

    Le sâdhu m’a encore jeté un regard perçant, et j’ai eu l’impression que ma réponse n’était pas celle qui aurait pu maintenir son intérêt.

    – Attends, je vais dire. Le hasard c’est quand il n’y a pas de lien entre deux évènements, pas de rapport de cause et effet, c’est ce que je voulais dire. Le fait que je me suis retrouvée ici à ce moment là – c’est un hasard, puisque j’aurais pu être ailleurs avec autant de chance.

    – Mais est-ce que tu as une telle perception comme «pas de rapport» ou «autant de chance»? Par exemple, je vois les montagnes maintenant et je peux les décrire – elles sont hautes et belles. Je ressens mes désirs et je peux les décrire aussi, je perçois mes pensées, et ainsi de suite – toutes ces perceptions existent effectivement et je n’aurai pas de difficulté de les décrire avec autant de détails qu’il faudrait. Or, c’est quoi ces perceptions «pas de rapport» et «autant de chance»? Décris-les si tu les as.

    Je digérais ce qu’il a dit, silencieuse. Une telle vision m’était très bien connue, mais je n’avais jamais eu l’idée de l’appliquer aux choses aussi simples.

    Il a continué:

    – Tu as la perception de la pensée «pas de rapport», mais tu n’as pas de perception même de «pas de rapport». C’est une énorme différence.

    – Oui, c’est vrai, je ne vois effectivement pas de «rapport», ni de «l’absence de rapport», je ne peux que supposer qu’il…

    – «Il», c’est quoi? «Le rapport»? Comment peux-tu parler de la perception que tu n’as pas? C’est un mensonge, un leurre, sur lequel le faux raisonnement se pose. Si tu veux, parle de la pensée sur «le rapport», puisque le mot «rapport» existe, mais sur le rapport lui-même tu ne peux rien dire – rien du tout! Ni qu’il existe, ni qu’il n’existe pas, ni même le fait que tu ne sais pas si «il» existe ou «il» n’existe pas.

    – Mais comment ça, attend…

    Je voulais réfléchir bien avant de contredire pour ne pas se montrer de nouveau stupide.

    – Regarde, je peux voir qu’une chose se passe, ensuite une autre, et cela se passe constamment dans les mêmes circonstances. Je jette une pierre et le son de sa chute contre la terre se fait entendre. Ne puis-je pas supposer que entre ces deux évènements il existe un rapport?

    – Si, tu peux. Mais cela ne veut pas dire que maintenant tu as une telle perception comme «un rapport». Quand tu ne vois aucun lien entre les évènements, cela ne veut pas dire que tu vois un certain «pas de rapport», on peut alors rien dire sur notre rencontre – si c’est un hasard ou pas. Il y a une énorme différence entre ces deux positions. La première est de se faire des opinions lorsqu’on n’a pas de raisons pour ça – ainsi se forme le faux raisonnement, et la deuxième est de ne pas se faire d’opinions si l’on n’a pas de raisons suffisantes pour ça. Si tu reconsidères tous tes points de vue et opinions sûrs, tu découvriras qu’une énorme partie d’eux n’est basé sur rien du tout, et que tu les maintiens simplement par habitude, ou par l’envie de correspondre aux avis des autres et ainsi de suite.

    – Ecoute, j’aimerais bien en parler encore, tu descends, est-ce qu’on peut y aller ensemble et parler? Ou alors – je suis à Naggar en ce moment, qu’en penses-tu si je t’invite chez moi?

    – Non, je n’ai pas de tel désir.

    – Dommage… pourquoi est-ce que les rencontres passent si rapidement…

    – Je crois que c’est parce qu’en ce moment tu ne représente rien. (C’est-à-dire!??) Tu n’as fait aucun travail sur toi, n’as obtenu aucune expérience, et c’est, peut-être, pour ça que je n’ai pas de désir de continuer la conversation. On ne sait pas si tu as encore une chance de rencontrer des personnes qui savent, mais cela ne dépend que de toi si elles ont le désir de communiquer avec toi, respectivement à comment tu emploies ce que tu as entendu… Va à Rishikesh.

    Il a dit ses derniers mots indistinctement, en les enfilant rapidement.

    – A Rishikesh? Pourquoi? Quand?

    Mais le sâdhu est parti si promptement sur le sentier de la descente, comme s’il ne s’était jamais arrêté. Il était impensable de le rattraper – je me casserais les jambes immédiatement, et la hanche blessée a commencé à se faire ressentir, le bleu s’est déjà manifesté dans toute sa largeur bleu verte. Mais où était Radge?? Cette question m’inquiétait sérieusement, j’ai regardé en bas, en haut, ma tête s’est mise soudainement à tourner et… je me suis réveillée! Je me suis réveillée dans la caverne! Ainsi, tout ce temps là je dormais… Mince… J’ai failli me cogner la tête contre le plafond et j’ai bondi dehors, couru sur la paroi et, en jetant un coup d’œil sur le sentier, j’ai vu Radge, qui allait lancer encore un caillou en haut.

    – Maya, je ne t’ai pas touchée par hasard? J’ai commencé à lancer des cailloux, car cela faisait déjà cinq minutes que je ne te voyais plus.

    – Combien??!! Cinq minutes?

    – Oui, cinq minutes ou à peu près.

    Après être descendue par le sentier je me suis approchée de Radge de très près.

    – Radge, tu restais là tout le temps?

    – Bien sûr, je te surveillais jusqu’à ce que je ne te voie plus.

    – Et personne n’est passé par ici?

    – Non.

    – Et tu n’as pas vu un sâdhu ici?

    Radge s’est inquiété.

    – Un sâdhu? Non, personne n’était ici… Maya, est-ce que ça va? Tu as l’air bizarre. Qu’est-ce qui s’est passé? Zut… Je me suis assise sur un caillou, pris ma tête dans les mains et commencé à réfléchir. (Je n’arrive pas à croire, comment ça, cela a été un rêve alors? Est-ce que des rêves AUSSI réels existent… ce n’est pas possible. )

    – Maya, dis-moi si ça va?

    – Tu sais, Radge, maintenant je comprends pourquoi la grotte s’appelle «la grotte des vies volées». Tu te souviens exactement de ce que ton frère a raconté?

    – Rien de distinct, presque un délire, c’est possible que ce jour là quelque chose de mal s’est passé avec sa tête. Il parlait d’une jeune fille qu’il avait rencontré ici, était tombé amoureux, avait vécu avec elle, ils avaient des enfants, une maison, il avait été heureux, et ensuite tout avait disparu, ma           is je n’ai jamais compris ce que tout ça voulait dire. Jusqu’à ce jour là il n’arrivait pas à se trouver une femme pendant longtemps, il voulait tellement avoir une famille, des enfants, peut-être, c’était à cause de ça que quelque chose s’est passé dans sa tête…

    – Il me semble que je comprends. La grotte a volée la vie de ton frère, car au début elle lui a donné ce qu’il recherchait, mais puisqu’il cherchait quelque chose sur quoi il voulait reposer sa vie, au lieu de chercher sa vie en soi, cela ne lui a laissé que des souvenirs, sans rien changer en lui-même, et où pourrait-il aller avec ce trou dans la vie … or, à moi, la grotte n’a rien volé, puisque ce qu’elle m’a donné ne peut pas être dérober, car ce n’est pas un bien, ni la famille – c’est ce que je suis, moi, une partie de moi – ma compréhension, mon aspiration.

    Radge avait l’air apeuré.

    – Maya, continuons notre route, je ne comprends pas ce que tu dis, en plus, il me semble qu’il ne faut pas rester ici, viens.

    Presque en suppliant il m’a tiré par la manche, et, effectivement, il était temps d’y aller, il n’y avait plus rien à faire par là. Je me suis penchée pour prendre mon sac à dos et failli poussé un cri à cause d’une douleur sourde. J’ai tâté ma hanche – il y avait un bleu beau et juteux.

     

    Encore une heure plus tard, en descendant la pente raide j’ai commencé à douter que cela avait été une bonne idée – celle de faire une course double en une journée. La descente semble seulement une affaire plus facile que l’ascension. Lors d’une ascension les muscles se fatiguent, mais le pied se pose sur le sentier doucement, on voit où on le met, et la possibilité de se blesser est infime. Or, pendant cette foutue descente mes pieds, mes genoux vrombissaient, les jambes frémissaient de la fatigue propre à ce type d’effort, l’effort qui se fait lorsqu’on s’atterrit sur une bosse ou un caillou brusquement. Il n’y avait pas de temps pour se reposer, – on devait atteindre la route pendant qu’il faisait encore jour.

    Tout à coup j’ai perçu quelques maisons au loin, elles fusionnaient si naturellement par leur forme et couleur avec les montagnes qu’on pourrait ne pas les remarquer du tout.

    – Malana!

    Une légère fraîcheur d’appréhension m’est passée sur le dos. En jetant des coups d’œil sur les côtés, j’ai remarqué que les plantes de marijuana sont devenues particulièrement luxueuses, bientôt les habitants du village sont apparu,- les hommes qui coupaient ces plantes avec des petites serpettes. Sans sourire, ni montrer des émotions, ils ont salué Radge, et moi, ils ne m’ont même pas regardé.

    – Tiens, dans toute l’Inde les hommes n’arrêtent pas de me mater, et ici personne ne jette même pas un coup d’œil. Je ne les plais pas, ou quoi, ont-ils ici des relations spéciales entre les hommes et les femmes?

    – Les relations sont spéciales, c’est vrai… Ici on peut se marier, les hommes et les femmes, autant qu’on le souhaite, si seulement on possède vingt roupies pour en faire à chaque fois le sacrifice aux dieux. Tu peux même te marier pour une nuit. Divorcer également est possible autant de fois que tu veux, et c’est gratuit.

    -! Et quant à la morale?

    – Ici ils ont leur morale à eux, ici tout est différent, que n’importe où ailleurs. D’ailleurs, ce village est maudit, on dit qu’il appartient aux démons.

    – Ca veut dire quoi?

    – Qu’il vaut mieux se trouver le plus loin possible d’ici.

    – Ici, il peut se passer tout et n’importe quoi. L’année dernière pendant un orage dans une maison tout le monde qui s’y trouvait est mort. Pourquoi ils sont morts – personne ne sait, il y avait des adultes et des enfants, 7 personnes en tout. Leur corps ont été jetés du sommet d’un rocher, et depuis dans cette maison toutes les nuits on pouvait entendre des sons divers. On a brûlé alors la maison, mais c’est devenu encore pire, – les sons sortaient de derrières des buissons, des coins, dès qu’il fait nuit donc on ne voit plus personne dans la rue. Et ce n’est pas tout! Il se passe tellement de choses ici…

    – C’est peut-être qu’ils fument trop de marijuana?

    – Plutôt, l’inverse – c’est pour ça qu’ils en fument autant…d’ailleurs, je ne veux pas même y penser, pourquoi toute cette diablerie a lieu, je viens ici très rarement, et si c’est le cas je passe en courant le plus vite possible.

    On est entrés dans le village. Le long du sentier battu, sur lequel un ruisseau suintait, il y avait des maisons en bois de deux étages aux balcons sans rampes, dessus des femmes aux visages sombres et regards lourds étaient assises, leurs jambes pendues dans l’air. Toutes occupées par la même affaire – la fabrication du haschisch qui partait dans toute l’Inde et en dehors. Le frottement intensif des plantes de marijuana entre les paumes fait de sorte que dans un certain temps il reste sur la peau des mains une couche grasse et épaisse de la résine de cannabis. Cette résine est ensuite enlevée des mains pour en faire des plaques pour la vente.

    Les enfants locaux de tous les âges faisaient la même chose – certains étaient debout à côté même de la route et frottaient avec leurs petites paumes les branches de marijuana penchées au dessus du sentier, d’autres couraient à l’encontre pour proposer de différentes sortes de haschisch au choix, en essayant de me convaincre que je là je pourrait en acheter au prix le plus bas. J’ai demandé à Radge de chasser les dealers morveux et lui ai montré un petit temple au loin dans le village.

    – Est-ce un temple?

    – Oui, mais c’est interdit d’y aller, et même le prendre en photo. J’ai oublié de te dire de ne toucher aucun caillou. Les habitants du village croient que dans certains cailloux les esprits qu’ils vénèrent habitent, et si tu touches à un tel caillou, tu auras des soucis, – il faudrait payer, et peut-être, beaucoup, – cela dépend de l’humeur des habitants de Malana.

    – Est-ce que je peux regarder un tel caillou?

    – Si je savais je te dirais, mais je ne sais pas.

    J’avais soif, justement on passait à côté d’un magasin – une fenêtre dans obscurité dans une baraque moisi en bois, dans lequel brillaient des Snickers et Coca-Cola. Il n’y avait que deux pas à faire du sentier jusqu’au magasin, au moment où je les ai presque faits, Radge m’a sauvé en m’attrapant fermement par l’épaule.

    – Même là, tu ne peux pas aller! Je t’ai dit – ne quitte pas le sentier. Donne-moi l’argent.

    Je lui ai passé des billets, il les a tendu à un habitant local, qui s’est trouvé à côté, ce dernier les a mis dans la fenêtre qui était de travers, duquel une main matte et sale a tendu une bouteille d’eau.

    Bientôt on s’est approchés du bout du village, et moi, je n’ai rien vu, mis à part la marijuana et des gens moroses. Voilà Malana mystérieuse…