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Chapitre 25

Main page / «MAYA». Livre 1: Force mineure / Chapitre 25

Le contenu

    Plus fort, encore plus fort – la lumière devient brillante. Elle s’étale à travers la dentelle des cils, – un coup de cils à peine perceptible, la chambre émerge de l’océan brillant, encore un peu plus bas – des espaces immenses de la lumière, des entrelacements mouvants, qui ressemblent à des motifs se transformant avec de la vitesse incroyable…Il fait jour ou on est encore le matin?  Je n’ai plus envie de dormir, je me sens vive et concentrée, pourtant je n’ai absolument pas envie de bouger. Se figer et glisser en un petit fil fin doré dans les espaces de lumière… C’est tellement calme, incroyable…

    J’enlève la couette, il fait ni chaud ni froid dans la chambre, il est agréable de marcher pieds nus sur le sol. Je regarde dehors – deux rochers pas très grands, le ciel profond, qui fait penser à du bleu marin, un petit lac… Il n’y a rien de fantastique, ni irréel, mais je reste figée comme si je me retrouvais dans une autre dimension. Il me semble…mais non, je suis sûre que c’est MA place, qu’il n’y a eu jamais personne sauf moi. Je ne suis pas certaine de vouloir sortir pour m’approcher du lac si illusoire comme s’il était sorti de mes rêveries. Je ne comprends pas trop ce que je ressens, je voudrais parler à …

    J’ai frissonné et resserré tout mon corps en essayant de me cacher.

    – Je ne t’ai pas entendu entrer.

    Il parait qu’il ne m’a pas entendu.

    – Qu’est-ce qui t’arrive?  Tu as des crampes?

    – Ben, je suis…

    – Le début est bon.

    Et oui, c’est vrai, il est bon… J’enlève mes mains, je me redresse et je relève la tête.

    – Ca te plait?  – une femelle coquine se réveille…

    – Oui, ça me plait, – il reste sur place.

    J’essaye de marcher dans la chambre comme si de rien n’était. Le corps est encore un peu coincé, comme s’il était serré dans une carcasse fine métallique. Les mouvements ont l’air légèrement affectés, mais j’aime surmonter ces obstacles, – je sens déjà l’odeur de la liberté, je m’y accorde, je la capte telle une onde, mon corps devient alors tout léger et commence à vivre comme ça lui chante… Il m’observe, un sourire léger aux lèvres. Je m’approche de lui très près, je regarde dans ses yeux, qui m’enveloppent en un instant dans une vague chaude… Je n’arrive pas à tenir son regard, il le sait.

    – Dans la nuit tu as fait peur à tous les fantômes, – en me touchant légèrement il a passé sa main sur mon épaule, et ce dernier s’est mis à bourdonner comme une ruche.

    – Tu m’as espionnée?

    – Ce n’était pas nécessaire, – tu faisais tant de bruit, qu’est-ce que tu fichais ici?

    – Je luttais contre ma peur du noir.

    – Et tu as réussi?

    – Non, pas vraiment…

    – Pour surmonter les peurs, comme dans tout le reste, il faut s’entraîner.

    – Mon épaule tremble après ta main…

    – C’est une tâche assez facile. Le plus dur ici c’est de surmonter la stupeur et aller à l’encontre de la peur, ensuite tout se passe tout seul… Tu as dû voir cet effet dans tes confrontations?

    – Oui, c’est vrai.

    – Dans ce domaine tu as un grand espace pour expérimenter. Puisque jusque là tu as seulement fait ce que tu considérais juste?

    – Oui.

    – Et maintenant imagine que tu viens vers un inconnu dans la rue, qui ne te plait pas, et tu lui dis qu’il ne te plait pas, que son visage te parait stupide et tu lui racontes ce que tu ressens?

    – Mais c’est un vrai despotisme.

    – Ca veut dire quoi – le despotisme.

    – Ca veut dire que je m’amuse en faisant des problèmes aux autres.

    – Mais qu’est-ce que tu es bête! … Rhabille-toi et viens dans la grande pièce, on va parler.

    Et ben!  Cette fois-ci je ne l’ai pas pris mal, le fait qu’il m’a appelée bête. Il parait que je me suis habituée d’être appelée bête et je ne le prends plus comme une condamnation. Quoi que, si le ton avait été moins amical, j’aurais été vexée de nouveau, probablement.

    En entrant dans la pièce j’ai senti avec ma peau où était ma place. Et réellement, au moment où je me suis assise entre les coussins, je me suis tout de suite sentie sûre de moi et concentrée. Au milieu du front une légère vibration a apparu, ressemblant à du vrombissement lointain, une légère pression, comme si une certaine force pressait doucement de l’intérieur. Les sensations se sont aiguisées. Une odeur de forêt de pins et du soleil chauffant a émergé. C’est étrange qu’on n’entende pas d’oiseaux, – c’est tellement calme ici, qu’on dirait qu’on est dans la haute montagne. Un silence si étrange qui relie l’humain, tel un petit pont, avec l’espace de l’élément silencieux.

    – Tu crois alors qu’avec tes actes tu provoques des émotions négatives chez des gens?

    – Bien sûr!

    – Le ton impressionne.

    – Et toi tu penses autrement?

    – Je penses, et pas seulement je le pense, je sais que chacun choisit lui-même ce qu’il éprouve.

    – Choisit?!  C’est seulement celui qui sait le faire qui peut choisir, celui qui sait qu’il a le choix, et une personne ordinaire n’a pas le choix.

    – Et pourquoi?

    – Parce que tout le monde a à peu près les mêmes émotions négatives dans les mêmes situations, et tout le monde sait que ça doit être comme ça. Pour avoir le choix la personne doit savoir que ça peut être autrement.

    – Tu mens. Malgré ce que tu dis, en réalité, tu sais très bien que ce n’est pas tout le monde qui a les mêmes réactions dans les mêmes situations. Quelqu’un peut se mettre à te haïr pour avoir annoncé ton antipathie envers lui, un autre, au contraire, se plaindra soi-même, à quelqu’un d’autre ce sera égal, et un autre se réjouira de l’opportunité de se durcir psychiquement. Et encore une version tout à fait rare – quelqu’un peut s’étonner de ton comportement étrange, mais sincère, et essayer de te connaître mieux pour pouvoir apprendre quelque chose de toi dans l’avenir!  Car c’est possible que la personne qui t’a parue antipathique au début, puisse t’intéresser au moins au minimum, si en réponse elle ne manifeste pas d’antipathie, mais de l’intérêt et de la sympathie. Tout dépend de la personne elle-même.

    – Oui, c’est vrai, j’ai menti… Je ne sais pas comment.

    – C’est simple. Admettons que les gens sont responsables eux-mêmes pour ce qu’ils éprouvent, il s’avère alors qu’on peut tout faire ou presque tout – c’est ce que tu as pensé?

    – Exactement.

    – Cette idée t’a fâchée, ce qui t’a aveuglée, et tu as dit donc une bêtise évidente même pour toi-même, puisque l’émotion est sortie au premier plan. Ta raison dormait au moment où tu le disais, tu as tout simplement éteint tout ce qui t’empêchait de manifester l’émotion négative, laquelle te paraissait si justifiée.

    – Je dirais que oui… ça s’est passé justement comme ça!  – l’analyse détaillée de mon mécontentement m’a tellement épatée, que j’aie oublié qu’il s’agissait de moi et que je ne sois pas retombée dans l’inquiétude.- Tu sais, j’aime beaucoup cette idée que mes mécontentements ne sont pas moi. A condition que je le comprenne clairement, je pourrai apprendre à les trouver et examiner avec autant d’attention et de précision que toi.

    – Exact. C’est une vision très constructive. Imagine que ta personnalité est un potager que tu dois cultiver. Dès qu’une mauvaise herbe apparaît, tu l’arraches, puis tu vérifies si tout est propre. Ensuite, tu continues à observer et à chercher des mauvaises herbes, et à examiner de nouvelles perceptions agréables qui apparaissent à leur place.

    – J’ai une sensation comme si j’étais divisée en deux, et cela n’est pas perçu comme une fantaisie… C’est si joyeux de me percevoir de telle manière!  En ce moment je n’ai pas envie de cacher des choses, ni les embellir, puisque tout ça n’est pas moi!

    – Le plus d’émotions tu éprouves maintenant, le plus vite tu perdras cette compréhension qui te réjouit tellement, – il a remarqué avec le ton posé.

    Je me suis arrêtée court et me suis tue, ne sachant pas comment procéder.

    – La compréhension c’est quelque chose qui n’est pas bien compatible avec des émotions, y compris des émotions positives. C’est soit des émotions, soit la compréhension. La compréhension c’est ce qui peut, tels des processus profonds tectoniques, faire tourner ta vie dans une autre direction, les émotions de contentement qui apparaissent automatiquement autour de la compréhension ne sont que des bulles de savon, même plus que ça – c’est des sangsues!  Alors, le pire que tu peux faire avec ta compréhension c’est de permettre aux sangsues d’y coller. Bien entendu, chacun choisit lui-même ce qui lui est plus agréable. Quelqu’un aime avoir des émotions négatives…

    – Ce n’est pas possible!

    – Bien sûr, que ce n’est pas possible!  – il a éclaté de rire, s’est levé pour s’approcher de la fenêtre. – Rien de ce dont je parle n’est possible, car personne ne veut le voir, personne ne veut observer, ni réfléchir, ni en tirer des conclusions. Ca te parait bizarre que presque tout le monde aime souffrir?  Cela ne sonne bizarre que pour celui qui n’a pas avancé d’un pas dans le travail avec des émotions négatives, pourtant c’est un fait incontestable pour celui qui fait cette pratique depuis au moins quelques mois. Donc, tu as une possibilité de t’en persuader toi-même. Figure-toi, les gens choisissent eux-mêmes ce qu’ils éprouvent, et ils optent pour la souffrance parce qu’ils aiment l’éprouver. Admets tout simplement cette observation, je ne te force pas d’être d’accord avec moi. Tu ne pourras pas le vérifier avant que tu aies acquis ta compréhension toi-même, venue de l’expérience.

    – Mais ils choisissent comment?

    – Ben… Au lieu de se résigner au fait qu’ils ont tout le temps des émotions négatives, les gens auraient pu se révolter contre ça, annoncer la guerre à leurs mécontentements, et commencer à aspirer à autre chose, notamment: la sympathie, la joie, la tendresse, l’envie d’aider, la détermination.

    – Et s’ils ne savent pas ce que c’est la sympathie et la joie?

    – Premièrement, de telles personnes n’existent tout simplement pas, chacun a éprouvé à de nombreuses reprises la sympathie et la joie et la tendresse, plus ou moins fort, il y a longtemps ou récemment. L’enfance est une source interminable de telles perceptions. En outre, cela ne rend pas des émotions négatives moins empoisonnantes. Les gens se sont résignés au fait qu’ils ont cette maladie psychique collante, qui se manifeste tout le temps, incessamment. Imagine que tu as tout le temps mal quelque part… Les émotions négatives sont le même mal auquel les gens se sont résignés. C’est une vraie folie, une vraie souffrance. Souviens-toi qu’en un instant tu es devenue inadéquate et ingérable lorsque tu t’es fâchée.

    Les émotions négatives sont une maladie psychique!  Exact, – je m’y suis résignée aussi, je me suis habituée au fait qu’elles sont indéniables, et que ce sont des manifestations naturellement humaines… Et même quand j’ai envie de m’en débarrasser moi-même, je le perçois comme une foucade, un caprice, et pas comme la seule manière possible de les traiter. Hein!  A quel point je me suis collée à elles, cependant, maintenant je vois clairement que c’est une maladie pas moins sérieuse que la blennorrhée ou la méningite. C’est simplement que les gens ont appris à vivre avec cette maladie, ils arrivent à remplir leurs fonctions dans cette société horrible qui existe maintenant… C’est peut-être qu’elle est si horrible justement parce qu’elle «s’est courbée» «s’est pliée» aux émotions négatives?  C’est curieux c’est quoi existait au début – la morale ou les émotions négatives?

    – Chacun a le choix. L’individu crée et soutient ses souffrances lui-même. Propose à n’importe qui de cesser d’éprouver, par exemple, la jalousie – voilà, la personne n’aura rien à faire, juste en un clin d’œil il n’y aura plus jamais de jalousie. Tu penses qu’elle va accepter avec joie?  Je vois sur ton visage que c’est ce que tu penses.

    – Et oui, c’est à peu près ça.

    – Vérifie toi-même…rien de tel. La personne va s’écarter en disant qu’elle n’a pas besoin d’un tel bonheur, qu’elle ne veut pas devenir insensible comme une bûche. Les gens croient que s’ils arrêtent d’envier, de se fâcher, etc., ils ressembleront aux bûches insensibles!  Imagine jusqu’à quel point de moisissement il faut arriver pour s’accrocher ainsi à ses souffrances, à toute cette pourriture, qui empêchent aux émotions éveillées de se manifester?

    – Je ne vais pas manquer à le vérifier. Je vais demander aux gens, immanquablement.

    – Quelque chose se passe, et chacun l’interprète tout de suite comme un évènement négatif ou positif. Il maintient cette interprétation lui-même, ainsi que toutes les pensées qui apparaissent au sujet de l’évènement, or, l’individu aurait pu maintenir d’autres pensées qui ne résonneraient pas avec des états négatifs, mais avec des perceptions illuminées. Mais le problème est que les pensées et les émotions négatives les accompagnant sont considérées comme justifiées, adéquates, ne pas appartenant à la personne, mais venant de l’extérieur. Beaucoup de personnes se voient comme des victimes des états négatifs, et pas comme la raison – le pépin est là. Mais ils aiment être victimes, parce que c’est plus facile, comme ça il n’y a pas besoin de faire des efforts, pas besoin de se battre, – on peut flotter au gré du vent et chercher l’oubli. Puisque si l’individu se dit qu’il se crée et maintient ses souffrances lui-même, comment il va continuer à vivre?  Il n’aurait qu’à se pendre ou se mettre à se battre avec «soi-même».Et là encore – la personne CHOISIT d’être victime, parce que c’est commode et habituel.

    Je l’écoutais en étant d’accord, agréablement, et en pensant avec réprobation aux gens qui cherchent des soucis sur leurs têtes, pour ensuite en accuser tout le monde, mais, comme par hasard, je ne me suis pas rendue compte tout de suite que tout ça me concernait aussi!  Moi aussi, je choisis d’être victime des émotions négatives, puisque je les éprouve, et justement maintenant j’essaye de fourrer ce fait accompli dans un coin éloigné de la cave et le couvrir avec des émotions positives. Je ne veux tellement pas que ça me concerne aussi… Le monde entier se compose de bâtards et d’incapables spirituels, mais moi je suis différente – sur ce je voudrais mettre un point et aller me promener vers les rochers.

    – Je n’ai toujours pas compris pourquoi aller vers des personnes innocentes pour les provoquer d’avoir des émotions négatives?

    – D’abord, parce que cela te demanderait de faire d’importants efforts pour surmonter tes peurs. C’est une chose que de se sentir en son droit, protégée par la force des habitudes solidifiées, et une autre chose – agir comme tu veux, lorsque tu ne sais pas si tu as raison ou pas, lorsqu’il n’y a aucun support sous la forme de la loi, la morale commune et d’autres, – lorsqu’il n’y a rien quoi défendre.

    – Oui, ça je comprends. La lutte avec des peurs en opposition directe. Y a-t-il un ensuite?

    – Oui. Ensuite, de différents désirs éveillés peuvent être ta motivation – non seulement le désir de déchiffrer tes peurs sociales. Par exemple, le désir de montrer de la sympathie.

    -? Quoi?  Comment?  Montrer de la sympathie en disant que la personne t’est antipathique?  Tu n’exagères pas?

    – Non, figure-toi!

    C’est curieux d’observer que mon rire ne l’a pas vexé, l’expression de son visage n’est pas devenue sombre, ni fâchée, le regard n’est pas devenu distant, et le rire est si sincère – c’est tellement extraordinaire quand même, tellement chouette… un éclat de tendresse aigue a explosé à l’intérieur de moi, tandis que je le regardais rire joyeusement avec moi, et surtout j’étais ravie de me rendre compte qu’il rigolait non seulement avec moi mais aussi de moi, de ma stupidité, et cela ne me vexait pas, et je comprenais qu’il le voyais et comprenais aussi… à ce moment là j’ai compris si clairement que s’il n’y avait pas de murs en béton de vexations, de tensions, d’inquiétudes, on pourrait tout le temps éprouver cette ouverture sans frontière, reflétant avec ses facettes de nuances infinies des perceptions illuminées…

    – Je ne te propose pas de montrer ta désapprobation aux gens en suivant le désir de maintenir l’antipathie. Imagine qu’il peut arriver que parmi toute la foule des gens il se trouverait une personne envers laquelle ta sympathie se manifesterait justement de cette manière là – sous la forme du désir de l’approcher pour lui dire que tu ne l’aimes pas, que tu vois en lui une stupidité inébranlable et une compote gélifiée de la pitié envers lui-même. Et pour cette personne alors ce serait une chance qu’elle pourrait utiliser ou rejeter.

    J’ai été un peu fatiguée par cette conversation, et un léger mécontentement a apparu du fait que je ne pouvais pas le lui dire ouvertement. Je reste assise encore quelque temps dans cet état stupide, en réfléchissant comment faire, comment m’y prendre dans cette situation, – lui dire que je suis fatiguée, et il peut alors perdre son intérêt envers moi, ou continuer à parler sans éprouver de la vraie joie de la communication?  Dans le ventre il y a une sensation, comme s’il y avait quelque chose qui essayait de ressortir obstinément, mais les inquiétudes obsessives le freinaient, et elle, telle un chien battu, s’écartait pour un moment, pour ensuite tâtonner le chemin et venir dans la poitrine. Je tranche toutes les peurs autant que possible en m’ouvrant à cette sensation. Elle prend rapidement de la force, repousse toute l’écaille et éclate en une fontaine fraîche sonnante dans mon cœur. La sincérité!  Voilà le critère véridique pour comprendre ce que je veux vraiment en ce moment, quel mensonge je couve en moi, ce que je suis en général.

    – Je veux aller faire un tour… Ca m’intéresse beaucoup, tout ce que tu …

    – Stop! – le regard froid et direct, le ton sévère.

    J’ai frissonné, et de nouveau l’inquiétude m’a envahie, – zut, j’ai encore fait quelque chose de mal.

    – Tu penses que pour me montrer ton intérêt il faut en parler?

    Tu crois qu’on peut faire semblant d’être intéressé?  On peut, bien sûr, mais pour les personnes aussi stupides que toi. Et moi, je ne suis pas intéressé par tes phrases polies, qui sont destinées, en réalité, à une seule chose: ainsi tu échappes à l’élimination des émotions négatives en les déguisant en du contentement embrouillé.

    – Merde!!!

    J’inspire le plus d’air possible, je sors de la peau d’une nullité effrayée, et je prononce à la voix haute et d’un ton assuré:

    – Je veux aller faire un tour!

    – Voilà, – il a ris comme si toute à l’heure il n’a pas été sévère et froid.

    Tout change vite… parfois je n’ai même pas le temps pour me fâcher contre lui. L’offense est en train de venir et tout à coup il se transforme, et j’oublie complètement que j’étais sur le point d’exprimer un reproche, d’accuser d’injustice et de l’attitude négative, la curiosité m’emporte. Un éclat de curiosité provoque de la sympathie envers lui, frôlant tantôt l’exaltation, tantôt l’excitation sexuelle. Avant mes journées étaient stables, et dès le réveil jusqu’au sommeil un même laps de temps se passait, l’humeur était à peu près la même le long de la journée, et si elle changeait, c’était une … ou deux, trois fois par jour. Maintenant il se passe quelque chose d’inconnu. Je me suis réveillée il n’y a pas longtemps, mais il parait qu’une demi journée s’est déjà écoulée… L’humeur change presque toutes les minutes, – une explosion de sentiments, d’idées, d’émotions et de découvertes.

    Un petit sentier rocheux, zigzagant malicieusement entre les broussailles où poussent des fleurs d’automne montagnardes, m’amène au lac. Je n’arrive pas à croire que je me retrouve dans cet endroit. Il ne devient pas plus réel tout de même, une sensation ne me quitte pas comme quoi c’est une autre réalité, ou bien j’ai changé moi-même?  Qu’est-ce que c’est compliqué… «La réalité» et «moi-même», «la réalité» et «moi-même»… «La réalité» peut-elle exister, si moi, je n’existe pas?  J’y ai déjà pensé, mais maintenant il n’y a non plus aucune clarté. Je ne vais pas manquer d’en parler à … Je ne sais même pas comment il s’appelle!

    Le lac semble si… léger, comment dire, comme si il était en air, il ne repose pas sur le fond, mais juste le touche doucement. Je sais exactement comment est l’eau dedans, – elle est froide mais pas brûlante. Je nage très bien, mais normalement j’ai peur de me baigner dans des endroits sauvages – j’ai peur de la profondeur et du fond. D’où vient cette peur?  A travers la voile des années un souvenir flou se fraye le chemin, ce n’est qu’une sensation pour l’instant, qu’une peur inexplicable, reliée à l’image du fond effrayant et inconnu… Les proches… La grand-mère, le grand-père, les parents, d’autres gens, – tout le monde dit quelque chose, s’agite, pour moi c’est comme du bruit inanimé, sans aucun intérêt. Ils ressemblent aux marionnettes mécaniques, – tout le monde a le même goût, comme fait de la même pâte… Le lac… Le lac… Le lac!  Et oui, on est au bord d’un lac!  Je cours vers l’eau, habillée, je veux entrer dans l’eau en courant, c’est un désir si joyeux et attirant!  … Le bord s’est avéré vaseux et abrupte, mais je l’ai compris juste au moment où mes jambes ont glissé dans l’eau et j’y ai été aspiré presque jusqu’à la taille, ma mère m’a attrapée en me serrant contre elle très fort… Au moment où je tombais je me suis retrouvée comme dans un vide, il n’y avait rien – ni peur, ni joie, je ne savais pas comment réagir, je ne savais pas ce que c’était la peur. Zut – pourquoi je m’en souviens, c’est exact, jusqu’à ce jour là je ne savais pas ce que c’était la peur!  Et lorsqu’elle m’a serré contre elle, en s’accrochant à moi hystériquement, quelque chose de nouveau s’est incrusté en moi, – millimètre par millimètre mon corps s’est rempli de quelque chose en béton, gris foncé, envahissant et lourd…

    En laissant mes vêtements et la peur, je cours en prenant de la vitesse, je coupe l’eau avec mes mains, et, tel un dauphin, je plonge. C’est si bon de se sentir absolument sauvage, libre et brave!  C’est mon univers – des forêts, des rochers, des sentiers nocturnes, des lisières sous la lune, des couchers de soleil enflammés, des lacs forestiers… Je me déploie en une étoile sur l’eau, ensuite je plonge encore comme une sirène. Les éclats d’eau résonnent en un écho fin en allant vers les rochers, couverts de petits sapins à leurs pieds. Après m’être amusée assez, je rampe sur le bord et je m’allonge sur un grand caillou, réchauffé par le soleil. Le silence.

    Lorsque je suis rentrée à la maison, il n’était ni dans la chambre, ni à la cuisine, toutes les autres portes étaient toujours fermées, c’était gênant d’aller les ouvrir, quoi que ce soit curieux de voir ce qui était derrière. Une odeur de la nourriture délicieuse venait de la cuisine, j’y ai trouvé des blinis chauds, de la confiture de bananes et de noix de coco et du thé. Alors, il n’y a pas longtemps qu’il a été là!  J’aime sa présence. Dans mes perceptions contradictoires et changeantes avec une grande vitesse de vrais coups de foudre s’enflammaient, provoquant un désir sexuel aigu. J’imagine de nouveau comment il me pénètre, et tout de suite tout tremble et s’humidifie… Mon dieu, qu’est-ce que je dis… d’où vient cette langue de bois … pénètre… remplit… s’humidifie… sinon, comment dire?  Fourre?  Glisse?  Fout?  Se gonfle?  J’ai eu une envie insoutenable de rire, lorsque j’essayais désespérément de trouver des mots qui exprimeraient mes sentiments. Elle est riche alors, la langue française … mais, ce n’est même pas une langue, c’est un embryon…

    Je me demande s’il sait que j’ai envie de lui?  Rien ne l’échappe, maintenant je ne veux pas que ça lui échappe… Je voudrais me déshabiller et me déplacer toute nue dans la maison. Que va-t-il penser de moi?  … Merde, de nouveau cette pourriture sort de moi. Je. Veux. Marcher. Toute nue. Cela suffit pour me déshabiller et prendre plaisir finalement à faire ce que j’ai envie de faire.

    A la maison ça a toujours été un gros problème. Je ne supporte pas toute sorte de vêtements d’intérieur, surtout des pyjamas, des robes de chambre et des robes de nuit… Toute mon enfance on m’obligeait de les porter, et à chaque fois j’avais une sensation de devenir une autre personne lorsque je mettais ces linceuls. Toute à l’heure il y a eu une fillette dynamique, et elle devenait une vieille débile… Mais jusqu’au dernier jour de ma vie à la maison il m’était même interdit de dormir toute nue, sans parler du me déplacer comme ça dans l’appartement. «Papa peut entrer à n’importe quel moment, c’est un homme quand même… Maya, une fille doit dormir en pyjama, sinon tu peux attraper froid à toutes tes parties féminines, en plus, ce n’est pas hygiénique…» Quand j’ai déménagé pour vivre seule, d’abord j’ai jeté au diable toutes les robes de chambre et les pantoufles, que ma mère m’avait emballé méticuleusement dans la valise. La valise, voilà un machin horrible aussi. Les choses humaines jusqu’à la moelle des os – comme la famille, les parents, les enfants, la datcha, le travail, les pantoufles, les services de table, les anniversaires, les vacances, la valise, la retraite… – la ligne descriptive qui se construit facilement. Jamais, jamais, JAMAIS cela ne devra être la description de ma vie. C’est pire que la mort, c’est du moisissement lent, de la décomposition, de la puanteur… La valise va au diable aussi.

    – Pourtant, un joli matin tu peux te réveiller et découvrir que tu es une personne tout à fait ordinaire, et que tu n’as besoin de rien d’autres qu’un doux nid familial avec un brave mari et de jolis enfants.

    De nouveau il a apparu comme de nulle part, de nouveau il savait exactement à quoi je pensais.

    – Non, ça ne peut pas se passer avec moi!  Ce n’est pas possible.

    – Pourquoi est-ce que tu en es si sûre?

    – Parce que j’en ai la nausée de tout ça. Il vaut mieux crever.

    – Il le vaut peut-être bien, mais qu’est-ce que tu as fait pour que ça ne se passe pas?

    – Tu crois vraiment que ce soit possible?

    – Et même plus, – je crois que c’est ce qui arrivera plutôt. Puisque la chance de s’en sortir des souffrances est trop petite pour qui que ce soit. Tu penses, peut-être, que c’est facile, qu’il suffit juste de vouloir… Mais non, ce n’est pas comme ça, c’est plus difficile que tout ce que tu peux imaginer. Même le tout premier pas, notamment – l’élimination des émotions négatives – te demandera un travail si gigantesque dont tu, hélas, n’es pas encore capable. Probablement, tu crois que une fois que tu as le désir de devenir libre et si tu détestes le quotidien, cela te donne des garanties quelconques? Non, Maya, ce n’est qu’une chance d’obtenir la chance. Tu ne sais pas pourquoi c’est ainsi, que tu as un tel désir, as-tu fait quelque chose pour ça?  Non, c’est un mystère pourquoi tu l’as en toi. Et ce mystère n’a pas de lois connues pour toi, à n’importe quel moment ton aspiration à la liberté peut disparaître sous l’eau, et c’est tout. Tu mourras, sans même peut-être le remarquer. Tu continueras à vivre comme tout le monde, en te rappelant tes recherches comme des hobbies de la jeunesse, comme de jolies lubies.

    Avec chaque mot une vraie terreur me saisissait, je me suis même mise à trembler à cause de son souffle glaciale… Je prends des bains de soleil, en rêvant des trucs futiles, je mange bien, et voilà des choses… Qu’est-ce qui peut être pire qu’une telle mort lente et tranquille?  Comme une morsure de serpent indolore, comme un poison insipide, je ne verrai même pas comment cela se passera, je me réveillerai tout simplement un matin… Non. Comme si je plantais un étai au milieu de la flaque opaque des perceptions, j’affirme un pilier inflexible dans cet endroit, – je ne cèderai pas aussi simplement que ça, essaie de me courber.

    Je lance un défi à cette mort tranquille. Je ne vais pas courir pour essayer de m’en échapper, c’est la peur qui provoque la course, et la peur paralyse, ne laisse pas agir, assomme la vigilance et rend floue l’attention. Je veux affronter cette garce, je veux la regarder dans les yeux, et c’est justement comme ça que je veux la vaincre – dans un affrontement direct, sans un ombre de peur, ni de doutes. Elle est partout, de tous les côtés je sens sa puanteur douçâtre. Elle peut m’injecter son poison à n’importe quel moment pendant lequel je ne me battrai pas. Comme c’est stupide d’avoir peur de la mort du corps, lorsqu’à chaque pas cette chienne t’attend, elle mord incessamment, et chaque morsure peut devenir la dernière!  … Après il n’y aura rien, ni douleur, ni peur, puisque je serai morte…

    – Même les hyper efforts dans la pratique ne te garantissent rien. Je veux que tu intègre ça en toi, pour faire le maximum d’efforts pour comprendre ce que je te dis maintenant. RIEN ne te donne de garanties. Si un jour tu deviens libre, si tu échappes de cette prison, – ce serait un miracle, et pas une succession logique des évènements, comme tu voudrais le croire.

    – Mais comment ça se fait??? – je l’ai presque supplié, – et toutes ces pratiques anciennes qui mènent à l’éveil?  N’est-ce pas un chemin suivant lequel chacun, qui aspire sincèrement, viendra?

    – Ce n’est qu’une chance d’obtenir la chance.

    – Mais pourquoi?

    – Je n’en ai aucune idée. Pourquoi le soleil se lève, pourquoi il n’est pas là maintenant, pourquoi un arbre pousse ici, pourquoi cette perception que tu appelles toi-même se trouve justement dans ce corps et dans ces circonstances… Je ne connais pas les réponses à ces questions.

    – Tu ne sais pas?  – et moi, je pensais qu’il savait tout…

    Il a éclaté de rire en penchant sa tête en arrière, comme un gosse.

    – Tu as une très grande opinion sur la raison. Un jour il faudra que tu acceptes le fait que la raison est un outil à des capacités assez restreintes. ( Ben… ça m’étonnerait qu’il s’agisse de toi… et de moi dans ce cas là? ) L’élément n’a pas de lois compréhensibles pour la raison, ce qui se passe en dehors de l’humain lui parait un chaos incroyable… Peut-être, tu le comprendras un jour toi-même.

     

    … Il commence à faire nuit. La lumière n’est pas encore allumée dans la maison, et cela la rend un peu effrayante, et en même temps fascinante. Le crépuscule rampe à l’intérieur, tel un brouillard foncé, il commence à faire frais. La fissure rouge du coucher du soleil n’est pas encore complètement éteinte, cependant, les étoiles se mettent à briller au dessus du deux rochers. Le vent… comme s’il jouait dans la ramure des arbres, il fait des tours de la maison, tel un être insouciant et libre, il galope dans le bleu du ciel, devenant de plus en plus foncé. Je voudrais tellement attraper la liberté pour m’enfuir à toute bride dessus comme sur un dauphin rapide, en doublant le vent!

    En me cocoonant dans le plaid je reste encore quelque temps sans lumière. Aujourd’hui je n’ai pas peur, je ne sais pas pourquoi, la maison me protège, je peux fermer les yeux et me fier au noir. Il couvre comme un drap léger et confortable, – comment est-ce que j’ai pu avoir peur?  Comme c’est agréable de rester dans la chambre noire!

    C’est étonnant, mais je ne m’ennui pas du tout, je n’ai pas envie de courir, ni faire quoi que ce soit. Je n’ai même pas envie de réfléchir sur des choses, une telle plénitude et placidité… Je ne sais pas comment je vivais avant. Je ne pouvais pas du tout rester seule, j’avais tout le temps besoin de quelqu’un ou quelque chose au pire. Des livres, la télé, la musique, le téléphone, des rêves, le thé, des bonbons, la voisine, le copain, – les chaînettes du coller étroit par lequel l’ennui me guidait. Peut-on faire autrement?  Maintenant je n’ai besoin de rien, un tel espace, une telle plénitude de vie, dans laquelle on peut voyager infiniment.

    La musique lointaine… comme si elle venait des montagnes hautes… avec le vent, avec la lumière de la lune, avec le souffle d’un autre monde… de l’autre côté de l’humain… J’ouvre les yeux, il est assis devant moi, il sourit… Je n’ai pas demandé comment il s’appelle…

    – Taî.

    Il est juste là, il garde le silence. Il n’est pas du tout sévère maintenant, les yeux sont lumineux et puériles. Les cheveux denses… comment sont-ils au toucher?  Les mains à la peau matte, ressemblant aux pattes de tigre, les plantes de pieds costaudes et gracieuses, la poitrine dans l’ouverture de la chemise en coton, – tout fascine… Il ne ressemble pas à un être humain, – un dieu du soleil qui ne connais pas le temps… Je peux fondre du désir de le toucher… Il est tout simplement assis, il me regarde… Quelles plantes de pieds il a!

    – Embrasse-les.

    Embrasser?  Cela parait si naturel, si illuminé, mais quand même… embrasser? … Je mets ma joue contre sa patte, elle sent tellement bon – comme des feuilles mortes sous le soleil. Je presse ma langue contre elle, mes lèvres, je la lèche, en passant entre les orteils, qui tremblent sous mes caresses, je les mordille, je les suce comme une queue… La tête tourne comme dans l’enfance en tour de manège… J’enlève la mine planante de ses pattes et je colle à travers le pantalon contre la queue sonnante de tension. Un grognement à peine perceptible, je veux l’attraper avec mes lèvres… Il m’arrête, en me prenant par la nuque, par les cheveux, il me tient fort en me regardant droit dans les yeux… Son regard me vide de tout par des éclats brillants de la lumière, – en quelques secondes il ne reste rien de ce que je considérais moi-même, et il n’y a aucune possibilité d’y résister. Il n’y a plus personne pour s’accrocher à quoi que ce soit. Un récipient vide aux bords transparents… Il n’en reste plus rien même de ça, lorsque quelque chose éclate… un baiser… Deux spirales en flammes se tordent en un coup de danse à l’encontre de l’élément qui s’ouvre, l’exaltation brûle tous les fils les plus fins, qui raccrochent Ca à une forme humain. La chute dans la profondeur de l’extase… Comment puis-je tenir?  …

    – Serre-toi contre moi… je vais bouger très lentement… Arrête-moi, quand l’orgasme sera tout près… comme ça…comme ça… ma petite. Apprend, apprend à te retenir…

    Je serre le cou costaud, j’entoure avec mes jambes… quelle peau il a… la chute, le tourbillon, le vol… je ne comprends pas… tantôt j’émerge sur la surface de quelque chose incroyable, tantôt je fonds dedans, et chaque cellule se consomme en brûlant dans le feu d’exaltation, les pensées se brûlent avant même d’être nées. La flamme et la fraîcheur, la luxure et l’oubli… La glisse sur le fil de l’orgasme – sur la crête dure d’une vague énorme et puissante… Les rafales de tendresse ramènent le murmure… Taî, je t’aime…

    – Ma petite:) Bien, ma belle tigresse, tu fais bien… comme ça, apprends à supporter ma queue… Tu vas jouir en dessous de moi à un moment donné, mais pas maintenant, maintenant tu dois tenir. Encore? … Dis-moi que tu en veux encore… Comme ça…

    Comment ça se fait que Cela ne m’a pas encore détruite?

    … Je ne sais pas combien de temps est passé, – la chose, qui paraissait tellement solide, s’est déchirée comme un voile fin, au-delà duquel tout brûle… Je n’existe plus.

    Je ris!  Mon rire, tel un clapotis d’un ruisseau, touche avec sa fraîcheur. C’est tellement étrange – je peux bouger ma main que je ne sens plus. L’eau ruisselante, bourdonnante, qui, en un entonnoir se tourne au milieu de la poitrine, – avant il y avait un corps dans cet endroit. L’air a cessé d’être vide, comme si Taî y était aussi, tous ses mouvements retentissent dans mon corps et même en dehors de lui en des tourbillons de la passion étincelante et de la joie… Je me tisse dans l’espace en de petits jets d’exaltation, qui soit ressort de la poitrine, soit s’y visse. Ce n’est pas possible, pourtant ça se passe.

    – Taî!  Taî!

    Je cours toute nue hors de la maison pour l’appeler encore. Le corps fin, telle de la soie, coupe l’air comme du beurre moue, des reflets de nuages dans des gouttes vivantes de la rosée… Comme tout est vivant! … imbibé de frissons tendres, innocentes, comme du bois humide, imprégné de la pluie, suant de plénitude. Tout respire, sourit, comme si le monde entier faisait l’amour. Comme ça ressemble aux rapports sexuels!

    – Taî.

    Il est assis aux bords du lac sur le grand caillou, un léger sourire sur les lèvres. Je m’approche de lui en courant et je me serre contre lui… Je ne sens ni son corps, ni le mien, – une boule argentée, sonnant du vide, et je ne sais pas où suis moi, où est lui… Nos yeux – ce n’est qu’un regard, il n’y a que Ca.

     

    – Tu te masturbes depuis quel âge?

    [ce fragment a été censuré, le texte intégral sera publié peut être dans 200 ans ]

    – Une femelle voluptueuse, – il m’a serrée contre lui,- et tu as commencé à jouir aussi à cette époque?

    – Euh, oui. Je jouissais tous les jours. Je ne savais pas ce qui m’arrivait, mais cela était définitivement l’occupation la plus agréable durant plusieurs années. Je m’enfermais tous les soirs dans la salle de bain et je dirigeais le jet de la douche pour qu’il caresse le clitoris. Je pensais que je faisais quelque chose de terrible et j’avais peur que quelqu’un l’apprenne. Chaque fois après l’orgasme je jurais de ne plus jamais recommencer, mais vers le lendemain soir le désir prenais de la force, et tout recommençait… [ce fragment a été censuré, le texte intégral sera publié peut être dans 200 ans ], ma mère m’a appelée dans la chambre, a fermé la porte et sans lever les yeux s’est mise à me raconter que [ce fragment a été censuré, le texte intégral sera publié peut être dans 200 ans ]. Cependant, cela mène à de graves conséquences…» Elle n’a pas dit à quelles conséquences exactement, mais à l’époque je ne réfléchissais pas sur ça, car je croyais aveuglement à tout ce que mes parents me disaient. Après cette conversation les soirs se sont transformés en cauchemar. Je ne pouvais rien faire avec ma maladie et je jouissais en mourant de peur, de culpabilité et de sentiment de ma propre imperfection.

    – Et les garçons?

    [ce fragment a été censuré, le texte intégral sera publié peut être dans 200 ans ], je ne faisais que penser au sexe, mais je n’arrivais pas à trouver un garçon qui conviendrait, et en plus – j’avais honte de mes désirs, j’avais peur de perdre la virginité… Et lorsque j’ai trouvé un garçon, il s’est toute de suite endormi, il avait joui une minute plus tard, et moi, je n’ai rien ressenti, sauf de la douleur physique et de l’hébétude. J’attendais ça si longtemps, je jouissais 5 fois pas jour, en imaginant des relations passionnelles… Vers cette époque j’avais déjà une image approximative des relations sexuelles selon des photocopies de la Kama Sutra que j’avais trouvées dans le tiroir éloigné du bureau de mon frère. Après les premières relations je n’avais envie de rien du tout pendant longtemps – ni de me masturber, ni d’autres garçons… Avec les dix garçons suivants c’était la même chose. Je ne sais même pas pourquoi je baisais avec eux. C’était tout simplement de la stupidité, parce que je n’éprouvais rien, aucun plaisir… Ensuite, j’ai rencontré un garçon avec lequel j’ai réussi à jouir pour la première fois pendant les rapports. J’avais [ce fragment a été censuré, le texte intégral sera publié peut être dans 200 ans ]. Après ça je me suis mise à choisir les garçons autrement – ni avec la tête, ni des complexes, mais avec ça!  – j’ai pointé mon doigt à la chatte.

    – Et oui, elle est souvent plus intelligente que ta tête.

    – Mais, bien sûr, il y avait beaucoup de stupidité…

    – Et maintenant, y a-t-il quelque chose dans le sexe qui n’est pas réalisé et que tu voudrais réaliser?

    – Je pense que oui. Le sexe reste toujours très attirant, quoi que je ne sache pas comment je vais faire maintenant… Tu as tout bouleversé.

    – On va voir comment ta sexualité va se comporter. Est-ce que tu as envie de cesser de jouir ou au moins ne pas éprouver d’orgasmes à chaque fois, mais plutôt disons une fois pas deux trois semaines, une fois par mois?

    – Oui. J’ai joui assez… Mais c’est TELLEMENT bon, – faire l’amour sans jouir. Je n’ai jamais pensé que j’avais un corps si sensuel, que je pouvais avoir un tel plaisir. C’est incroyable mais je ne peux ni maintenant, ni avant, quand on faisait l’amour, délimiter l’excitation sexuelle de la tendresse. Ceci et cela aussi… Comme s’ils se reliaient en formant une unité indélébile, comme un fil brillant sur lequel tous les moments étaient mis.

    – La tendresse envers moi?

    – Bien sûr, sinon envers qui … il y a un problème?  Je dis quelque chose qu’il ne faut pas?

    Taî continuait à me regarder comme s’il avait posé une question sans obtenir de réponse.

    – La tendresse envers moi?

    J’ai réfléchi. Il faut se rappeler – comment ça s’est passé, il faut revenir en arrière. Ce n’est pas difficile, puisque les sentiments étaient si vifs… les yeux… brillants comme ceux d’un jaguar… un jaguar si câlin… c’est pas ça… je m’agrippe au dos, je mets la tête en arrière… pas ça, un éclat soudain d’envie de pleurer, et je pleure comme une madeleine, de la passion, de l’ouverture folle… voilà!  C’est là que ça a commencé. La tendresse… une tendresse si étrange… bien sûr que je l’éprouve envers lui, envers qui d’autre… non, c’est la raison qui s’entremêle, stupide, qui sent pas bon … encore une fois – je me suis mise à pleurer, c’est pas le bon mot… presque une hystérie, mais pas maladive, mais comme si un lac montagnard coule dans la vallée, le bonheur de la délivrance, le déchirement de quelque chose attachant, étouffant… à ce moment là la tendresse apparaît… poignante, l’envie de rire, ouvrir pour laisser entrer le monde entier en moi… les montagnes… la même qualité étincelante ensoleillée de la glace, la lumière atteint une telle densité et intensité qu’il semble que le monde entier est sur le point de s’embraser… le monde entier… le changement d’images… qu’est-ce qu’il y avait… maintenant je ne m’en souviens pas très bien… les montagnes y étaient, c’est sûr… la mer, les dauphins… le museau d’un chien bâtard… un vieux, qui vend des fleurs sur le quai… une lignée étrange d’images… très étrange!

    Excitée par ma découverte je ne bougeais plus, en ouvrant la bouche, sans savoir quoi dire, comment comprendre ce que ça voulait dire?

    – ?

    – Je ne sais pas pour l’instant pourquoi, pourtant maintenant… maintenant, moi, en étant sincère jusqu’au bout, je dois dire que parmi ces images qui ont accompagnées mon éclat de tendresse, qui s’en remplissaient…

    – Dis.

    – … je ne suis pas sûre que parmi ces images il y ait l’image de toi!

    Probablement, il y était… oui, il y était, et néanmoins, une lignée étrange d’autres images s’y est mêlée… je ne dirais pas que ce soit une activité parasite du cerveau, non, chaque image, même le plus insignifiante s’illuminait de cette tendresse, en me menant jusqu’à l’état extatique. Ca se trouve que j’ai éprouvé de la tendresse, mais pas envers toi?  Ou bien pas que envers toi?  Envers le chien?  Envers le vieux?  Les montagnes, les dauphins… Envers qui???

    – Nous utilisons le même mot pour définir des perceptions absolument diverses. La langue que nous parlons est extrêmement imparfaite. Elle est vraiment détaillée en ce qui concerne la construction des bateaux ou des processus techniques, mais en ce qui concerne les sensations, nous n’avons pratiquement pas de langue, juste un ensemble de mots dont le sens est réellement flou. Cela mène à ce que nous ne pouvons pas distinguer les sensations, ce qui provoque la non préférence, la mal connaissance de la direction de notre mouvement, l’homme est tout simplement trimbalé d’un bout à l’autre, comme un morceau de bois.

    – Justement, je viens de découvrir, lorsque j’ai commencé à essayer de faire la pratique, qu’il me manque des mots, je ne peux même pas décrire ma propre expérience!

    – Oui. Et à ce moment là cette expérience se couvre très vite d’un voile de l’oubli, il s’avère que ce n’est même pas une expérience. La tendresse que tu as éprouvée est celle qui n’a pas de sujet concret auquel elle aurait pu être dirigé. Et oui… figure-toi, elle n’est dirigée envers personne de concret. Avec quoi le comparer… telle une poussière dorée est suspendue dans l’air, et quand tu regardes le monde à travers elle, tout se remplit de cette lueur dorée. Je vais même te dire plus, pour t’étonner définitivement. En plus, cette tendresse ne ressort de personne.

    – Comment ça?  Elle ressort de moi.

    – Elle ressort de toi?

    – Mais oui, comment cela peut être autrement?

    – Si tu n’en étais pas si sûre, que autrement n’est pas possible, mais aurais été sensible à ce qui s’est réellement passé, tu aurais remarqué ce que je viens de dire. Plus tard, reviens vers ces souvenirs, et laisse ta raison reposer à côté de la porte sur le tapis, ne lui permets pas de sauter de manière incontrôlable et chier partout où ça tombe.

    – Comment tu…

    – Je veux dire, que tu ne sais rien sur ce qui est possible et pas dans le monde des perceptions illuminées. Apprends à traiter toute ton expérience, que tu obtiendras avec la pratique de l’élimination des émotions négatives, comme quelque chose qui n’a pas de précédents nulle part autour de toi – personne n’a tout simplement pas de telle expérience. Toute expérience que les gens possèdent est une expérience de la vie remplie de mécontentements jusqu’aux bords.

    – Je vais vraiment réessayer de me souvenir de tout.

    – Je peux te donner encore un conseil. Si tu vis une expérience très importante pour toi, utilise toutes les possibilités pour la retentir pour qu’elle ne se répande pas comme une tâche floue dans le passé.

    – Retenir?

    – Par écrit. Décris tout ce qui t’est arrivé dans cette expérience, tout jusqu’aux plus petits détails, et tu verras la différence.

    – J’aime écouter tes conseils. Ils sont… particuliers, ils ont de la lucidité, une lucidité complète!  Mais oui, le fait que j’ai vécu ça, c’est très important, il n’y a, peut-être, rien de plus important pour moi en ce moment.

    – Ce n’est que le début… probablement.

    – Qu’est-ce que tu veux dire?

    – Que tu ne représentes rien en ce moment en tant que toi, et ce qui t’arrive maintenant – c’est mon cadeau. Cela veut dire que bientôt tu reviendras à la place où je t’ai prise, mais ce qui ne veut pas dire que tu oublieras cette expérience. Tu vas t’en souvenir, tu vas y aspirer, la rechercher encore et encore. Et cela ne dépend que de toi si tu reviens vers cette sensation ou pas. Si tu y reviens, cela serait alors le début de notre pratique commune. Cela voudrais dire que tu n’es pas une rêveuse en recherches des dieux et des maîtres, pour te plaindre et pleurer sur leur cous, mais un guerrier, prêt à tout pour la liberté. Il te faudra toutes tes forces, toute ta passion, pour revenir là où je viens de t’emmener pour de courtes minutes.

    – Pourquoi c’est comme ça?  Pourquoi j’aurai à revenir?

    – Parce que c’est comme ça. J’ai une expérience que tu n’as pas, c’est pourquoi je peux en juger, et toi – non, c’est pourquoi je ne veux pas discuter avec toi sur ce sujet, sinon tu me croiras aveuglement, ou le rejetteras aveuglement, et moi je veux que tu ne te bases que sur ta propre expérience et rien d’autre.

    – Tu sais, en ce moment il n’y a aucune inquiétude, et lorsqu’il n’y en a pas, je commence à comprendre à quel point j’en suis pleine en temps normal. Tout a tellement changé, c’est un autre monde…

    – Je sais que tu n’as pas d’émotions négatives parce que tu te trouves en ce moment là où elles n’apparaissent tout simplement pas. Mais ce n’est pas le résultat de ton travail, ne te fais pas alors d’illusions que ce sera comme ça désormais. Ce sera fini, Maya, et tu devras relever tes manches pour te mettre au travail forcené de chaque seconde, le travail de guette et d’élimination des mécontentements. Soit tu mourras, soit tu gagneras la bataille, il n’y a pas de troisième choix.

    Le vent souffle dans le dos grand ouvert, en accroissant l’exaltation et l’éloignement dans l’entonnoir violet aux bords aussi tendres comme des pétales de fleur. Je viens de me rendre compte du sens étourdissant de son cadeau… Je ne pourrais jamais oublier CA, je ne pourrai jamais revenir aux petites joies et soucis que je considérais comme ma vie… Les découvertes m’attendent sur chaque tournant de la pensée… D’ailleurs je n’ai nulle part où revenir!  Et pas parce que je me serais engueulée avec quelqu’un et on ne m’aurait plus laissée quelque part, mais parce qu’il n’y a plus de perceptions habituelles qui étaient «ces» endroits et «ces» gens. Les mêmes images visuelles sont restées, ainsi que les mêmes sensations tactiles, mais tout le reste – les émotions, les pensées et les désirs – a changé. Et c’est justement pour ça que je n’ai plus nulle part où revenir. Taî m’a placé sur le fil du rasoir – d’un côté – la mort, de l’autre – la liberté… Qu’est-ce qui est ma personnalité dans ce motif compliqué, mais impeccablement beau, des évènements?

    – Tant que nous avons encore un peu de temps pour parler, je veux te dire qu’on ne peut pas se tromper dans l’histoire avec l’orgasme.

    – Tant que nous avons le temps?  Tu es pressé, tu pars?

    – Non, ce n’est pas ça, c’est tout simplement que maintenant j’ai envie de parler avec toi, j’aime te donner des conseils, j’aime t’aider à les comprendre, mais bientôt ce désir disparaîtra.

    – Pourquoi?  C’est tellement inévitable?

    – C’est absolument inévitable. Tu n’as pas d’expérience dans la pratique, je suis donc sûr que tu ne pourras pas te mettre à réaliser mes conseils tout de suite, tu ne pourras pas cesser comme ça, tout d’un coup, de remplir ta vie avec des mécontentements, ne te mettras pas maintenant à éliminer sans pitié des habitudes mécaniques, et c’est la raison pour laquelle mon désir va inévitablement disparaître, et s’il réapparaît ne dépend que de ta pratique. J’ai envie d’aider que ceux envers les efforts desquels j’éprouve de la sympathie. La sympathie a lieu – l’envie d’aider se manifeste, sinon – l’envie ne se manifeste pas. Ce n’est pas «une décision», ce n’est pas «descendu» du haut par un ordre, ça arrive tout simplement, et moi je t’en témoigne. Quand le soleil se lève, une fleur s’ouvre, ça arrive comme ça et comme ça on en témoigne.

    – Ne perds pas ton temps alors!  Qu’est-ce que tu voulais me dire sur l’orgasme?

    – Ce désir – le désir de jouir, en aucun cas ne doit pas être supprimé. L’abandon de l’orgasme doit rester une conséquence naturelle du développement de tes désirs sexuels, et pas un support du concept qu’il le faut ou que ce soit sain, ne suis pas une opinion de quelqu’un… Le désir doit être joyeux, et c’est que dans ce cas là que la sexualité poursuivra son développement. A chaque fois, à partir du moment où le désir sexuel se réveille et jusqu’au moment où tu t’approches de l’orgasme, pose-toi la question si tu as envie de jouir ou tu préfères reporter cet instant, en souhaitant plutôt faire durer les sentiments que tu éprouves à ce moment là. Si tu te trompes en supprimant tes désirs pour un but quelconque, ta sexualité mourra… Aucun»il faut», juste «je veux».

    – Le même acte peut être accompli différemment, avec une raison différente, une motivation différente, et beaucoup dépend de cette différence… je comprends.

    – Tout, vraiment tout dépend de ça. Il parait que c’est le même acte, quelle différence alors pourquoi tu arrêtes de jouir?  Mais la différence est énorme. Au cas où tu as le désir joyeux de t’arrêter sur le point avant l’orgasme et ne pas le dépasser, tu arrives à découvrir de nouvelles sensations sexuelles et leurs nuances, le corps commence à se réveiller, et de plus en plus de nouvelles zones du corps deviennent des zones érogènes, jusqu’à ce qu’il se transforme en entier en une seule grande source de sensations sexuelles très diverses et profondes, et pas que sexuelles… Dans le cas contraire, si tu as honte de jouir en croyant que jouir c’est pas «bien», tu n’arriveras à rien d’autres sauf à des émotions négatives, des maladies et de la déception. Je suis persuadé que la plupart des gens qui sont tellement inspirés en ce moment par de différentes pratiques sexuelles, vont bientôt rencontrer la crise, puisque l’abandon mécanique de l’orgasme, ainsi que n’importe quelle tentative de s’incruster dans sa sexualité en lui imposant des règles qui ne découlent pas de soi par la voie naturelle de changement de désirs – n’est pas une action joyeuse qui mène dans la profondeur de la vie, c’est un suivi d’un concept successif accompagné souvent par la peur de «dérailler». Et où peut mener une action née d’un concept et empoisonnée par une émotion négative?

    – Attend, je veux préciser encore une fois pour ne pas me tromper. Tu disais alors que l’abandon mécanique de l’orgasme est quand tu lis un livre où il est écrit»qu’il faut abandonner de jouir et ce sera bien», mais quand tu commences à t’en abstenir MALGRE le fait que en réalité tu as très envie de jouir et tu regrettes, tu es mécontent, etc., du fait que tu ne jouis pas.

    – Oui.

    – Et l’abstention qui mène quelque part – c’est quand j’en ai assez joui, et la prochaine fois où j’ai un garçon JE VEUX reporter l’orgasme un peu, justement parce que j’aime ce que j’éprouve au moment même.

    – Oui. Si le désir de ne pas jouir à ce moment prévaut sur le désir de jouir – tu ne jouis pas, mais ces deux désirs doivent être justement les désirs d’obtenir le plaisir maximal, et rien d’autre.

    – C’est simplement … pour comprendre de manière abstraite. Et cela fait combien de temps que tu ne jouis pas?

    Il a sourit en réfléchissant au diable sait quoi.

    – Beaucoup d’années.

    – Beaucoup d’années?

    – Vraiment beaucoup. Tu veux me faire un compliment en me disant que j’ai l’air jeune?  J’ai l’air tel que je veux.

    Flirte-il avec moi?  … Non, mais non. Ici, avec cet homme tout peut arriver, et je ne sens pas d’odeur d’affectation.

    – Parle-moi de toi.

    – Pas cette fois.

    Je donnerai tout ce que j’ai pour que cette fois arrive. C’est maintenant que je le pense, mais ce sera quoi demain?  Comment je serai demain?  …

    – Je ne suis pas sûre pour l’instant que je suis prête à renoncer à l’orgasme complètement, mais au moins c’est absolument clair pour moi que maintenant je ne veux pas jouir.

    – En même temps tu peux faire l’amour ou te masturber autant que tu veux.

    Approche-toi du bord de l’orgasme même deux cent fois par jour… Fais attention aussi aux micros orgasmes. Quand tu es très excitée, un tel orgasme est difficile à capter, – il te tombe dessus comme un fauve, et voilà que tu as joui un peu. Sache que le plus de tendresse, d’amour et d’autres perceptions illuminées il y a dans tes rapports, la plus petite est la possibilité que ça arrive. Telles chutes ne sont pas aussi catastrophiques que les orgasmes entiers, mais elles mènent quand même à l’affaiblissement des sensations sexuelles et d’autres sensations. Tu verras la différence toi-même. En tout cas, il arrive la récession en tout, y compris la force et la qualité joyeuse des désirs, et les désirs sont des ruisseaux dont naît l’aspiration. Sans aspiration tu es un cadavre.

    Jamais auparavant je n’ai vu un ciel aussi beau et l’eau aussi belle… et les arbres, et l’herbe, et les pierres!  Je ne sais pas qui je suis… Les rides sur l’eau – la félicité part ainsi de cet endroit dans tous le sens. Le monde habituel de sensations est comme du verre fin, à travers lequel Quelque chose apparaît de plus en plus distinctement… C’est du vrai, c’est justement ce… je n’ai douloureusement rien à dire sur Ce que c’est. Un vieillard sage, souriant, aux yeux remplis de béatitude, un enfant sans pensées, ni peurs, un amant caressant les éternités avec ses mains, l’aube et le coucher du soleil simultanément…

    Il n’y a pas eu ni hier, ni demain, ni le temps, ni son absence, il n’y avait même pas le présent, puisqu’il ne pouvait exister que entre hier et demain. Les visages de la nuit et du jour éclairent la conscience avec des éclats brillants, la conscience qui s’est échappée du sommeil et de la veille, tantôt prenant une forme, tantôt éclatant en petits morceaux – derrière l’horizon, et encore plus haut, et encore… Les lèvres, le murmure, – des hiéroglyphes s’enflamment dans du vide brillant… Le sexe s’ouvrant dans l’entente de deux éléments, dans le son parfait en dehors de toutes les formes et nominations… Cela ne finira jamais.

     

    – Dis-moi, ça fait combien de temps que je suis là?

    – Tu es pressée?

    – Non, – pour la première fois depuis soit des derniers jours, soit des siècles, un ombre d’inquiétude a apparu, – non, ne dis pas ça. Ne sais–tu pas que je ne peux pas être pressée, et que si tu m’appelais te suivre, je laisserais tomber tout pour rester?

    – Je sais.

    – Taî, je veux rester.

    – Cela ne changera rien dans ta vie. Tu penses que ici le quotidien t’épargnera?  Tu n’y échapperas pas. Tu ne reviendras pas ici avant que tu ne sois délivrée des émotions négatives. Ce n’est pas ma condition, ce ne sera que comme ça, et pas autrement.

    – Cela ne dépend-il de toi, si je peux rester ou pas?

    – Tu ne comprendras pas mon explication maintenant. Il ne te reste que accepter ce que je te dis.

    La tristesse a pénétré discrètement et a tout voilé avec un voile léger bleu gris. J’ai eu envie de rester toute seule, pour la première fois depuis notre connaissance. Tout ce temps là nous étions ensemble… non, nous étions un… Et maintenant je m’en vais pour rester au bord du lac, et lui il ne m’arrêtera même pas. Les larmes… les poings fermés… les nuages, déchirés pas le soleil, ou le soleil déchiré pas les nuages… le renoncement automnal… Tout revient.

    Dessous dessus, – au lieu de la maison un tas de cailloux. Pas comme ça, pas du tout comme ça j’ai imaginé le chemin vers la liberté. Mon imagination a dessiné un jeu passionnant et exaltant, dont le grand prix sera l’éveil. L’éveil… un mot usé, maintenant je ne l’aime pas. Je ne veux pas pendre sur Ca… déjà sur Ce qui a été … n’est-ce pas sur Ce qui a été?  … ce cliché. COMMENT??? Comment continuer à vivre?  … Des sanglots… encore et encore cette prison dégoûtante et étroite, j’ai même fait un rêve cette nuit, – avec des soucis, la grisaille, le quotidien… Ferais-je encore ces rêves qui ne laissent rien, excepté le grand vide dans l’âme et la déception?  Ce sera de nouveau le ciel gris, le froid, Moscou… C’est insupportable. Je ne sais pas comment je peux supporter une telle douleur.

    – Quand tu entres dans le domaine de surhumain, tout y est surhumain, – les rapports, et l’amour, et la jalousie, et la souffrance, et beaucoup de choses qui n’ont pas du tout de place dans le monde ordinaire. C’est justement pour ça que ce voyage doit être accompagné par une énorme détermination, pour pouvoir prendre des décisions et les suivre.

    Comment ça?  Je m’arrête et j’arrête même de sangloter… En me retournant je vois un être merveilleux. Par ces trait de visage et les proportions de corps elle n’est pas du tout comme Taî, mais en même temps ils sont les reflets l’un de l’autre. Elle est assise sur une pierre, toute petite, belle, à la peau matte. Elle ne sourit pas, mais son visage est comme éclairé de l’intérieur.

    Probablement, c’est ce qui est un vrai sourire.

    – Je m’appelle Ciara.

    – Comment tu te retrouves ici?

    – C’est ma maison.

    – Tu étais ici tout ce temps là???

    – On peut dire comme ça.

    – Tu es délivrée aussi des émotions négatives?

    – Oui. C’est pourquoi je peux être ici, si je veux.

    – Dis-moi, tu as eu aussi ce que j’ai maintenant?

    Le froid a apparu dans ses yeux marrons, – exactement comme chez lui!

    – N’essaye pas de provoquer de la pitié en moi, je n’en ai pas, – elle est plus douce que lui quand même.

    – Je veux savoir que c’est possible – possible de s’en sortir et revenir à ce qui a été… Parce que Ca – c’est l’essentiel… quelles absurdités je dis. C’est pas le principal… c’est la seule chose véridique.

    – Le seul moyen de revenir – c’est de se donner à la pratique sans regarder derrière.

    C’est comme sauter d’une falaise dans la mer: si tu rebondis avec force en te livrant complètement au vol – tu voleras, mais si tu doutes et commences à frétiller, – le saut ne réussira pas, tu t’accrocheras au bout et ramperas dans le trou, égratignée et apeurée, en ramenant avec toi juste deux trois miettes que tu aurais réussi à ramasser. Il n’est pas possible de rester entre deux chaises. Tu dois décider absolument claire, – si tu es prête à donner toute ta vie, sans aucun «mais», à la recherche de la liberté ou pas. Ce n’est pas un caprice, c’est la vie. Les décisions intermédiaires n’existent pas, c’est plutôt toute la vie quotidienne qui est les décisions intermédiaires, alors n’importe quelle décision de ce genre te ramènera inexorablement dans le monde des gens endormis, et aucune pitié ne t’aidera.

    Elle fait penser à une petite fille de 11-12 ans, pourtant elle parle et regarde comme un vieillard qui a vécu plusieurs siècles.

    – Viens dans la maison, – elle a glissé en bas du caillou et ses pieds nus faisaient des pas sur le sentier en le touchant à peine.

    Qu’est-ce qu’elle est légère!  Comme un souffle de vent. Je ne la perçois pas du tout comme la présence d’une personne. Je la regarde, époustouflée, marcher sur des cailloux, comme les plantes de ses pieds sont petites et belles, comme les pattes d’un jeune tigre.

    La chambre. Taî est assis sur sa place en nous observant avec curiosité. Nous nous asseyons en face, silencieuses, et le vacuum étiré à l’intérieur de moi se remplit du calme goutte par goutte… Non, ce n’est pas le calme. C’est quelque chose de tout à fait différent. La constance… Non, non plus. Le détachement. Oui, c’est déjà plus près. Il n’y a plus de peur. De la joie non plus, mais ce n’est pas de la grisaille, ni l’indifférence. Un plateau. Une plaine séchée par le soleil, illimitée, allant jusqu’à l’horizon avec ses fissures. Il n’y a pas de place pour la pitié ici, c’est le point où je renonce à tout ce qui s’appelle «la chaleur», je le jette dans le feu, qui brûlera ma personnalité. Un guerrier solitaire au milieu d’une plaine sombre et sévère, – il n’y a que la place pour la joie de la bataille et celle de nouvelles découvertes, ici on ne peut que avancer.

    – Regarde-moi dans les yeux, – sa voix a sonné tout à coup très près de moi.

    Il est difficile de fixer le regard, comme si je venais de me réveiller. Le vertige, de la nausée légère, – je les surmonte pour regarder dans les yeux, derrière lesquels la plaine brûlée par le soleil…

    – Reviens, Maya.