Français change

Error

×

Chapitre 09

Main page / «MAYA». Livre 1: Force mineure / Chapitre 09

Le contenu

    Un frappement délicat a pénétré mon sommeil, et une vague érotique douce m’a fait rappelé Dany. J’ai crié que j’arrivais, me suis vite habillée et sortie dehors. Dany attendait, appuyé contre la rame en bois fragile. Ce gars me plait définitivement, j’ai envie de le prendre par la main pour sentir le toucher de ses doigts… un jeu sexuel si subtile n’est, probablement, possible qu’au tout début de la connaissance, lorsque la passion est au point de naître.

    – Salut, Maya! – le diablotin sautait dans ses yeux, le même que quelque part au fond et en bas de mon ventre. – Il y a un petit resto pas mal, pas loin d’ici, tu as faim, n’est-ce pas?

    – Très faim. On y va, mon museau!

    Il a été légèrement ébahi par le mot «museau», mais en voyant mon petit nez froncé en un sourire rusé, a changé d’avis sur l’entendu (allez, ne sois pas lourd, habitue-toi à ce que je ne suis pas une dame aux camélias).

    Je l’ai poussé vers le sikhara, ensuite on a sauté dedans et est parti en flottant le long des maisons péniches qui jetaient des reflets lumineux sur l’eau. Ces maisons sur des bateaux, illuminées de l’intérieur, font penser aux grosses torchères aux abat-jours tissés, dans lesquels une vie de conte de fée s’imagine si facilement. Le clapotement de l’eau, la musique lointaine, harmonieuse et mélodique, des gazouillis rares des oiseaux de nuit, – tout ça éberlue, en recouvrant la surface du silence profond avec de fines vaguelettes.

    On était assis si près l’un à côté de l’autre que je sentais sa chaleur et son odeur. C’était fabuleux qu’il n’utilisait aucun parfum, je pouvais alors sentir son odeur à lui, – ensoleillé et paisible. Dany a apparemment capté mon humeur et m’a pris par les épaules, en attirant vers lui, autoritairement et tendrement… Sans faire de bisou, ni aucun autre scénario standard, – il m’a tout simplement serré fort contre lui, et cela a entraîné un éclat de sensations érotiques, j’ai eu un vertige léger, tout a résonné avec des rayonnements d’exaltation chatouillante dans ma poitrine. La musique, tantôt proche, tantôt lointaine, s’entremêlait de façon particulièrement suave dans la pelote de ces sensations, glissant doucement sur l’eau parmi des lotus, – elle-même ressemblait aux touchers érotiques. En bas de mon ventre, tout au fond, une anticipation palpitait sourdement, et tout le long du corps, du haut en bas, une sensation exaltante, à peine discernable, ruisselait, telle l’eau visqueuse de mes rêves.

    – Il y a une terrasse avec la vue sur le lac ici, viens!

    – Oui, une terrasse, c’est merveilleux!

    On s’est approché du restaurant. Des fauteuils bas et mous évoquaient de petites chaises longues, on pouvait s’ y assoire en s’allongeant à moitié. Chaque table était séparée des autres par des buissons épais et touffus arrangés dans de gros pots, une lumière chaude et douce émanait d’un grand lampadaire en ne repoussant le noir qu’à la distance d’un bras distendu. Quelque part dans un coin un mantra se faisait entendre à peine et des aromes fumaient. J’ai déplacé mon fauteuil un peu sur le côté, allongé mes jambes vers Dany en les mettant juste entre ses genoux. En serrant les plantes de mes pieds entre ses mains, il a commencé à les peloter et caresser assez indiscrètement. Je suis descendue un peu dans mon fauteuil de sorte que mes pieds heurtent l’entre ses jambes. Là il était chaud et dur… Je le regardais dans les yeux en appuyant légèrement avec les doigts de mes pieds… ce jeu était stupéfiant (juste ne jouis pas, mon petit)… Une idée folle m’est venue dans l’esprit. J’ai prononcé en laissant chaque mot partir lentement dans l’espace qui nous unissait :

    – Dany, si… je te demandais… d’ouvrir la braguette… sortir ton pénis… et le laisser à la volonté de mes pieds… le ferais-tu?

    Il devenu très dur sous mes orteils – probablement, il avait même mal, tellement c’était serré. La respiration de Dany est devenue plus courte, une hésitation instantanée, un coup d’oeil furtif dans les deux côté, encore un instant pour être sûr qu’autour il y avait une intimité absolue, et même si un serveur arrivait il ne pourrait rien discerner dans le noir total au fond du fauteuil. Les mains de Dany ont bougé en bas, mais je l’ai retenu.

    – Tu n’as pas compris, je ne te demande pas de le faire, j’ai juste demandé – tu le ferais, si je te le demandais?

    Il a saisi mon jeu.

    – Bien sûr.

    – Tu le sortirais pour le livrer à mes pieds?

    – Je le sortirais…

    – Tu veux?

    – Oui, je veux…

    On se regardait dans les yeux en échangeant de courtes phrases dont le sens signifiait moins que le fait même de les prononcer dans une telle situation.

    – Dany, il est comment?

    – Il a envie de toi…

    – Je le sens… si chaud et si dur… tu n’as pas mal, il est si tendu et serré dans le jean?

    – Si j’ai un peu mal…

    – Veux-tu faire un bisou à mes pieds?

    – Oui…

    – Tu embrasseras mon chaque doigt? Touche, regarde comment mes pieds sont petits et mignons.

    – Je vais les embrasser…

    – Imagine si tu le sors maintenant, je l’étreindrais avec mes doigts de pieds… pourras-tu te retenir de jouir?

    – …

    – Tu pourras?

    – C’est possible…

    – Non, tu ne pourras pas… imagine – je le serre avec mes pieds, le l’enlace, je le branle doucement, une vague chaude déferle de l’intérieur, et tu n’y peux rien, tu te laisse aller au plaisir et jouis, je ressens ta queue frémir à chaque fois qu’un jet de sperme successif s’enfuie… juste sur mes mamelons… il est chaud…

    – Arrête, stop… arrête… sinon je vais le faire maintenant…

    Boum!! J’ai frappé fort la table avec mon poing. Dany a frémi au point de sursauter dans son fauteuil. Les serveurs indiens ont gigoté comme des poules quelque part au fond du café, mais se sont tout de suite calmés.

    – Dany, – j’ai enlevé mes pieds, me suis penchée en avant, et lui ai regardé droit dans les yeux d’un regard perçant, tel un agent de KGB. – Continuons cette conversation sur ton Lama tibétain qu’on a commencé au bord du ruisseau. Mettons le point pour ne laisser rien de non fini au passé. Je vais être parfaitement claire et directe avec toi, parce que tu m’excites, tu me plais, et non seulement du point de vue érotique, parlons alors clair. Arrêter complètement, d’un coup, d’éprouver des émotions négatives… Ce conseil me parait le comble de l’absurde – c’est pareil que conseiller de se mettre à aimer tous les gens, donc soit ton Lama est un blablateur ordinaire, que je ne supporte pas, soit il y avait quelque chose que tu n’as pas compris.

    Apparemment, la tempête dans le jean de Dany s’est calmée instantanément, il a approché son fauteuil vers la table et serré les poings qu’il a placés sur la table.

    Une minute de silence est passée.

    Puis une autre.

    – Dany?

    – OK, quand j’aurai fini de raconter cette histoire, on réfléchira tout les deux ce que ça veut dire.

    – Ah… je ne sais pas réfléchir ensemble avec quelqu’un…

    – Maya?

    – Quoi? Quoi, Maya? – Je voulais dire encore quelque chose, soit rude, soit j’ai tout simplement voulu pleurer un coup, je ne sais pas pour quelle raison… pour une seconde tout m’a paru insensé, misérable – deux idiots en train de se raconter des histoires, pleurer dans les chaumières, et la vie passe à côté, parle, parle pas… – C’est pas grave, Dany, laisse tomber…. Alors c’était quoi?

    Dany m’a regardé fixement pendant encore une minute, ayant sorti le bout de la langue de façon rigolo. Un souvenir d’enfance dans l’école maternelle m’est venu dans la tête – un bébé assis sur le pot de chambre, et le bout de sa langue sorti de la même manière… j’ai froid, il est tard le soir, les carreaux du sol, tout est étranger… oui, justement, tout est étranger – j’ai porté ce sentiment avec fierté toute ma vie – la sensation d’être complètement étrangère dans cette assiette misérable et fade.

    – Lorsque j’ai entendu ce conseil de Lobsang, j’étais déçu et désemparé – tout comme toi. Si c’était quelqu’un à une table dans un café qui m’avait dit ça, j’aurais plutôt agi comme toi, comme tu as fait dans les montagnes – je me serais levé et parti chez moi. Mais cela a été dit par la personne dont la seule présence était plus éloquente que toutes les paroles possibles. Je n’arrive certainement pas à transmettre avec des mots cette ambiance, mais cette personne… je ne sais pas comment dire – en sa présence je ressentais quelque chose qui résonnait en moi vivement et fort, à un moment donné j’étais au bord des larmes, j’avais envie de me serrer contre lui comme les enfants se blottissent contre leur mère, mais pas par pitié de soi, mais par une exaltation profonde, comme si j’avais trouvé mon île aux trésors, et tout ça se passait avec moi! Je ne suis pas enclin à une sentimentalité exubérante, je ne pleure pas dans mon oreiller la nuit, ni ne récite des poèmes en me tapant la poitrine, en déclamant dans les rues. Je suis quand même rationnel, et pas porté à…hein… comment tu as dit… c’est ça, pas porté à une exhalation gonflée superficielle, c’est pourquoi d’autant plus je ne pouvais pas ignorer ce que je ressentais en sa présence, l’ayant expliqué par un manque de sommeil ou une sensibilité superflue… Triste, je lui ai dit, en prévoyant la fin de la conversation polie et ennuyeuse, que, à mon avis, ce n’était pas possible – éliminer toutes les émotions négatives, à quoi il a répondu que peu importe ce que j’en pensais – mais ce qui était important c’était si j’étais prêt à me mettre cet objectif et l’atteindre à tout prix, ou pas? Si je savais que c’était une tâche exceptionnellement importante, sans la résolution de laquelle il n’y aura rien du tout, aucunes voies, aucun bouddhisme, ni christianisme, aucunes illuminations, – que dalle, si je le savais ou pas, le ressentais ou non?

    – Dany, – je l’ai interrompu avec impatience, – je suis d’accord que c’est une tâche importante, très importante, mais il est impossible de l’accomplir, où tu as vu des gens qui l’ont accomplie?

    – Je lui ai demandé exactement la même chose! Il m’a répondu – «mais où est-ce que tu as vu des personnes qui se sont mis cet objectif et ont essayé de l’atteindre assidûment et avec de la dévotion? Et si tu veux voir une personne qui s’est mis cet objectif et l’a atteint, elle est devant toi».

    – Je voudrais bien le voir… c’est intéressant quand même – une personne qui a complètement arrêté d’éprouver les émotions négatives… si ce n’est pas de la frime bon marché… Où trouver ce Lama, il est quelque part ici, en Inde, au Népal?

    Dany a souri et hoché la tête.

    – Même s’il se trouvait dans la pièce à côté… ça change quoi… écoute la continuation.

    Le diablotin à l’intérieur de moi a brusquement remué la queue, j’ai fait un signe à Dany de se taire, enlevé les bretelles, qui tenaient ma petite robe, de mes épaules, en la laissant glisser lentement en bas. Sous son regard mes mamelons dénudés sont devenus durs et ressortaient insolemment.

    – Tu veux les toucher?

    Le silence était plus éloquent que toutes les paroles.

    – Et lécher, sucer, peloter… les empoigner tendrement et fort, tenir mes seins dans tes mains, les tripoter en me regardant dans les yeux – tu veux?

    J’aime les contrastes…

    Après être resté comme ça une demi-minute, je me suis rhabillée. Dany a continué après avoir avalé sa salive.

    – Sans compter particulièrement sur quoi que ce soit, j’ai demandé – si je pouvais apprendre, c’est-à-dire – si je pouvais apprendre ça à quelqu’un? S’il pouvait me l’apprendre lui-même ou indiquer quelqu’un à qui je pourrais apprendre? Pour faire une bonne impression je lui ai dit qu’il me semblait que j’étais déjà quelqu’un libéré en grande partie des émotions négatives, en plus sous la direction d’un maître expérimenté je pourrais, peut-être, y réussir rapidement.

    Lobsang a réfléchi en scrutant fixement à travers de moi comme si j’étais fait de l’air :»Viens ici demain, à cinq heures du matin. Tout sera beaucoup plus clair pour toi».

    Le serveur nous a apporté du jus, des légumes cuits et un poulet si désiré! Pour le quart d’heure suivant on a laissé de côté les histoires et la volupté. On dévorait bruyamment le poulet, tels des loups affamés, en s’arrachant l’un de l’autre les morceaux les plus appétissants, en grognant et se marrant. Petit à petit le poulet prenait la place qui lui était désigné dans nos ventres, le tempo de l’absorption devenait de plus en plus ralenti… jusqu’à atteindre zéro. En finissant mon jus je me suis détendue dans le fauteuil.

    – Et qu’est-ce qui s’est passé ensuite?

    Jetant des regards sur mes genoux dénudés, Dany a continué.

    – A cinq heures du matin l’aube ne faisait que commencer à peine à s’entrevoir derrière les hautes montagnes, il faisait assez frais, c’était parfaitement calme et incroyablement beau. Je me suis approché du gompa, personne n’est venu me chercher, mais les portes n’étaient pas verrouillées. Je suis monté au premier étage pour me retrouver dans le couloir qui menait vers la chambre de Lobsang. Je me suis demandé si je n’allais pas le réveiller, car il faisait encore nuit. J’avais déjà fait quelques pas le long du couloir avant de comprendre tout à coup que dès le premier pas «ça n’allait pas». Par inertie j’ai avancé encore un peu dans le couloir et me suis arrêté – «quelque chose qui n’allait pas» s’accroissait. Jamais je n’avais éprouvé une chose pareille. J’avais une sensation que, du noir dans les coins, quelqu’un me tâtait d’un regard pas bon, lourd et dangereux. C’est ça, ça sentait le danger. Je restais planté là en digérant les sensations. Elles prenaient définitivement de la puissance, et je me suis senti très mal. Je me souviens de l’étonnement qui passait par la tête – rien que hier tout éclatait des rayons du soleil ici, d’une certaine placidité extatique, qu’est-ce qui a changé, pourquoi?

    J’ai fait encore quelques pas, et tout à coup la douleur faible et aigue m’a percé comme une aiguille. J’ai même failli pousser un cri. Sans aucun doute, je ressentais parfaitement clair que quelqu’un m’haïssait. Quelqu’un de méchant, morose était là pour me haïr, haïr tout le monde, et cette haine semblait suinter de partout. J’ai eu vraiment peur, je me suis retourné et a fait quelques pas vers la sortie. Je me suis arrêté à côté de l’escalier, a soufflé et me suis rendu compte que la haine avait disparu, il ne restait que le sentiment de l’antipathie tendue.

    Je restais là sans savoir quoi faire. Est-ce que je pouvais me tromper tellement à propos de quelqu’un? C’était ce qui tournait dans ma tête sans répit. Comment ai-je pu voir en Lobsang un être illuminé tandis qu’il y avait une telle ambiance de haine autour de lui?

    Des tableaux d’épouvantes diverses se sont mis à se déplier rapidement dans mon esprit. Tu dois savoir qu’en Inde des touristes étrangers disparaissent de temps en temps?

    – Oui, j’ai vu plusieurs fois des annonces de recherches des touristes.

    – Ce n’est pas si rare ici. L’Inde est considérée comme un pays assez sûr, et il y en a beaucoup qui voyagent en solitaire, même des jeunes filles, mais en réalité cette sécurité existe dans certaines limites. Au Maine Bazar et à Tamela tout est OK, mais fais un pas sur le côté et là tu verras des ténèbres fantastiques, où personne ne garantie ta sécurité. D’autant plus, si tu prends des stupéfiants… J’ai entendu que les blancs sont souvent kidnappés pour des sacrifices. J’ai eu des idées différentes au sujet de Lobsang, qu’il prêche aussi un culte quelconque, dans «bon» – la tradition tibétaine ancienne- il y avait des rituels aussi, liés aux sacrifices humains… ou bien je l’avais inventé par peur? L’image de Lobsang a commencé à se substituer par quelque chose de malicieux, j’ai eu l’envie urgente de me tirer de là, j’ai même essayé de me souvenir comment étaient les portails du monastère, pour voir si je pourrais passer par-dessus, au cas où elles étaient fermées, et m’enfuir?

    Une minute plus tard j’ai quand même surmonté ma peur après m’être rappelé mes ressentiments du jour d’avant, et ensuite j’ai réessayé de m’approcher de la porte de la chambre de Lobsang. Et tout s’est répété. Mais cette fois-ci une antipathie s’est réveillé en moi en réponse, j’ai surmonté ma peur et, en me reprenant, décidé d’affronter Lobsang face-à-face, quoi qu’il soit – un sectateur méchant ou un maître sage. Ayant fait encore quelques pas dans le couloir j’ai dû m’arrêter de nouveau. La tête fendait littéralement avec des crises de douleur monstrueuse – tellement grande était la haine que je ressentais avec chaque cellule de mon corps. Je me suis même penché en avant comme si j’affrontais un ouragan, qui essayait de me renverser, et j’ai réussi à m’avancer encore quelques pas. A ce moment là la porte de sa chambre n’était qu’à plusieurs pas de moi, mais cette distance s’est transformée en une éternité. Je ne pouvais plus marcher, le brouillard dans la tête, les taches rouges dans les yeux, je sentais – encore un peu et j’allais soit mourir, soit tomber dans les pommes. La douleur et la peur m’ont paralysé, et je ne pouvais même plus partir – ni bouger, il me semblait que j’allais mourir de quelque chose terrible si je bougeais, ne serait-ce qu’un pouce, en avant ou en arrière. Les forces me quittaient, je sentais que j’étais en train de mourir, il m’a paru que la haine dirigée vers moi ferait mon sang bouillir cet instant là.

    L’histoire de Dany m’a passionnée, même sa peur s’est transmise en moi, je me suis sentie mal à l’aise dans le noir nous entourant, la lumière de la lampe m’a paru inquiétante.

    – Tout à coup ça a été fini. Comme si l’on a enlevé tout de moi – la peur et la haine, et la douleur – tout. La fraîcheur douce se versait en moi en un jet fin en me remplissant de grâce et de la sensation de beauté. J’ai reconnu de nouveau les nuances des sentiments que j’avais eu pendant ma conversation du jour d’avant avec Lobsang. La porte de sa chambre s’est grand ouverte et j’ai passé par-dessus le seuil ne tenant plus sur mes jambes, j’ai failli tomber dans ses bras.

    – Mais comment c’est possible?? Comment l’un peut-il s’associer avec l’autre – une haine si horrible et la prétention sur la libération des émotions négatives?

    – C’était justement ce que je lui ai demandé après avoir retrouvé mon esprit et bu une tasse de thé dégoûtant, qu’il m’avait tout de suite proposé. Sa réponse m’a choqué. Il a dit que toute cette horreur que j’avais éprouvée était mes propres émotions négatives! Tout ce qu’il avait fait n’était «que» remplir l’espace du couloir avec de la force impersonnelle, qui augmentait tout ce qui tombait dans ce champ. Il a dit que malgré mes propres représentations de moi en tant qu’un être relativement bon, je cultivais sans cesse et maintenais en moi un énorme spectre d’émotions négatives de tout genre, et même aux moments où il me semblait que j’en étais parfaitement libéré, même là, j’éprouvais des émotions négatives profondes – de diverses sortes d’inquiétudes, de soucis, etc. Je n’étais bien sûr pas d’accord avec lui, en lui disant que je ne le trompais pas et que j’étais absolument sincère avec lui, et lui en tant qu’une personne savante devait voir que j’étais franc devant lui, sans essayer de m’embellir ni me montrer sous une meilleure lumière, que j’affirmais sincèrement que quand j’allais le voir j’étais très positif, inspiré et avais de la sympathie profonde, de la curiosité, et je n’avais pas d’émotions négatives de fond, et si cette haine horrible avait apparu cela ne provenait pas de moi, c’était une chose extérieure et ressentie comme extérieur.

    – Ca a l’air un peu bizarre, car tu n’en sais rien, de quoi et comment il avait «rempli» quelque chose… Et qu’est-ce qu’il t’a répondu?

    – Il a dit qu’il me croyait que j’étais sincère en ce que je lui avais dit, néanmoins, bien que sincèrement, je me trompais, et cet exemple pouvait servir en une leçon pour montrer à quel point le virus nommé «les émotions négatives» s’est implanté profondément en l’homme, puisque ce dernier ne les remarquaient même pas. A ce moment là j’étais d’accord que les émotions négatives étaient vraiment de l’ordre de virus, mais plus tard je perdais constamment cette clarté qui semble si évidente et accessible tout le temps où elle est là.

    – Je suis d’accord concernant le virus, mais c’est tout à fait incompréhensible comment le combattre, si même le remarquer n’est pas possible souvent.

    – Lobsang m’a dit que le travail de cessation des émotions négatives commence par celles qui se trouvent sur la surface et se manifestent clairement, et si ce travail réussit, on peut progressivement arriver à remarquer les couches fines d’émotions négatives et les éliminer. Il a répété encore une fois que si vraiment je n’avais pas d’émotions négatives en moi il y aurait alors rien pour le faire accroître et au lieu de la haine j’aurais ressenti de l’exaltation croissant progressivement.

    – Oui… C’est possible, Lobsang est vraiment une personne extraordinaire… Tu ne m’as pas répondu où il est en ce moment, ni au moins où il peut être. Je veux le retrouver!

    Je n’ai pas remarqué moi-même que, au fur et à mesure que Dany me racontait son histoire, mon intérêt à égard de Lobsang a pris de la forme, la méfiance étant presque partie.

    – Dany, je veux le retrouver!

    Le plus je le répétais, le plus fort devenait mon désir.

    – Je veux absolument le retrouver, tu dois me connaître un peu maintenant – si j’ai décidé de faire quelque chose, je ne reviendrai pas en arrière sans avoir fait tout mon possible. Tu sais – où on peut le trouver?

    – Oui et non.

    – Tu peux laisser ton bon sens pour d’autres situations, parlons l’affaire et sois plus facile, s’il te plait. Je suis comme une sangsue – une fois collée, je ne lâche plus – j’ai déplacé mon regard un peu plus bas, Dany a poussé un soupire et rigolé.

    – Tu ne comprends pas, laisse-moi parler. Lobsang m’a dit au moment de mon départ que si je veux je pourrais le retrouver, qu’il me le PROMETTAIT, mais qu’il n’avait pas envie d’avoir à faire quelque chose avec des fantaisistes frivoles, c’est pourquoi je devrais passer une sorte d’examen, avant de pouvoir le rencontrer et revenir à la discussion sur la question de mon apprentissage. Cet examen est en deux étapes, et la première est justement de le trouver. Il a dit aussi que je pourrais le trouver guidé par mon désir de le trouver et les signaux que je verrais sur la voie de ma vie. Il a refusé de donner plus de précision sur ces signaux, en disant juste qu’ils se font voir pour toute personne partant chercher la vérité, et commençant en même temps la pratique impitoyable et sincère d’élimination de toutes les émotions négatives, et au moment où ces signaux se manifesteront, même si les doutes les concernant apparaissent, ils seront superficiels et ne pourront pas dissiper les désirs qui mèneront le chercheur en avant. Les signaux ne se déclencheront en indiquant la voie qu’au cas où toute ma vie, toutes mes forces et toute ma détermination ne seront vouées à l’élimination intransigeante et impitoyable de toutes les sortes d’émotions négatives que je trouverais en moi.

    – Et le second examen?

    – Le second sera le même que j’ai eu dans le couloir. Si je le retrouve et arrive à «passer le couloir», cela voudrait dire que l’accomplissement est digne de son attention, et lui et ses amis consacreront alors à mon apprentissage ultérieur autant de temps et de diligence qu’il faudrait.

    – Et c’est tout? Tout avec quoi tu en étais parti?

    – Pas tout à fait. On a discuté un peu sur le bouddhisme tibétain, c’était intéressant pour moi d’obtenir l’information sur le sujet de première main, sans distorsions. Par exemple, j’étais intéressé si c’était vrai que certains maîtres tibétains se réincarnaient d’une vie à l’autre. Comment reconnaît-on qu’un certain enfant n’est pas un simple enfant, mais un ancien Lama quelconque. Lobsang ne m’a pas donné trop de détails sur les questions, presque tout ce qu’il m’a raconté je savais déjà des livres que j’avais lus, mais à ce moment là c’est devenu plus réel, plus tangible. J’ai eu envie de vivre parmi les tibétains quelques mois et apprendre le tibétain, pour m’approcher plus des porteurs de la pratique présentée par Lobsang, mais il m’a dit que cela n’avait pas de sens en conseillant, cependant, d’habiter Daramsala – une petite ville en Inde, où se trouvaient en ce moment la résidence de Dalaï-lama et quelques monastères tibétains. D’ailleurs, j’irai là probablement cette année. Je m’inscrirai à un cours de tibétain et même prendrai un des moines en tant qu’un professeur privé. Je ne l’ai pas encore fait juste parce que selon Lobsang il n’y en avait pas du tout besoin, parce que pour éliminer les émotions négatives la connaissance du tibétain n’était pas indispensable. Il a refusé de parler en détails du fondateur de cette pratique, en disant juste qu’à la différence des autres écoles tibétains dont les fondateurs – comme Dalaï-lama, Karmapa, Trashi-lama, Panchen-lama et d’autres – s’incarnaient presque toujours dans les confins du Tibet, lui il voyageait dans ses réincarnations d’une culture à une autre, et que cette pratique s’appelait «la pratique de la voie directe», car elle ne s’appuyait sur aucune religion, aucune doctrine, seulement sur sa propre expérience, et n’importe qui pourrait en fait y accéder à condition qu’il ait assez de détermination ; au cas où il réussissait, il pourrait réaliser, durant une seule vie, des capacités exceptionnelles pour une personnes ordinaire, y compris la capacité de garder la conscience après, au moment et AU LIEU de la mort, la capacité de la réincarnation consciente ou la transformation directe, en accédant ainsi à la continuité de son expérience, la vie de telles personnes devenaient tellement extraordinaire et tellement remplie de sensations formidables et d’aventures d’esprit, que m’en parler à ce moment là n’avait pas sens. L’essentiel de cette pratique était qu’on pouvait apprendre à remplacer des perceptions par d’autres selon ses désirs et consolider ses changements. Dans la vie d’une personne ordinaire le changement de perceptions se passe automatiquement, sans sa participation consciente, or une personne faisant cette pratique pouvait contrôler ce processus complètement. Lorsque j’y pense, j’en suis éberlué – comment pourrait devenir ma vie si je pouvais ressentir ce qui me plait, ne penser qu’à ce que je veux penser, et même vouloir justement ce que je veux vraiment! Et même l’idée d’un tel voyage de conscience est stupéfiante.

    – Comment s’appelle le fondateur de cette pratique, comment eux ils l’appellent – un patriarche, un Lama chef? Où est-il maintenant? Comment peut-on trouver d’autres moines de cette école? Comment s’y prendre pour cesser d’éprouver les émotions négatives, puisque, si c’est «une école», il doit y avoir des méthodes déjà élaborées? Et si je cessais de les éprouver – ne me transformerais-je en un être insensible, ou bien d’autres, nouvelles, perceptions les remplaceraient? Viendront-elles par elles-mêmes ou faudrait-il faire une pratique…- tu le lui a demandé?

    Les questions sortaient de moi en profusion, je n’ai pas donc remarqué tout de suite le sourire de Dany.

    – Maya, bien sûr, j’ai essayé d’accabler Lobsang avec des questions, mais contrairement à la nuit infinie qui nous entoure maintenant, le temps de notre rendez-vous s’écoulait, puisque à six heures la cérémonie religieuse à laquelle Lobsang devait participer, allait commencer. Il m’a proposé de me concentrer sur une ou deux questions, dont il m’a laissé le choix et puis se séparer. A chaque fois que je me rappelle ce moment, j’ai peur car la curiosité aurait pu prendre le dessus et j’aurait pu demander une chose futile quelconque, sans avoir la possibilité de demander le plus essentiel.

    – Peut-être, c’était une sorte d’examen aussi? Car si après tout ce que tu as entendu tu poserais la question «les moines savent-ils voler», ça signifierait, probablement, que tu étais un simple imbécile?

    – C’est fort probable. J’ai posé deux questions. La première – comment s’appelait le fondateur de cette école, s’il était incarné à présent et si c’était possible de le retrouver. Lobsang m’a donné un nom qui ne m’a rien dit, en affirmant qu’il était incarné, c’est-à-dire habitait quelque part à ce moment, et que c’était inutile de le chercher, mais on pouvait s’adresser à lui.

    – Ca veut dire quoi «un nom qui ne t’a rien dit»?

    – Il a dit que cet homme s’appelle Bodhi, mais «bodhi» en tibétain veut dire quelque chose de genre «une conscience éveillée», ce n’est point un nom alors, et je n’imagine pas comment chercher une personne selon ce nom – demander «ne sauriez-vous pas s’il y a quelque part ici une conscience éveillée»?

    – Mais ça veut dire quoi «on peut s’adresser à lui»?

    – Aucune idée, j’ai ignoré cette phrase, je ne sais pas comment.

    – Et après?

    – J’ai demandé de me raconter ce qu’il fallait faire exactement pour cesser complètement d’éprouver les émotions négatives. Je m’attendais à tout – qu’il me montrerait une position de yogi quelconque, ou dirait comment il fallait respirer, ou me murmurerait à l’oreille un mantra, ou même ferait quelque chose de miraculeux – or il m’a étonné sur ce coup là aussi, en disant le suivant (j’espère de n’avoir rien confondu) : il y a trois raisons pour lesquelles les gens éprouvent les émotions négatives. La première – ils veulent les éprouver. La deuxième – un faux raisonnement. Et la troisième – c’est l’habitude. (A moitié bouddhisme, à moitié de la psychanalyse ménagère). C’est pourquoi pour cesser de les éprouver, il faut, primo, bien définir pour soi que l’on ne souhaite pas éprouver telle ou telle émotion négative. Il suffit de commencer par une, par rapport à laquelle il y a un désir parfaitement clair de ne plus l’éprouver sous aucunes circonstances. Secundo, il faut reconsidérer tous ces faux raisonnements qui mènent à ce qu’»il faut» ou bien «il est justifié» d’éprouver une émotion négative donnée. Par exemple, on peut croire que le voisin doit nous dire bonjour, et s’il ne le fait pas, on serait mécontent et penserait que c’est «justifié», néanmoins, ce n’est que notre choix volontaire de ce qu’on doit éprouver ou pas. Et le plus important, tertio, c’est qu’il faut tout simplement surmonter l’habitude d’éprouver l’émotion qu’on ne veut plus éprouver, et en créer une nouvelle – l’habitude de ne pas l’éprouver. Il a dit que la première fois cela ne réussirait pas, ni la centième fois non plus, et la fois deux cent on remarquerait que quelque chose avait changé dans le cours du déroulement de cette émotion, puisqu’on aurait crée une nouvelle habitude – celle d’»essayer d’éliminer l’émotion non souhaitable», et cette habitude aurait elle-même un impact sur la vie, elle deviendrait elle-même la source de l’influence, mais à la différence d’autres habitudes, elle serait choisie par nous-même, c’est pourquoi elle aurait une force particulière, une «qualité» spéciale, et en se renforçant, elle donnerait finalement le résultat. Le plus d’émotions non souhaitables l’on éliminerait de notre vie, le plus rapidement l’on entendrait cet appel spécial de l’intérieur, rempli d’exaltation et donnant des sensations inouïes.

    – Hein… mais dis-moi – même Freud écrivait sur le fait que la suppression des émotions négatives avait des conséquences, et quelles conséquences! C’est des stresses, des névroses… moi-même je le sais très bien – ce que c’est que de supprimer les émotions, il vaut mieux les exprimer et ainsi s’en débarrasser. Quoi que, non… ce n’est pas mieux… la même merde. Les japonais placent dans leurs entreprises des statues de leurs chefs pour que les subordonnés puissent leur donner des coups de poings, de pieds, de poêles afin de se défouler. Les japonais ne sont pas cons, s’ils ont inventé ça, ils avaient donc bien étudié le problème.

    – Mais, je suis d’accord avec toi, lorsque j’ai entendu Lobsang dire tout ça, j’ai pensé encore que je perdais mon temps. Je me suis rappelé une personne que j’ai connu à l’université, qui, ayant appris mon intérêt envers le bouddhisme tibétain, m’a demandé avec arrogance : «Je me demande quoi peut-on apprendre chez les éleveurs de vaches bouseux? Même à l’heure actuelle ils font leurs feux avec de la merde des vaches en y vivant, dans cette merde, en même temps. Tu es devenu fou, Dany, à comparer ces bidules shamaniques avec de la CULTURE! Goethe, Schopenhauer, Kant, Rousseau… – tout ce monde était à côté de la plaque, je vais plutôt aller communiquer avec des éleveurs de vaches qui puent… mais lave-toi bien au retour, sinon tu vas salir tous les meubles à la maison».

    Lobsang a compris ma question avant que je l’aie fini, et m’a répondu que la suppression et l’élimination sont deux processus absolument différents. En supprimant une émotion on continue de l’éprouver ou commence à avoir une autre émotion négative, et lors de l’élimination on cesse absolument de l’éprouver- elle n’existe tout simplement plus, rien à cacher, comme si l’on «rebondissait» dans un état de liberté, dans lequel l’émotion négative n’existe pas, l’on souvient de soi au moment d’éprouver de la joie ou la tendresse, et à ce moment là il n’y a plus rien à supprimer, et si l’on fait tout comme il faut, tout de suite après l’élimination on éprouve de la joie tranquille. Il a dit que le plus dur c’est de surmonter l’habitude implantée depuis des années d’éprouver une émotion négative, c’est difficile, et même ça peut paraître irréel, cependant c’est possible, et après, une Voie s’ouvre devant toi… Dis-moi maintenant ce que tu penses de cette histoire.

    – C’est joli … mais en pratique ça veut dire quoi? Tu as déjà essayé de le faire?

    – Bien sûr que j’ai essayé… beaucoup de fois, mais jusqu’à présent je n’ai pas réussi à atteindre ce que Lobsang avait appelé «la joie tranquille». Il a dit que quand ce sentiment vient, je ne le louperai pas, et que la joie tranquille n’est pas une expression poétique, mais une description exacte de la perception. Et moi, dans le meilleur cas j’ai réussi à arriver à un état où il ne se passe rien – rien de négatif, ni de positif, mais ça me plait aussi, c’est toujours mieux qu’être agressif ou déçu.

    – Pourquoi alors tu es si sûr que c’est possible du tout? Un an s’est écoulé depuis que tu as connu cette pratique, mais il n’y a rien qui soit changé dans ta vie…

    – Ce n’est pas vrai. J’ai dit que quelque chose a changé. J’ai commencé à me sentir plus libre, les états de désespoir et d’apathie arrivent beaucoup moins souvent. Je me suis mis à remarquer mes émotions négatives dans les situations où avant elles passaient comme allant de soi – maintenant je trébuche sur elles.

    – A vrai dire… cela ressemble à des expressions générales, avec lesquelles les gens aiment tant se leurrer… Je peux aussi me convaincre moi-même de quoi que ce soit, et ensuite tôt ou tard la sobriété revient, on ne peut fantasmer sur notre «éveil» que jusqu’à un certain moment, mais la vérité prend toujours le dessus. Cela m’est arrivé plus qu’une fois – je commençais à lire un livre sur le yoga… tu dois savoir comment ça se passe.

    – La sobriété? Tu veux dire quoi par ça?

    – C’est quand en lisant tu rêves, tu t’imagines éveillé, joyeux, puissant, tu vis un ou deux jours sous l’emprise, et puis la réalité retombe sur toi, tu te remets le harnais pour foncer en avant comme un fou…

    – La réalité retombe… mais rien ne retombe réellement, ce n’est qu’une manière de s’exprimer, il t’arrive tout simplement quelque chose que tu ne peux pas surpasser, et d’après ce que je comprends il s’agit justement de pouvoir triompher sur son habitude que tu appelles «la réalité», car ce n’est que des circonstances qui sont réelles, et pas la nécessité d’éprouver les émotions négatives. C’est justement le crochet qui peut nous retenir, tu vois? – Dany a fait une pause pour verser du jus dans son verre. – Tu en veux?

    – Non, merci… je vois quoi?

    – Regarde, par exemple, tu as cassé ton verre. Tu peux soit te vexer ou te fâcher, soit – rigoler.

    – Evidemment, ça dépend …

    – C’est à ce que je voulais en venir! Cela dépend! De ceci, de cela, d’un machin… il n’y a pas de règle établie qu’une fois quelque chose arrive, ça doit provoquer une vexation. Ta réaction dépend de plusieurs facteurs, mais cela justement veut dire qu’il y a une possibilité de choisir.

    – Et alors?

    – Ben… ça veut dire que quand «la réalité retombe sur toi», c’est un ensemble de certains événements, et tu peux choisir ce que tu vas éprouver.

    – …

    – Tu comprends?

    – Admettons… et cette histoire, elle a fini comment?

    – Lobsang s’est levé et j’ai compris que la conversation est arrivée à son terme. Son regard est devenu sévère et un peu distant. Il m’a dit au revoir avant de me retenir à la sortie. Il a pris un crayon et dessiné un signe dans un carnet, en disant que c’était un signe de la pratique de la voie directe. Puis il s’est légèrement incliné et, en prenant ma main avec ses deux mains et en la serrant il m’a redit au revoir. L’expression de son visage a acquis une beauté strict et expressive, dépourvue de toute sentimentalité.

    Le jour même j’ai quitté le monastère et me suis rendu à Mouktinath, où j’envisageais réfléchir sur ce que j’avais entendu de Lobsang, et ensuite, au cas où j’aurait des questions, essayer de revisiter le monastère, en apprenant quand même le tibétain en même temps, mais à Moukitath j’ai rencontré une jeune fille irlandaise très sympa (et voilà la jalousie me pique avec sa fine aiguille, ce serait bien de l’éliminer, mais comment?), les seuls mots tibétains qu’on a appris alors avec elle étaient «caresser» – «tchourtchour-dje», «faire un bisou» – «o-dje» et embrasser – «tam» …

    – «Tam»? C’est marrant. En russe «tam» veut dire «là».

    Le serveur est venu pour nous donner l’addition et enlever la vaisselle de la table. Dany a sorti son argent… en jetant un coup d’œil sur moi, l’air interrogatif.

    – Il y a un problème?

    – Tu n’as pas l’intention de payer pour toi? – sa question m’a prise au dépourvu.

    – Hein… mais oui, bien sûr, j’en ai l’intention… je dois combien?

    Dany a souri.

    – Non, tu m’as mal compris. Tu pensais que j’allais payer pour toi, n’est-ce pas?

    – Oui, c’est vrai, – j’ai esquissé un sourire de travers, en essayant de dissimuler le fait qu’une telle méticulosité de sa part m’était désagréable. Peut-être n’a-t-il pas assez d’argent?…

    – Bien sûr, je paierai, j’étais étonné parce que les filles européennes paient toujours pour elles, même si l’on ne prend qu’un verre de soda chacun, et si j’essaie de payer pour elle, cela va être pris pour quasiment une insulte, une discrimination, une insinuation de faille, de seconde qualité.

    – C’est stupide! – c’était de nouveau agréable et léger d’être à ces côtés, – je le comprenais s’il s’agissait des frais importants, mais là… rester comme ça à partager deux dollars avec son copain?

    – Je suis d’accord avec ça, mais… comme Lobsang a dit – un raisonnement habituellement faux provoque chez les filles les émotions négatives habituelles.

    La fatigue s’est accumulée discrètement – provenant soit de la longue conversation, qui avait demandé tant d’attention, soit de la journée entière qui s’était avérée remplie à ras bord avec des impressions. J’avais un peu envie de dormir… ou rester encore un peu avec Dany.

    – Tu viens chez moi? – il a posé cette question de manière si décontractée que j’avais envie de m’éclater de rire fort, comme un enfant.

    – Oui, si tu me promets de me laisser dormir un peu.

    – Juste un peu, – il m’a serré fort contre lui, et j’ai perdu l’envie de dormir.